dimanche 9 juin 2013

Présence permanente de Dieu

10e Dimanche du T.O. - 2013/C
              
Il est toujours très difficile d'inventorier toute la richesse d'une page évangélique. Les lecteurs modernes - dont nous sommes - ont souvent deux interprétations diamétralement opposées :
- Ou bien on privilégie la matérialité du récit, du miracle par exemple (celui de la première lecture ou de l'évangile), au détriment, à l'exclusion même de toute autre perspective. C'est l'histoire qui intéresse uniquement ! Et l'on se dit : "Ah ! Si, nous aussi, nous pouvions bénéficier d'un tel miracle !".
- D'autres ne s'attachent qu'à la "valeur symbolique" du récit ; ils recherchent ce que Jésus a voulu dire pour nous, hommes du 21ème siècle ! On s'ouvre alors à d'innombrables interprétations : celles qu'offre le texte, certes ; mais celles aussi qui viennent de tout ce qui peut remplir un cœur d'homme : pressentiments obscurs, aspirations cachées, désirs divers et parfois contradictoires... Et on tombe facilement dans le subjectivisme. La foi devient vite alors ce que l'on ressent soi-même ; elle n'est plus vérité révélée et proposée par Dieu en Jésus Christ qui nous envoie son Esprit, Esprit de vérité !

Les évangélistes comprenaient différemment. Certes, ils regardaient le réel quotidien, l'histoire, leur histoire avec Jésus ; mais ce "réel quotidien" faisait résonner en eux un sens que révélaient tous les "réels quotidiens" antérieurs que leur mémoire religieuse conservait précieusement.
+ C'est cette méthode que recommandait Notre Seigneur lui-même à ses disciples d'Emmaüs : "Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait...!" (Lc 24.27).
+ D'ailleurs, parfois, ne faisons-nous pas nous-mêmes une semblable expérience de la présence de Dieu, du Christ ! "Ah ! A tel moment de notre vie, Dieu était là !". Et cette reconnaissance de la présence de Dieu dans le passé éclaire notre présent, nous encourage pour l'avenir !
+ Ainsi, de même, en lisant la Bible, les gestes et paroles de Dieu tout au long de l'histoire donnent sens aux gestes et paroles de Jésus que nous lisons, et valeur de prophétie pour l'avenir, pour notre avenir ! C'est toute la pédagogie de Dieu à notre égard au cours de l'histoire, au cours de notre propre existence, pédagogie qui suscite une véritable démarche de foi !

St Luc avait bien compris cela. La résurrection du fils de la veuve par Elie donne tout son sens au miracle de Jésus, à Naïm, sens qui nous oriente vers la mort et la résurrection du Christ, afin que ce mystère pascal nous soit totalement appliqué et vécu aujourd'hui. Ainsi, à travers la mort elle-même, le chrétien sait qu'il est un vivant en espérance ! C'est là notre foi !

A partir de là, essayons de lire :

1. Le récit d'Elie est remarquable : il oppose deux mentalités religieuses.
- La première est exprimée par la mère malheureuse. A ses yeux, "l'homme de Dieu" est le révélateur automatique de la faiblesse humaine. Sa seule présence dénonce le péché de l'homme ; et le châtiment mérité doit suivre, inéluctable : "Es-tu venu pour rappeler ma faute et faire mourir mon fils ?". N'est-ce pas là, parfois, notre propre réaction : "Qu'ai-je fait au Bon Dieu pour vivre une telle épreuve ? - Dieu doit vouloir me punir !". C'est la réaction du croyant qui ne connaît Dieu qu'indirectement, par sa recherche personnelle et non par l'expérience du don de Dieu tout au long de sa vie.
- Mis au défi, Elie veut prouver que tout "homme de Dieu" intervient non pour la mort mais pour le salut, pour la vie. Et il rend la vie au fils de la veuve. La réaction de celle-ci est alors celle du croyant qui fait l'expérience du salut gratuit de Dieu. C'est la "pointe du récit", comme on dit : Dieu, par bonté, se fait parole efficace pour le salut de l'homme. Hier, aujourd'hui et demain ! Aujourd'hui parce que comme hier ; et demain, parce que comme aujourd'hui et hier.

2. Ces deux mentalités opposées - et toujours actuelles - sont reprises dans l'évangile. St Luc, reliant son récit à celui d'Elie, montre, en Jésus, Dieu qui vient sauver tout homme. Dieu, en Jésus, ne veut pas condamner le monde, mais le sauver. Et cet évangéliste cultivé développe tous les artifices littéraires pour suggérer cette vérité.

- Dans la première lecture, la résurrection du fils de la veuve se passe dans l'intimité d'une chambre close, sans témoins. Dans l'évangile, c'est au grand jour que l'événement se passe, devant tout le monde. Le Christ ne vient-il pas pour le salut de tous ?

- L'évangéliste nous fait voir deux grandes foules marchant l'une vers l'autre, comme pour un affrontement, l'affrontement des deux mentalités : celle qui accompagne Jésus et celle qui accompagne la veuve. (En quelle foule nous situons-nous ?).  
+ La première marche vers la vie, dans une espérance fondée sur Jésus qui vient de guérir le serviteur du centurion (Cf. évangile de dimanche dernier) ; la seconde marche vers le lieu de la mort.
+ La première entre dans la ville, lieu de la vie et de la société des hommes ; la seconde sort de la ville. L'affrontement est inéluctable ; cet affrontement, ne le vivons-nous pas en nous-mêmes ? N'y-a-t-il pas en nous tout à la fois ce qui va vers la mort et ce qui va vers la vie ? Mais avec Jésus, c'est la vie qui triomphera !

- Deux grandes foules ! Une foule joyeuse et une foule triste. Et à leur tête, Jésus et la veuve comme deux solitaires.
Jésus parce que les gens ne le comprennent pas et l'abandonneront bientôt ;
La veuve parce que personne ne peut la rejoindre dans sa détresse.
Un contact va s'établir entre ces deux êtres seuls ; et Jésus va mettre en œuvre son pouvoir sur la mort, préludant ainsi à sa propre résurrection, en laquelle toute solitude sera dépassée.
+ La première réaction d'incompréhension et de découragement de la veuve, au temps d'Elie, n'est pas reprise, mais elle est tellement sous-jacente : "Tu es venu chez moi pour rappeler mes fautes et faire mourir mon fils !".
+ Mais Jésus, nouvel Elie, va révéler pleinement que Dieu est le Dieu de la vie. En face du péché, il est pardon ; en face de la mort, il est résurrection !
+ Aussi,
"tous rendaient gloire à Dieu", est-il dit. "Glorifier" Dieu, c'est reconnaître cela : Dieu est vie, notre vie !  
"La crainte s'empara de tous ! - Cette "crainte" dont il est question n'est pas la peur d'un Dieu qui voudrait le mal de l'homme, mais la surprise, la stupéfaction devant la certitude que nous ne sommes pas promis à la mort !
"Les porteurs s'arrêtèrent" : avec Jésus, le chemin vers la tombe n'est plus possible ; ceux qui marchent pour effacer la vie (tous les fabricants de mort) sont immobilisés par Jésus. Et le jeune homme va être "rendu à sa mère", comme dans la première lecture.

- Aussi, nous pouvons conclure :
La veuve de Naïm n'exprime rien, sinon sa détresse muette devant la mort. Ce miracle n'a donc pas d'autre explication que la seule bonté du Christ, de Dieu ! C'est l'objet de notre foi !
St Paul ne cessera de le répéter : le salut de Dieu nous vient gratuitement, sans actes méritoires de notre part...
Dieu nous aime parce qu'il est Amour, et non parce que nous le méritons. Et cet amour est, en nous, générateur de vie. C'est cela que nous avons à accueillir dans la foi. Et cet accueil est le seul moyen de laisser cet amour opérer en nous son œuvre de résurrection pour toutes les "morts" que l'existence nous fait traverser.


Aussi, nous pouvons commenter cette belle page de St Luc par une phrase de St Jean : "L'heure vient, et nous y sommes, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront !" (Jn 5.25)

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