mercredi 2 juin 2010

T.O. 9 Mercredi – Dieu non des morts, mais des vivants ! - (II Tim. 1. 1-12 ; Mc 12. 18-27)

Par delà les arguties d’une casuistique familières aux Juifs, les Sadducéens de notre évangile d’aujourd’hui posent une question essentielle : Qu’en est-il de la vie que l’on reçoit et que l’on doit transmettre. Qu’en est-il de la vie après la mort ?

D’après le dessein du Créateur (“Soyez féconds et remplissez la terre…“ Gen. 1.28), le signe à la fois visible et mystérieux d’une vie après la mort se manifestait surtout dans la descendance ! Ne pas avoir d’enfant marquait une rupture du fil de la vie que Dieu donne par delà la mort elle-même. Aussi Rachel, stérile, s’adressait à son mari, Jacob, disant : “Donne-moi des fils ou je meurs !“ Ou je meurs à jamais ! Et Jacob, irrité, de lui répondre : “Suis-je à la place d’Elohim ?“ (Gen 30.1-2), tant il place le mystère de la vie elle-même en Dieu ! Et pour maintenir ce signe fragile de la vie dans la descendance, par delà la mort même, on avait institué la loi du lévirat : à un homme mort sans enfants, son parent le plus proche avait droit et devoir de susciter une descendance au défunt. On l’appelait le “Goël“, mot que l’on peut traduire par “Rédempteur“, celui qui avait droit de “rachat“, de relever la vie ! (1)

Mais derrière ce signe de vie qu’est une descendance, la question du mystère d’un “Au-delà de la mort“ restait posée depuis que le sang d’Abel avait été versé, sang qui du sol criait vers Dieu (Gen 4.11). Déjà Abraham, d’après une méditation séculaire rapportée par la lettre aux Hébreux, avait donné une réponse à la pensée du sacrifice d’Isaac : “Même un mort, se disait-il, Dieu est capable de ressusciter !“ (He. 11.19). Il croyait, dira St Paul “en un Dieu qui fait vivre les morts !“ (Rm 4.17).

Et ce sentiment plus ou moins obscur d’un Dieu de vie par delà la mort avait été fortement ébranlé, au 8ème siècle, par l’absurde mort du juste par excellence, le saint roi Josias “qui fit ce qui est droit aux yeux du Seigneur, sans dévier ni à droite, ni à gauche !“ (2 Rois 22.2). [Expression intéressante !] Pourquoi la mort du Juste ? “En serait-il du juste comme du coupable ?“, avait déjà demandé Abraham (Gen 18.25). Cette question devint aigüe au moment de l’exil à Babylone : “On supprime une nation innocente“, s’écriait Esther, implorante (6.1).

Pourtant, pourtant, commençait-on à chanter avec les psaumes : “Notre Dieu est un Dieu de délivrance !“ (Ps. 111.9) ; “il nous mène « al mouth », par delà la mort“ (ps 48). Aussi, on proclamait : “Non, je ne mourrai pas, je vivrai et je chanterai les merveilles de Dieu !“ (ps 118.17). Et devant le tragique de la vie, Job, ce “transpercé“ de mille souffrances, avoue devant Dieu : “Je ne te connaissais que par ouï-dire ; maintenant mes yeux ont vu…“ (Jb 42.5). Qu’a-r-il donc vu Job ? On ne le sait. Mais ce qu’il a vu lui permet d’affirmer avec une force extraordinaire : “Je sais bien, moi, que mon “Rédempteur“ (goël) est vivant. Il surgira de la poussière. Et après qu’on aura détruit cette peau qui est mienne, c’est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu, oui, moi ! Mon cœur en brûle au fond de moi“ (19.25).

Qui est ce “Goël“, ce “Rédempteur“ entrevu par Job ? Le même sans doute qu’annonçait la mère des Maccabées devant le martyre de ses fils (cf. 2 Mac 7.29). C’est alors qu’à la même époque, le prophète Zacharie dévoile le mystère : “Ils (les habitants de Jérusalem) regarderont vers moi (c’est Dieu qui parle !), celui qu’ils ont transpercé… En ce jour-là, il y aura une fontaine ouverte… pour laver péché et souillure“ (Zach. 12.9). Autrement dit, Dieu se déclare atteint lui-même par la mort du Juste… Et ce “Transpercé“ divin répandra une source de pureté.

Aussi, il n’est pas étonnant que ces phrases inspirées du prophète montent comme naturellement dans l’évangile de St Jean qui note : “L’un des soldats, de sa lance, perça le côté (du Christ) ; il en sortit du sang et de l’eau. Cela arriva pour que l’Ecriture s’accomplisse : “Ils verront celui qu’ils ont transpercé !“ (Jn 19.36).

Et on peut légitiment penser à une force de vie que redonne la source qui sort du côté du transpercé, de ce “Transpercé“ qui dira : “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi“. Et il vivra ! Aussi St Paul pouvait affirmer à son disciple bien-aimé dans la lecture : “Le Christ Jésus s’est manifesté en détruisant la mort et en faisant resplendir la vie !“. Il avait déjà dit : “Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi“. Il éprouvait en lui la force de résurrection du Christ lui-même.

Oui, on peut dire que, dès maintenant, nous sommes en apprentissage de notre vie de ressuscités ; nous sommes en train de ressusciter en nous laissant transformer peu à peu par le Christ eu plus profond de nous-mêmes, par notre foi en lui. Tous les sacrements sont autant de rencontres avec le Christ qui vient à nous pour faire de nous des hommes nouveaux, vivant toujours plus intimement de sa vie, en nous laissant animer par son Esprit qui fait de nous des fils et des filles de Dieu !

Oui, déjà nous sommes en état de ressuscité. Notre résurrection est progressive. Quand nous pensons “vie éternelle“, ne pensons pas d’abord à une vie qui dure toujours, mais pensons surtout à notre vie de maintenant en marche vers son suprême accomplissement : “Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, alors, vous aussi, vous apparaîtrez avec lui en pleine gloire.

Au fond la réponse de Jésus dans l’évangile est un appel à la foi au Dieu de vie. “Dieu, déclare-t-il avec force, n’est pas le Dieu des morts mais le Dieu des vivants !“. Dieu n’est Dieu que s’il est le Dieu de la vie ! Et si nous croyons en Dieu, comment dès lors ne pas croire à la vie ressuscitée au-delà de la mort ? Comment cela se fera-t-il, nous l’ignorons en grande part. Mais que notre foi fasse la politesse à Dieu de recueillir tout ce qu’il a révélé déjà à travers l’Histoire Sainte, à travers nos expériences de vie face aux signes de mort que nous pouvons rencontrer.

(1) [Remarque : Matthieu, dans sa “généalogie“ de Jésus, cite le cas de Ruth qui, avec finesse et habileté, acquiert une descendance à son défunt mari par l’intermédiaire de Booz, son parent le plus proche (son goël-Rédempteur). C’est ainsi qu’une étrangère devint l’aïeule du Christ ! Matthieu veut souligner, là, dès le début de son évangile, l’universalité de la mission du Christ Rédempteur !].

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