Mardi après Epiphanie C 13
Avec la lecture d’aujourd’hui, nous
commençons la dernière partie de la lettre de St Jean. L’apôtre avait bien
insisté : le chrétien reconnaît qu’il est plongé dans la vie même de Dieu
à ceci : il aime ses frères parce qu’il croit à l’Amour de Dieu manifesté
en Jésus et transmis à nous-mêmes par leur Esprit commun,
l’Esprit-Saint !
Aussi, St Jean revient à ce qui est pour
lui l’essentiel : l’amour fraternel : “Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres !“. Et il
motive cette exhortation de deux façons :
1. L ’Amour vient de Dieu. "Dieu est
Amour !". C’est notre lecture d’aujourd’hui.
2. Et celui qui aime est né de Dieu et
connaît Dieu. (Lecture de demain).
Ainsi, en tout temps, affirmons comme St
Jean : Dieu est Amour, Charité.
Lorsque les traducteurs de la Bible
hébraïque (la
Septante)
ont voulu exprimé en grec l’Amour de
Dieu, ils ont choisi un mot très neutre, plat : “agapè“. (Benoît XVI en
parle dans sa première encyclique).
Dans le langage grec, ce mot sonnait un peu
comme une préférence (Je
préfère les poires aux pommes). Les traducteurs ont choisi ce mot sans grande
résonnance parce qu’ils ne voulaient pas enfermer Dieu dans la caractéristique
de tel ou tel autre mot :
“eros“ : amour de plaisir (j’aime le fromage,
par exemple) ;
“philia“ : amour (d’amitié) entre égaux,
“philostorgia“ : amour de sang,
familial (que
St Pierre et St Paul utilisent quelques
fois pour souligner que, enfants de Dieu nous sommes d’une même famille divine).
Quand on a voulu traduire en latin (la Vulgate), on a renoncé au
mot “amor“ pour prendre celui de “caritas“ qui exprime une réalité qui nous
est chère, qui a du prix !
Et en français, on a décalqué par le
mot “charité“. Le drame pour nous, c’est que ce mot a été chargé de tant de
connotations qu’il est devenu presque inutilisable. C’est toute la pratique de
l’aumône (paternaliste) qui est placée
sous ce mot ; et l’on parle de “faire la charité“ !...
Pourtant, on ne peut guère employer le mot
“amour“ que les chansonniers mettent à toutes les sauces (peu chrétiennes
souvent).
Je dis cela pour faire comprendre qu’il n’est pas toujours facile, pour un
prédicateur, de parler de l’“Amour de Dieu“ !
Cependant, l’idée que Dieu aime apparaît
dès l’Ancien Testament. Et chose curieuse, les mots employés sont du
vocabulaire de la passion elle-même. On dit de Dieu qu’il “brûle d’amour“, qu’il est “enflammé“
d’amour, qu’il soupire, languit pour son peuple. Oh ! Cette découverte n’a
pas été immédiate ! C’est surtout le prophète Osée qui a propagé cette
idée d’un Dieu-Amour, passionné pour son peuple comparé à une épouse infidèle. “Et bien, dit Dieu, c’est moi qui vais la séduire (le mot est très fort en hébreu (1), je la conduirai au désert, et je parlerai à
son cœur“ (2).
Et ce n’est pas par hasard que le Cantique
des cantiques pose la question : “Qui
est-ce qui monte du désert, comme une colonne de fumée, vapeur de myrrhe et
d'encens et de tous parfums exotiques ?“ (3.6). “Qui
est celle-ci qui monte du désert, appuyée sur son bien-aimé ?“ (8.5).
Et à partir d’Osée, cette idée d’un Dieu
qui aime à la folie va se développer. Jérémie, disciple d’Osée, parlera des
fiançailles d’Israël avec Dieu, au désert : “Je me rappelle l'affection de ta jeunesse, l'amour de tes fiançailles,
alors que tu marchais derrière moi au désert, dans une terre inculte“ (2.2).
Le Deutéronome ira plus loin : il
faut, demande-t-il, répondre à l’amour de Dieu par de l’Amour.
Isaïe, lui, s’attarde longuement à la
comparaison de l’amour conjugale.
Et avec Ezéchiel, Dieu aime tellement son
épouse qui s’est prostituée (= Israël avec ses idoles) qu’il finira par en
faire une Vierge ! - “Crée en moi un
cœur nouveau“, demandait David !
Mais, aucun livre de l’Ancien Testament
ne dit brutalement comme St Jean : “Dieu est Amour !“.
St Jean va au fond des choses ! “Dieu
est Amour !“ !
Et cela veut dire :
non pas qu’il arrive à Dieu, de temps en
temps, de poser des actes d’amour,
mais qu’il est Acte permanent
d’Amour !
Et tout ce qu’il fait, tout ce qu’il
manifeste dans le monde doit être rattaché à cet Amour. La création est ainsi
une œuvre permanente de son amour.
Et il faut percevoir ce regard d’amour de
Dieu même sur son “ jugement“, même sur le “jugement de condamnation“. Car
c’est dans cette pensée que l’on peut parler de l’“enfer“. Maurice Blondel a
écrit : “L’enfer, c’est Dieu disant
à l’homme : « Que ta volonté soit faite ! »“.
Autrement dit, s’il y a un être damné,
c’est lui qui l’a voulu ; ce n’est pas Dieu qui l’a damné. C’est lui qui
s’est coupé de la Vie parce qu’il l’a refusée. Dieu lui dit en quelque
sorte : “Je ne peux pas faire que tu
m’aimes, car l’amour est libre. Je ne
peux pas t’imposer de m’aimer, même si je te l’ai commandé. Mais toi, tu ne
peux pas faire non plus que je ne t’aime pas ! Tu ne peux pas m’interdire
de t’aimer - que tu en souffres ou non ! -. Tu ne peux m’empêcher d’être
ce que je suis : Amour !“
Et c’est peut-être jusque là que l’on peut comprendre combien Dieu est
Amour ! La souffrance du damné vient justement de ce que l’amour de Dieu le
brûle. De même que le Saint est celui qui est “consumé“ par l’Amour de Dieu, de
même le damné déteste Dieu parce que Dieu l’aime ! Il ne peut pas
supporter d’être aimé par Dieu (3).
St Thomas d’Aquin va jusqu’à dire que
l’Amour de Dieu est si grand qu’il ne peut s’empêcher, par miséricorde,
d’atténuer les souffrances des damnés. On ne peut échapper à Dieu ! Son
Amour nous poursuit toujours !
Voilà comment on peut penser quelque peu le
mystère de la damnation. S’il y en a, car l’Eglise, tout en affirmant que la
damnation est tout à fait possible (4), elle ne nous a jamais dit qu’un seul
était damné. Nous ne savons pas. Laissons cela au secret de Dieu.
Dieu est donc Amour ; et tout ce qui
sort de lui est Amour. Ce n’est donc pas
l’Amour qui est de Dieu. C’est Dieu qui est l’absolu de l’Amour. Et c’est Amour
divin s’est manifesté en Jésus-Christ, ce que nous rappelle toute
Eucharistie !
(1) Le mot est employé
par ailleurs à propos de la séduction, du rapt ou du viol d’une jeune
fille !
(2) Jeu de mots : “ midbar dibarti“ : “au désert, je parlerai“
(3) Naguère, aux enfants du catéchisme je
rappelais l’histoire du Père Maximilien Kolbe, ce religieux enfermé, avec ses compagnons
d’infortune, dans le blockhaus de la faim. Le commandant du camp qui venait
voir parfois comment les suppliciés se comportaient, ne pouvait supporter le
regard du religieux qui, malgré tout, gardait un regard d’amour qui venait de
Dieu-Amour en lui !
(4) Nous ne pourrions pas dire à Dieu “Oui“, si
nous ne pouvions pas lui dire “Non“. Et nous ne pourrions pas lui dire “Non“,
si nous ne pouvions pas lui dire “Oui“ !
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