mercredi 9 juin 2010

T.O. 10 Mercredi – Intégrité et intégration ! - (I Rois 18.20-39 ; Mth 5.17-19)

La lecture de Lundi nous a appris qu’avant d’envoyer son prophète parler et agir en son Nom, Dieu l’avait préparé par une assez longue retraite. “Va-t-en, lui avait-il dit, Dirige-toi vers l’ouest, et cache-toi au terrent de Kerrit qui est à l’est du Jourdain !“. Et là, dans la solitude, la dépendance, la pauvreté, Elie, comme naguère le peuple dans le désert, avait fait l’expérience de la “Rencontre“ avec Dieu !

Et aujourd’hui, on le trouve sur la montagne du Carmel, avec son peuple qui vit difficilement une dualité entre sa fidélité au Dieu Unique et l’attirance vers d’autre dieux - Baal, en particulier -, ces dieux qu’avait introduit en Terre Sainte la reine Jézabel, épouse du roi Achaz, fille d’un roi phénicien. Les phéniciens étaient alors très prospères. Etant de bons navigateurs - contrairement aux Hébreux -, ils maîtrisaient une grande partie du commerce dans tout le bassin méditerranéen. Leurs dieux, pensait-on alors, leur étaient propices et bienfaisants ! N’était-il pas sage alors de s’attirer leur protection ?

C’est alors qu’arrive Elie qui dit au peuple de façon péremptoire : “Combien de temps boiterez-vous des deux pieds ? (Le mot-à-mot est plus incisif : “jusqu’à quand sauterez-vous sur deux béquilles ?“). Si le Seigneur est Dieu, suivez-le ; si c’est Baal, suivez-le“. Et il organise une sorte de confrontation - c’est notre lecture ! -. C’est un fougueux, Elie : avec magnanimité railleuse, il donne à ses adversaires l’avantage de commencer : tirez donc les premiers, Messieurs les Phéniciens ! C’est un intrépide, Elie : avec ironie mordante, il attaque : criez plus fort, car que votre dieu a peut-être des soucis d’affaires… ou dort-il ! Chaque phrase est un “pavé“ lancé contre la religion phénicienne : - “Soucis d’affaires“, ils connaissent cela ces commerçants ! - L’absence pour raison de voyage, ils connaissent encore, ces navigateurs ! - Votre dieu dort, il va se réveiller ! C’est le mythe d’Adonis qu’ils vénéraient, ce dieu naturiste qui dort en hiver et se réveille au printemps.
Bref, c’est comme un combat à mort que mène Elie qui triomphera en manifestant la véracité du Dieu d’Israël. Il sort vainqueur du combat, mais pas n’importe comment ! Notre texte liturgique, par délicatesse et, disons, pudeur sans doute, s’arrête juste avant le dénouement final : “Elie dit au peuple : « Saisissez les prophètes de Baal ; que pas un n’échappe. Elie les fit descendre près du torrent de Qishôn ; et là, il les égorgea !“.

Bigre !, diront certains. Elle est amorale, cette histoire… et archaïque ! Certes, aujourd’hui, l’attitude d’Elie n’est pas très normative pour pratiquer l’œcuménisme avec nos frères hérétiques ou les tenants d’autres religions. Il faut quand même, de nos jours, savoir échanger, dialoguer…, s’ouvrir comme on dit ! Et nous avons le souvenir du Pape Jean-Paul II à Assise !

Cependant, nous sommes là, dans la Bible, au début d’une progression dont les étapes se télescopent parfois dans notre propre cœur. Je m’explique : en arrivant en Terre Sainte, le peuple de Dieu a facilement pratiqué l’anathème, n’ayant pas d’autres moyens de garder sa consistance personnelle de “Peuple de Dieu“ face à l’abomination des cultes idolâtriques qu’il rencontrait. Et puis, au fur et à mesure qu’il grandit, se développe, il trouve de la consistance dans sa personnalité humaine et spirituelle : il devient capable, de plus en plus, d’accueillir… On voit cela, par exemple, dans le livre de Jonas, livre le plus universaliste qui soit…, chez Zacharie aussi…

Et cette progression aboutira à St Paul qui partira répondre, lui, à l’attente des “îles lointaines“ (Cf. Si 47.16), des païens, en disant : “Tout est vous, mais vous, vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu !“. Et nous devons découvrir nous-mêmes, chrétiens, qu’il y a une telle force d’intégration dans le Christ que le chrétien ne doit avoir aucune pusillanimité devant tout ce qui lui est proposé au nom de l’art, de la science, de la psychanalyse, de tout ce que vous voudrez… Mais encore faut-il acquérir une personnalité capable d’intégration… Voyez-vous le problème ? Nous n’en sommes pas toujours capables. (D’où les bienfaits de l’enseignement de l’Eglise…). Et parfois, en bien des domaines même religieux, grondent en notre cœur des sortes de vindicatifs anathèmes aussi forts que ceux qu’a pratiqués Elie.

Ainsi toute la Bible nous fait suivre, si nous le voulons, une pédagogie divine qui conduit de l’anathème à l’intégration. Nous sommes appelés à intégrer et à donner sa pleine valeur à tout ce qui a été créé - Dieu a trouvé que tout ce qu’il avait créé était bon et même très bon ! -, à tout ce qu’il y a de plus beau. Mais, pour cela, il ne faut pas oublier, en même temps, la question de la consistance personnelle dans sa vie humaine et spirituelle.

Actuellement, nous risquons toujours d’être complètement disloqués par tout ce qui nous est offert. Et il ne nous est pas toujours facile de marcher “sans dévier ni à droite ni à gauche“, comme il est dit du saint roi Josias (2 Rois 22.2) [- J’aime bien cette expression : “sans dévier ni à droite ni à gauche“ !!!-]. Et plus urgente que jamais apparaît alors la nécessité d’aller au Carmel ou au désert pour retrouver de temps en temps de la consistance dans notre être de croyant de sorte que nous soyons de capables d’accueillir, d’intégrer, de digérer, de discerner tout ce qui se présente à nous.

Voyez ! Finalement, l’attitude d’Elie - que les présomptueux de tout poil jugent archaïque - pose à notre foi cette grande question de l’intégrité et de l’intégration tout à la fois ! Prions à cette intention.

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