Baptême
de Notre Seigneur. 2014.A
Que peut évoquer ce récit du baptême
du Christ par Jean-Baptiste ? Une image d'antan ? Un tableau de grand
peintre ?... Un vitrail de cathédrale ? Pourquoi pas ? Mais il faut toujours
faire attention à l'imagerie religieuse. Certains artistes nous ont laissé
l'image du Christ à demi immergé dans le Jourdain, recevant un filet d'eau
claire que Jean-Baptiste verse à l'aide d'un coquillage. Il ne manquait plus
que le petit enfant de chœur, si je puis dire, avec, comme autrefois, sa soutane
rouge et son surplis.
On n'a pas le droit d'en rester à de
pareilles images quand on lit l'évangile qui, lui, nous livre, comme
d'habitude, un tout autre message, et d'importance.
On pourrait prendre deux temps de réflexion :
- un temps pour la lecture du texte,
ce que le texte veut dire.
- un temps pour la méditation du
sens de ce récit.
D’abord la lecture du texte. Elle est
difficile, déroutante ! Car, ce texte, finalement, est pour nous, une
page savante bourrée d'allusions à l'Ancien-Testament. Il était certainement plus
facile à comprendre pour les auditeurs juifs de Matthieu, familiers des
Ecritures. Comme je l’ai plusieurs fois souligné, Matthieu est un “bon scribe” qui “tire de son trésor du neuf”, - la nouveauté du
message chrétien -, “et de l’ancien”
(Cf Mth
13.52)
- toute l’histoire biblique qui trouve, avec lui, son sens plénier en
Jésus -. Essayons de comprendre avec cette clef de lecture.
- Il y a le JOURDAIN.
Pour les Juifs, il avait une signification
immense. Tous connaissaient la fameuse traversée du Jourdain que leurs ancêtres
avaient faite sous la conduite de Josué pour entrer dans la terre promise. Pour
eux, c’était comme le renouvellement du passage de la mer rouge, événement
fondateur du peuple juif. C'est ainsi que le psaume 114ème (V/3) réunit tout à la
fois la mer rouge et le Jourdain : "Quand
Israël sortit d'Egypte, la mer s'enfuit, le Jourdain reflua !". Pour
un Juif, ces deux événements n'en font qu'un. C'est l'événement divin par
excellence en faveur du peuple de Dieu, le "Signe" de la
"Pâque" - du "passage" -, de la servitude de l’homme au
service de Dieu !
En sortant de l'eau du Jourdain, Jésus
ne serait-il pas le fondateur du peuple nouveau qu'il conduit du royaume de
ce monde, souvent dur et cruel, vers le Royaume de Dieu, Royaume de paix et de
justice ? Pour nous, depuis notre baptême, Jésus est-il véritablement ce guide
unique ?
- Il y a L’ESPRIT-SAINT SOUS LA FORME D'UNE
COLOMBE.
-La Bible disait qu'à la création du
monde, l’Esprit de Dieu planait sur les eaux pour que la terre y émerge.
Jésus ne serait-il pas à l’origine d’une nouvelle création, au point que le
visionnaire de l’Apocalypse s’écriera : “je vis une terre nouvelle et un ciel nouveau, car le premier ciel et
la première terre avaient disparu”. - Jésus est-il toujours pour nous,
comme dira encore St Jean, celui par qui rien de ce qui est ne fut sans lui ? (Cf. Jn 1.3)
- La Bible disait aussi qu'à la fin du
déluge une colombe revint vers l'arche de Noé, porteur d'un rameau
d'olivier. Jésus ne serait-il pas celui qui apporte la paix de Dieu et dans les
cœurs et dans le monde ? - Croyons-nous en celui qui nous dit : "Je vous laisse la Paix, je vous donne
ma Paix" (Jn
14.27)
- La Bible disait encore que, jadis,
l'Esprit de Dieu allait d'un prophète à l'autre, jusqu'à ce qu'il ait trouvé où
se reposer. Jésus ne serait-il pas "le prophète" tant attendu
sur lequel repose définitivement l’Esprit de Dieu ? Jésus, nous dit encore St
Jean, "parlait de l'Esprit que
devaient recevoir ceux qui croiraient en lui !" (Jn 7.39).
- Et puis : LE CIEL SE DÉCHIRA,
S'ENTROUVRIT.
C’était le désir immense de tous les
prophètes, de tous les hommes de Dieu : “Ah ! si seulement tu déchirais les nuages, si tu descendais du
ciel !” (Is.
63.19).
La venue de Jésus ne serait-elle pas
l'accomplissement de cette attente séculaire ? Jésus est-il toujours pour nous
l'"Emmanuel" : "Dieu avec nous" ?
- Et il y a LA VOIX QUI VIENT DU CIEL.
Là, Matthieu semble mêler un verset de
psaume (par
ex. 2.7)
et un extrait du poème du "Serviteur" d'Isaïe.
Autrement dit, Jésus ne serait-il pas le
Fils de Dieu - seul Roi - qui accomplirait sa mission à la manière du "Serviteur
souffrant" du prophète Isaïe ? Mais avons-nous intégré, dans le mystère de
sa Pâque, la fulgurante lumière divine du dimanche pascale à partir des
ténèbres douloureuses du Vendredi Saint ?
Voilà un langage un peu savant, Certes !
Mais c’est nécessaire pour lire St Matthieu, “ce bon scribe qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien”.
Ainsi, on peut comprendre : Matthieu
énonce en quelques lignes trois convictions de la foi chrétienne primitive :
* Jésus est le chef du peuple nouveau.
Il le mène à sa véritable délivrance.
* Il a reçu l'Esprit (créateur) de Dieu et pourra
le transmettre.
* Il est le Fils de Dieu, le Fils
bien aimé du Père, et ce jusque sur sa croix !
Mais après cette lecture, il nous faut méditer,
à l'exemple de Marie, "ruminer" le sens de ce texte de St Matthieu.
Je ne ferai qu’une réflexion.
Jésus descend dans le Jourdain. Il descend
dans ce fleuve dont le nom même (Yarden) signifie “descendre”. Ce fleuve, en effet,
descend des monts neigeux de l’Hermon (+1200 m.) jusqu’au point le
plus bas du globe, la mer morte (-430 m.), lieu de Sodome et Gomorrhe, lieu
insalubre, lieu symbolique du péché du monde.
Autrement dit, en Jésus qui descend
dans ce fleuve qui veut dire “descente”, c’est, en réalité, Dieu qui
descend des hauteurs divines jusqu’à la bassesse de l’homme. Jésus descend
dans le Jourdain, comme un pécheur pour rejoindre les pécheurs que nous
sommes. Il descend comme autrefois Naaman, ce lépreux, qui se plongea dans
ce fleuve pour être guéri de sa lèpre ; il s'y plongea sept fois comme pour
souligner les sept jours de la création nouvelle que Jésus va accomplir.
Ainsi Jésus descend jusque dans la
boue des péchés des hommes. Il descend pour prendre sur lui le péché du
monde, disait Jean-Baptiste !
St Paul avait bien compris cela quand il
reprend une hymne chrétienne que nous répétons à Pâques : “Jésus, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui
l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit (descendit) lui-même prenant la condition
d’esclave, devenant semblable aux hommes…” (Phi. 2.6). “Il s’est fait péché, lui, le sans
péché !” (2
Co. 5.21).
Oui, c'est là, dans la “décharge” des péchés des hommes que Jésus descend,
qu’il se “coule” dans le fleuve de notre humanité pécheresse.
Aussi, pour être sur la trajectoire de Dieu
qui descend jusqu'à nous, il faut d’abord accepter de voir Dieu dans le banal de
nos bassesses ; il faut se méfier du sublime qui n’est pas banal, ce banal
humain où Dieu a voulu nous rejoindre. Oui, il faut se méfier de l'image
idyllique que j'évoquais à l'instant..., avec l'enfant de chœur et sa soutane
rouge...
Et il faut être conscient de ce "banal
de péchés" où nous sommes et où Jésus nous rejoint. Aussi, est-il bon de
remarquer que Jésus, au début de sa vie publique, appelait d'abord à une
conversion. Et comme Jean-Baptiste, il baptisait "en vue de la conversion" (Mth 3.11). St Jean le note
explicitement : "Jésus se rendit
avec ses disciples en Judée... ; et il baptisait !" (Jn 3.22). Les disciples de
Jean-Baptiste s'en étonnent auprès de leur Maître : "Rabbi, celui qui était avec toi..., voici qu'il se met à
baptiser, lui aussi ; et tous vont vers lui !" (Jn 3.26). Le Précurseur
leur avait pourtant annoncé : "Celui
qui vient après moi -
qui me suit, qui est mon disciple - est
plus fort que moi... Lui, finalement,
vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu !" (Mth 3.11-12).
Mais, dans un premier temps Jésus baptisait
"en vue de la conversion",
comme Jean-Baptiste. Et si lui-même s'est plongé dans l'eau boueuse et
limoneuse du Jourdain, c'est-à-dire dans le péché du monde, c'est pour nous en
faire sortir, nous appeler à une permanente conversion.
C'est alors que Jésus remonte du
Jourdain entraînant tous les hommes avec lui. "Je monte, dira-t-il, vers
mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu" (Jn 20.17). Mais, tout
d'abord, il remonte vers Jérusalem, vers le temple de Dieu, ce temple
qu’il est lui-même : “Détruisez ce
temple fait de main d’homme, dira-t-il ; et en trois jours, j’en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main
d’homme” (Mc
14.28).
C'est pourquoi, au moment de sa mort, le
voile qui, dans l’ancien temple de Jérusalem, séparait Dieu et les hommes se
déchirera comme les cieux se déchirèrent au jour de son baptême afin que tout
homme puisse déjà voir celui qui nous voit sans cesse, communier déjà
véritablement avec lui.
Et du nouveau temple qu’est Jésus, de son
côté droit, sortira, dira St Jean, sous la lance du soldat au Calvaire, de
l’eau, de cette eau qui, selon la vision d’Ezéchiel, d’un filet devint un grand
fleuve allant se déverser dans la Jourdain afin de purifier les eaux de la mer
morte. C’est l’eau d’un baptême nouveau qui purifie pour remettre l’homme sur
la route de l’Alliance avec Dieu avant qu’il puisse le voir face à face.
Jean-Baptiste, même s’il se posait des
questions, avait bien pressenti la mission de Jésus en le baptisant, cette
mission du "Serviteur-agneau", du "Serviteur-souffrant" d'Isaïe
venu pour racheter les hommes et les conduire à Dieu : “Voici l’Agneau de Dieu !” – “Moi, je baptise dans l’eau... Lui vous
baptisera dans l’Esprit Saint”, cet Esprit qui donne Vie éternelle.
C’est pourquoi, contemplant Jésus qui sort
du Jourdain et qui monte vers Jérusalem pour construire le nouveau temple en
son Corps (ce
que rappelle toute Eucharistie), nous pouvons nous écrier avec foi, comme St
Paul en la conclusion de son hymne aux Philippiens : “Dieu lui a donné le Nom qui est au-dessus
de tout Nom pour que tout, au nom de Jésus, s’agenouille au plus haut des
cieux, sur terre et dans les enfers et que toute langue proclame qu’il est
Seigneur à la gloire du Père !”.
Pour retrouver les textes, voir Blog : sur Google, taper : A la diaspora sol
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