mardi 10 mars 2009

Le mal “bouleverse“ tout, et Dieu lui-même… ! - Carême - 2.Mardi - (Isaïe 1.10sv)

La première lecture est le début du livre d’Isaïe, le premier des grands prophètes. Isaïe “le Grand“, serais-je tenté de dire. C’est un grand Seigneur qui fréquente les Grands de ce monde. C’est un fin diplomate dont le langage se manifeste en notre lecture : “Venons et discutons“, dit Dieu comme pour améliorer un traité, son Alliance avec le peuple !

De plus, Isaïe a eu, au cours d’une vision dans le temple, la révélation de la transcendance de Dieu. Dieu, toujours premier ! C’est le discours qu’il tient constamment aux dignitaires de son temps dans un style éclatant d’images et de poésie. Il est le grand “classique“ de la Bible ! Il pourrait être comparé à notre grand Bossuet qui, lui non plus, n’hésitait pas à sermonner la cour de Versailles et le grand roi lui-même !

Ainsi, notre Bossuet de la Bible n’hésite nullement à traiter rois et dignitaires de “chefs de Sodome“ et tout Israël de “peuple de Gomorrhe“. Bigre ! Accusation très lourde ! Car, dans la tradition biblique, quand on parle de Sodome, une image vient aussitôt à l’esprit exprimée par un mot terrible : “mahapehat sedom“ – le terre s’est “retournée“, “renversée“ (Cf. Gen 19.25 et Dt 29. 22). Une solidarité s’opère entre l’homme et la terre (“Adam“ – “adama“) : la terre elle-même s’est comme “révulsée“ à la vue des péchés des hommes. Voilà pourquoi Sodome et Gomorrhe se situent au point le plus bas du globe !!! Terre inhabitable, terre d’enfer ! (Les écologiste de tous poils devraient méditer cette image !). Etait-ce là un châtiment divin. Longtemps, on l’a pensé fermement !

Mais vint le prophète Osée qui met en doute cette logique du châtiment. C’est vrai, semble-t-il dire, parce que le cœur de Dieu s’est comme “retourné“ (même mot :“ mahapehat“), le terre elle-même fut “retournée“. Cependant, il met en doute cette logique facile en affirmant (cf. 11.8sv) que le Seigneur renonce définitivement à un tel châtiment, car Dieu, lui est “Saint“. Autrement dit, Osée ne contredit pas la pensée courante de ses contemporains : Dieu récompense le juste et châtie le mécréant. Cependant il “met un bémol“, si je puis dire. Il fait une grande avancée dans la réflexion sur le mal. Ce petit prophète qui n’a point sa langue dans sa poche et qui appelle un chat un chat semble dire face aux turpitudes de son temps : le mal vient simplement du mal ! Si les rois et le peuple à leur suite se conduisaient selon la Loi du Seigneur, il n’y aurait pas de conséquences si néfastes…

Isaïe “le Grand“, successeur de ce petit prophète, ne fait que reprendre ce raisonnement qu’il assène devant les grands de son époque : “Agissez bien et tout ira bien“. Et il développe (cf. notre lecture). “Et si vous agissez mal, alors ne vous étonnez pas !“.

Bien sûr, le petit prophète comme le grand n’avaient pas totalement tort. Si l’homme se conduisait bien, sans égoïsme, sans mépris pour les plus faibles, tout irait un peu mieux !

Cependant, j’aime m’attarder sur l’image d’Osée : Quand le cœur de Dieu est “retourné“, alors la terre “ se retourne“ ! Le cœur de Dieu “se révulse“, “ se retourne“, “souffre“ à la vue du péché des hommes, ses enfants ! Cependant, il laisse faire, il laisse la terre “se retourner“, “se révulser“ ; il laisse le mal proliférer, se propager ! Pourtant, il est le “Tout-Puissant“, il pourrait quand même arrêter ce processus du mal qui broie justes injustes, sans distinction !

Mais pourquoi donc ce “laisser-faire“, ce “silence” ? Ce sera la question de Job et de bien des psaumes. Le silence de Dieu dont on parle tant! Hans Jonas, philosophe juif, dont la mère est morte à Auschwitz, cherche une explication dans la création elle-même : “Pour faire place au monde, dit-il, l’Infini a dû se “contracter“ en lui-même pour laisser naître ainsi, à l’extérieur de lui-même, le néant au sein duquel et à partir duquel il a pu créer le monde. Sans ce retrait de Dieu en lui-même, rien d’autre ne pourrait exister en dehors de lui !“. Autrement dit, en créant, Dieu le Tout-Puissant à renoncé à sa toute puissance pour permettre à l’homme d’exister vraiment libre ! Edith Stein, cette juive convertie et devenue carmélite (déclarée bienheureuse par le pape Jean-Paul II) ne disait pas autre chose : “Dieu crée le monde comme la mer les continents : en se retirant“ !

A ce prix, le “laisser-faire“ de Dieu et son silence peuvent trouver un petit commencement d’explication. Et l’on comprend mieux la réflexion d’Osée : la souffrance de l’homme devient la souffrance de Dieu : son cœur “se retourne“ quand le mal “retourne“ l’œuvre de sa création ! “La souffrance des hommes trouve son prolongement dans celle de leur créateur“, écrira cet autre Juif, Elie Wiesel, rescapé d’Auschwitz (Cf. “La nuit“). “Présent à sa création, Dieu en fait partie ! Il se retrouve dans la souffrance au cœur même de l’aberration du mal. C’est une solidarité au niveau de Dieu. Ce qui nous arrive le touche !“.

Mais il objecte à son propre raisonnement : “La souffrance de l’un n’annule pas la souffrance de l’autre ! Alors ??“.

Commentant un verset du prophète Jérémie selon lequel Dieu dit : “Je pleurerai en secret“, un Midrash remarque qu’il existe un lieu nommé “secret“ ; et, lorsque Dieu est triste, il s’y réfugie pour pleurer…. Un autre midrash ajoute : lorsque Dieu voit les souffrances de ses enfants dispersés parmi les nations, il verse deux larmes dans l’océan ; en tombant, les larmes font un tel bruit qu’on l’entend d’un bout du monde à l’autre… Dieu verse certainement souvent plus de deux larmes ! Mais lâchement, les hommes refusent encore d’entendre !

Est-ce enfin une réponse ? Pas totalement sans doute ; c’est encore une question, une de plus !

Pourtant ! Pourtant, notre foi chrétienne affirme : “Et le Verbe s’est fait chair !“. Dieu s’est fait homme. Il a pris sur lui le péché des hommes. Car se faisant homme, il s’est fait solidaire des hommes ! “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis“. Lui, le Pur, fut l’Innocent condamné ! A l’excès du mal, Dieu, silencieux sur la croix, répond par un excès d’amour.

Qu’est-ce que cela change, vont demander encore tous les “Voltaire“ éternellement sarcastiques. Et bien cela change tout, parce que le Christ - Dieu fait homme - est bien mort injustement sous le poids du mal ! Mais il est ressuscité, toujours vivant !

Bon Carême.

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