lundi 24 juin 2013

Qui suis-je ?

T.O. 12  Dimanche  2013 -     
              
Vous l'avez certainement remarqué : quand un mal ou un malheur arrive dans notre société que l'on qualifie pourtant de hautement développée, tout de suite on cherche un responsable. Cela n'aurait pas du arriver, pense-t-on ! Il doit y avoir une erreur quelque part, erreur humaine, peut-être même une faute, faute professionnelle... Et on se souvient de l'affaire du sang contaminée où l'un des prévenu avait proclamé : "Responsable, oui, mais pas coupable !". Ce fut un beau "tollé" ! Notre monde ne se satisfait pas d'une explication purement matérielle : au-delà d'une défaillance technique, il recherche les coupables comme si, pour exorciser sa peur, pour que tout rentre dans l'ordre, il lui fallait une victime sur qui décharger son angoisse, un bouc émissaire chargé de tout le mal !

Quelqu'un peut être ainsi la victime de la mauvaise conscience d'une société qui cherche à se libérer ; victime de l'injustice des hommes car parfaitement innocent du mal dont on le charge. Il peut se révolter dans l'impuissance ; mais on le sait d'avance : cela ne changera rien !

Cette victime peut choisir encore une voie plus haute : celle qui consiste à prendre sur soi, par amour, le mal d'un peuple - cela est arrivé durant la dernière guerre, par exemple - ! Porter sur soi le mal de l'humanité ! Porter, comme un agneau innocent, le péché du monde, enlever le péché du monde, comme un juste souffrant qui offre sa vie pour le salut de tous !

Cette figure du "Serviteur Souffrant", un prophète du temps de l'exil du peuple élu à Babylone, le "Second Isaïe" l'avait évoquée dans ses oracles, au 6ème siècle avant Jésus Christ.
Et voici qu'un peu plus tard, vers le milieu du 4ème siècle, un autre prophète, Zacharie, le présente à nouveau : il nous est décrit dans notre première lecture ! Il s'agit d'un "Juste" que l'on a rejeté, accablé comme un bouc émissaire, en se débarrassant sur lui de tous les maux pour se donner bonne conscience... : schéma classique et banal jusque là !
Mais voici une nouveauté : Zacharie entrevoit le jour où les hommes ouvriront les yeux devant le résultat de leur méchanceté. Ils reconnaîtront leur péché dans une vraie conversion, et "ils lèveront leurs yeux vers celui qu'ils ont transpercé", dans une attitude pleine de foi et d'espérance. Et pour nous chrétiens, le texte de Zacharie est encore plus significatif puisqu'il fait dire à Dieu, littéralement : "ils lèveront leurs yeux vers Moi, celui qu'ils ont transpercé".

Mais - il faut le reconnaître - ce type de Messie, de Messie souffrant qui nous sauve en donnant sa vie, le peuple d'Israël - et donc les apôtres - ne l'avait pas beaucoup retenu dans sa mémoire collective : ce qu'ils attendaient, c'était un Messie libérateur de la puissance occupante, un Messie vengeur, guerrier, triomphant qui assurerait la victoire de son peuple et ferait régner la paix, la justice.

Jésus, au contraire, semble bien comprendre que c'est ce type de "Juste souffrant" et "donnant sa vie" qu'il doit être pour libérer les hommes du mal intérieur qu'est le péché... !
On peut mesurer la distance entre l'attente des apôtres et le projet de Jésus... Alors, dans notre passage d'évangile, aujourd'hui, Jésus prend l'initiative et il pose la question : "Pour la foule, qui suis-je... et pour vous ?".

La scène est bien connue et l'on sait qu'elle est la réponse de Pierre. Mais notre mémoire a surtout retenu le récit de l'évangile selon St Matthieu qui est centré sur Pierre : "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant", avec la réponse de Jésus : "Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise ; je te donnerai les clefs du Royaume des cieux...". Puis, Jésus annonce sa passion. Pierre veut l'en détourner et se fait traiter de Satan, car il fait obstacle à Jésus qui a choisi d'être un "Messie souffrant". Cela, c'est le récit de Matthieu, centré sur la personne de Pierre.

Ici, dans notre passage, St Luc procède différemment. La scène n'est pas située à Césarée de Philippe, comme en Matthieu, ni même située dans le temps de façon précise : "Un jour...", dit Luc, et la réponse de Pierre est différente : "Tu es le Messie de Dieu ! ". Le Messie, c'est -à-dire l'envoyé de Dieu, le consacré. Mais cette profession de foi demeure encore ambiguë dans la bouche de Pierre. Jésus va préciser : "il faut que le Fils de l'homme soit rejeté par les Autorités, qu'il soit tué, pour ressusciter le troisième jour".

C'est ici qu'intervient la différence entre Luc et Matthieu. Luc ne nous parle plus de Pierre, ni de sa primauté dans l'Eglise, ni de son opposition à Jésus. Luc nous montre Jésus s'adressant alors à la foule. La foule des disciples, c'est-à-dire nous, les croyants. Et Jésus proclame : "Celui qui veut marcher à ma suite, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix, chaque jour, et qu'il me suive...".

Ainsi, Luc enchaîne directement la profession de foi de Pierre, l'annonce de sa passion et les exigences pour nous, ses disciples. Pour Luc, dans ce passage, Pierre devient le type même du croyant, du disciple, de celui qui marche à la suite de Jésus. Pierre devra accepter que Jésus soit un "Messie souffrant", le "Serviteur Souffrant".
Bien plus, pour être disciple de Jésus, il faut accepter de le suivre sur ce chemin entrevu par le prophète Zacharie : suivre Jésus jusqu'à la Croix, en acceptant par amour de perdre sa vie, en levant les yeux avec foi vers la croix de Jésus, "vers moi, dit Dieu, Celui que l'on a transpercé !". C'est là, en Jésus - Dieu et homme - où se manifestent de façon suprême la bonté, la miséricorde divines envers tous les hommes.

Tout comme nous-mêmes, Pierre et les disciples auront du mal à accepter que Jésus soit "Messie Souffrant". Certes, un peu plus tard, la Transfiguration viendra apaiser le trouble que cette annonce avait dû provoquer. Il n'empêche, dans cet épisode, Jésus se présente bien comme le Messie qu'il a choisi d'être, à contre-courant des attentes de son peuple : un "Messie" qui sauve par la croix.
Ce ne dut pas être facile pour Jésus, et les tentations au désert nous le montrent bien. Pour Jésus, c'est un choix, un choix mûri dans la prière, comme le souligne St Luc, lui que l'on appelé "l'évangéliste de la prière" : "Un jour Jésus priait à l'écart !" Et c'est après la prière de Jésus qu'il est précisé : "Comme sers disciples étaient là, il les interrogea : pour vous, qui suis-je ?".

Au cours de cette Eucharistie, Jésus nous interroge : pour toi, qui suis-je ? Et il nous avertit : "Celui qui veut être mon disciple, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix, chaque jour, et qu'il me suive". Devant la spirale de la violence, le déchaînement du mal dans notre monde et la recherche incessante de boucs émissaires, il nous faut humblement regarder la croix, essayer de suivre Jésus sur le chemin de la vie donnée par amour pour qu'enfin le mal soit vaincu, en moi et dans le monde !

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