jeudi 25 juin 2009

Scandale ! ? - T.O. 12 imp. – Jeudi - (Gen 16.1 sv)

En parcourant la lecture de la Genèse, vous avez peut-être pensé : c’est quand même une histoire quelque peu scabreuse. Une telle histoire dans la Bible ! Scandale ! Vous n’avez sans doute pas tort, d’autant que lorsque j’étais collégien, la Bible, dans son intégralité, n’était pas à la disposition des élèves, tant elle recèle pas mal d’histoires peu recommandables, scabreuses !

Pourtant, je trouve cet épisode à propos d’Abraham, “notre Père dans la foi“, merveilleux (avec d’autres du même genre). Il illustre l’un des thèmes les plus fondamentaux qui se développe tout au long de la Bible jusque dans le Nouveau Testament et encore dans l’histoire de l’Eglise ! Et comme je souhaiterais que ce thème soit bien connu et reconnu par tout chrétien et également par tout homme d’où qu’il vienne et quel qu’il soit, à l’exemple d’Agar, une servante - une esclave - égyptienne !

Ce thème est celui-ci : Dieu prend toujours l’homme, prend chacun d’entre nous, “tel qu’il est et là où il en est“. Si Dieu attendait que l’homme soit parfait pour faire alliance avec lui, et bien l’éternité ne lui suffirait pas pour attendre ! Non, Dieu prend l’homme fait “de chair et de sang“, “tel qu’il est et là où il en est“ avec ses qualités et aussi avec ses défauts qui, souvent, ne sont pas minces !

Penser le contraire est d’ailleurs une hérésie : le pélagianisme, du nom de son propagateur : Pélage (4-5ème siècle), cet austère moine breton (à la tête un peu dure sans doute ; en fait c’était sans doute un Irlandais !). Pour faire court, il soutenait que l’homme peut par sa seule volonté, par ses forces humaines, mener une vie vertueuse et mériter ainsi le ciel. Nul besoin de la grâce de Dieu réduite aux dons naturels accordés par le Créateur (le libre arbitre, la raison, la conscience…). Remarquons au passage que cette hérésie n’est pas tout à fait éteinte : certains ne sont pas loin de penser - inconsciemment, certes - qu’ils sont en “alliance“ avec Dieu du seul fait de leurs observances vertueuses ou - pire encore - du fait de leurs louables intentions humaines libérées, à leurs yeux, de toute loi trop servile !

Et bien Non ! Il nous faut toujours le secours, la grâce de Dieu. Et c’est la raison pour laquelle le Fils de Dieu s’est fait homme pour que de sa pauvreté, nous devenions riches, comme dit St Paul. Oui, Dieu prend l’homme “tel qu’il est et là où il en est“ - et ce n’est pas toujours joli - pour le rendre saint, le faire “marcher“ (“marche devant ton Dieu !“) vers lui, le “Trois fois Saint“ !

Dans cette optique, vous pourrez reprendre l’épisode d’Abraham, de Sara et d’Agar.
  • D’abord, Sara, stérile, met Agar, sa servante, dans les bras d’Abraham afin d’obtenir une descendance. On pardonnerait cela encore en disant : autres temps, autres mœurs ! Quoique ! Ces mœurs furent encore celles de bien des empereurs du “Saint Empire germanique“ et de nombreux rois de France… !
  • Mais de plus, lorsque Agar est enceinte de par la faute de Sara, celle-ci devint fortement jalouse. C’est quand même un peu fort !
  • De plus, Abraham lui-même, notre “père dans la foi“, n’a quand même pas un comportement très noble face à la jalousie de Sara : “Ta servante est entre tes mains ; fais-lui comme il te semblera bon !“. Quand même !

Agar, tellement maltraitée, est obligée de fuir. C’est plus qu’une dispute de femmes, qu’un crêpage de chignons, ce qui, déjà, n’est pas généralement très joli !

Alors là, il y a un épisode merveilleux : “L’ange du Seigneur rencontre Agar près d’une source salvatrice. Il faut savoir quand hébreu source se dit “ein“ ce qui veut dire “œil“. La source, c’est “l’œil de l’eau !“. Alors, l’ange, près de cette “source“ qui pour elle devient un “œil“ de vie, un regard, une vision de vie, lui dit : “Tu auras un fils ! Il s’appellera : “Ismaël“, ce qui veut dire : “Dieu écoute“ (ta plainte).

Et Agar, intelligente, comprend vite et s’exclame : “Tu es El Roî“ (“El“, c’est Dieu ; et “Roï“, c’est la racine du mot voir) ; autrement dit : “Tu es le Dieu qui me voit !“ (telle que je suis et là où j’en suis !). Et après, sans doute, un moment de réflexion, elle se demande : “Est-ce qu’ici j’ai vu (Dieu) après qu’il m’ait vu ?“ (1). Aussi appela-t-elle le puits “Lahaï Roï“, ce qui veut dire : “Au vivant qui me voit !“ (2).

“Etre vu“ et “voir“ ! C’est la réflexion qui traverse toute la Bible. Nous sommes comme le pèlerin du psaume 83ème qui monte vers le temple de Dieu et demande : “Quand irai-je et verrai-je la face de Dieu.“ (3).

Nous nous mettons en route comme Abraham, notre “père dans la foi“, sans trop savoir où nous allons, vers la montagne de Moriah (encore une racine du mot “voir“). Et nous ferons l’expérience, peut-être dans l’absurde apparent (comme au moment du sacrifice d’Isaac !), en tous les cas au milieu même de nos fautes, de nos égarements (comme Abraham lui-même vis-à-vis d’Agar) que Dieu ne nous a pas quitté du regard.

Et, un jour, nous serons au seuil de cette expérience, de cette vision de Celui qui nous voit maintenant : nous le verrons alors comme il nous voit. Nous seront alors “divinisés“, disaient les Pères de l’Eglise ! Oui, Dieu prend l’homme “tel qu’il est et là où il en est“. Il est Celui qui sans cesse nous voit. Et nous sommes destinée à “voir celui qui nous voit sans cesse !“.

Notes :
  1. Après le verbe “voir“, il manque le complément. Ce fut sans doute le Nom de Dieu qui était écrit mais que l’on a supprimé par la suite car, selon la Loi mosaïque, “l’homme ici-bas ne saurait voir Dieu et vivre“ (Cf. Ex. 33.20).

  2. Il faut remarquer un autre passage de la Bible : le serviteur qu’Abraham, préoccupé d’assurer sa descendance, avait envoyé pour trouver une épouse à son fils Isaac, revint avec Rebecca. Or, c’est au puits de “Lahaï Roï“ que les futurs époux se rencontrent (Gen. 24.62) : Au puits “du Vivant qui voit“…, qui prévoit, qui guide son peuple vers l’avenir.

    A remarquer encore que dans la Bible les difficultés de la vie, tous ces “combats de vie“, comme celui de Jacob, se terminent souvent par cette interrogation : “Ai-je vu celui qui me voit ?“. Jacob, après son combat avec l’ange, appelle le lieu “Penouël“, ce qui veut dire : “J’ai vu la face de Dieu !“. J’ai vu la face de Dieu et ma vie a été sauve ! (Cf. Gen. 32.30-31).

  3. Ce n’est pas ainsi, naturellement, que la Tradition juive a compris ce verset. Voir Dieu ici bas ! Non, ce n’est pas possible. Aussi les Juifs ont corrigé par le passif tout en gardant le complément d’objet direct : “Quand irais-je et serais-je vu la face de Dieu ?“ ! Curiosité à remarquer !

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