JEUDI-SAINT 2016 -
"Ceci
est mon Corps livré pour vous. Faites cela en mémoire de moi !". (I Cor 11/24). Et c'est avec
passion que l'apôtre Paul rappelait à ses fidèles de Corinthe "la Tradition qui vient du Seigneur"
: l'événement du Jeudi Saint.
Et, ordinairement, nous entendons avec
attention, prononcées par un prêtre, les paroles de Jésus : "Ceci est mon Corps… Ceci est mon Sang
!".
Pourtant..., pourtant, notre faiblesse est
telle qu'une certaine lassitude, une furtive inattention se lisent parfois sur
nos attitudes au cours de la célébration de l'Eucharistie.
Aussi, en ce Jeudi-Saint, faisons effort
pour redécouvrir l'étonnante actualité de ce grand sacrement.
A vrai dire, il est présomptueux de tenter
d'évoquer, rapidement, ce Mystère de l'Eucharistie. Il est si riche ! Et
c'est, peut-être, cela qui décourage notre intelligence. D'ailleurs, il est
curieux de constater comment, depuis le Concile Vatican II surtout, on met en
lumière, tour à tour, tel ou tel aspect du "Mystère", en le privilégiant
avec excès, parfois, par rapport aux autres.
- Pour les uns, l'Eucharistie, c'est
surtout le renouvellement du sacrifice rédempteur du Christ qui s'offre
à son Père, renouvellement qui donne valeur à l'offrande de toutes nos peines,
échecs, impuissances.
- Pour d'autres, c'est tout simplement l'Incarnation
chaque fois renouvelée : le Christ est là, près de ses disciples, en
tout temps et en tout espace. Il est avec eux, là-même où ils se
trouvent ; il est là en leurs peines et travaux, en leur silence comme
en leurs relations fraternelles. Il est là, suprême levain divin pour
tous ceux qui désirent soulever la pâte des affaires humaines en vue de la
construction du Royaume de Dieu !
- Pour ceux-ci, encore, c'est avant tout la
fête pascale. Au milieu de nos routines, ennuis, deuils…, des évènements
mortifères, il nous est bon de redire notre foi en la Résurrection, de
nous souvenir qu'en Jésus-Christ, la vie est plus forte que toutes les
puissances de mort conjuguées !
- Pour ceux-là, c'est la fête du Repas,
du Pain partagé. Les chrétiens réunis en petis groupes, s'exclament : "Oh ! Qu'il est bon d'être tous
ensemble !" (Ps
133). Dans un monde anonyme et froid, il est
réconfortant de communier dans une même ferveur, de partager notre vie avant
d'accueillir "Celui qui
revient" et qui "reviendra"
définitivement en sa gloire !
Je ne sais quelle est, actuellement, dans
le Mystère Eucharistique, la facette qui nourrit le plus la foi d'ici ou
d'ailleurs. J'oserais même dire qu'à la limite, cela n'a pas tellement
d'importance, qu'il n'est pas forcément nécessaire de choisir, encore moins de
crier au définitif ou à l'Absolu. L'Eucharistie, "Don de Dieu", nous
dépasse tellement !
Mais il me semble qu'en ce Jeudi Saint,
tous, - laïcs, prêtres, religieux -, nous avons une seule question à nous poser
: "L'Eucharistie me fait-elle vivre
?".
Car si le Christ nous a dit : "Ceci est mon Corps donné pour vous…
Ceci est mon Sang livré pour vous…", c'est d'abord pour que nous
puissions exercer notre activité de croyants
en Jésus-Christ.
Ainsi, participer à l'Eucharistie, c'est :
- croire en Jésus-Christ, Dieu fait
homme. Et ce n'est pas toujours simple. Dépouillée de la chaude ambiance
de Noël, l'Incarnation du Fils de Dieu,
premier signe de la Tendresse de Dieu pour l'homme, déroute parfois nos petits
esprits raisonneurs !
- … c'est croire en Jésus-Christ, mort
pour tous les hommes. Et ce n'est pas toujours simple. La Passion du Christ
et sa Croix, nous déroutent parfois.
- … c'est croire en Jésus-Christ, pour "nous
incorporer" à Lui, à Lui qui se donne à nous.
Avons-nous véritablement admis qu'à chaque
Eucharistie se réalise pour nous l'admirable parole de St Paul : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est le
Christ qui vit en moi !". Jamais aucun amour humain n'a réalisé une
telle union : ma vie d'homme, de femme, de jeune ou d'adulte est transformée
en celle de Jésus-Dieu… !
Peu importe alors que l'on parle de
"trans-fusion", "trans-signification" ou
"trans-substantiation"… ! L'essentiel est bien que, par la présence
du Christ dans l'Eucharistie, je sois "trans-porté " au-delà de mes
petites limites égoïstes, que l'Esprit de Jésus s'empare, en fait, de moi pour
penser, vouloir, aimer à ma place.
Mon idéal chrétien est bien alors celui-ci
: ce n'est plus moi qui vis avec ma modeste intelligence, ma propre sensibilité
parfois énervée et énervante... etc. ; c'est le Christ qui vit en moi avec
toute sa dimension divine, avec surtout son amour divin
C'est ainsi que l'on peut pressentir
quelles sont les conséquences fondamentales d'un tel Mystère : Il ne s'agit
plus seulement pour nous de comprendre ou de croire. Il faut vivre ! Vivre
l'Eucharistie !
Le Christ se donne à "manger et boire" pour qu'à notre tour, nous nous
laissions "manger et boire". Quand le Christ, au repas de la Cène,
ajoute : "Vous ferez ceci en mémoire
de moi…", il ne s'adresse pas seulement aux prêtres en leur confiant
la célébration sacramentelle de sa Mort et de sa Résurrection, mais il demande
à tout baptisé - ministre compris - d'accomplir ce que Lui vient de faire : un
Sacrifice amoureusement offert.
En clair, chaque fois que nous prononçons
ou entendons : "Ceci est mon Corps,
ceci est mon Sang… Faites ceci en mémoire de moi…", nous sommes
invités à ce que toute notre vie - avec travail, joies, peines, espoirs...
-, soit transposée en Jésus-Christ. Tout cela ne nous appartient plus ; c'est
donné, c'est livré !
St Ignace d'Antioche l'avait bien compris,
lui qui disait avant son martyre : "Je
suis le froment de Dieu et je suis moulu par la dent des bêtes pour devenir un
pain très pur du Christ !".
"Je
suis le Froment du Christ !", disait St Ignace.
"Je
vous exhorte,
demandait St Paul, à offrir vos
personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu… !"
Le Jeudi-Saint, après le lavement des pieds
qui est si intimement lié à l'institution de l'Eucharistie, le Christ avait
prévenu ses Apôtres : "C'est un
exemple que je vous ai donné, afin que vous fassiez, vous aussi, comme j'ai
fait pour vous… !".
Ce sont des paroles que nous connaissons
bien ; mais les avons-nous "assimilées", prises au sérieux : y-a-t-il
vraiment un lien véritable entre l'Eucharistie et notre vie ?
En théorie, nous acceptons sans doute
d'être le "froment du Christ"
! Oui, bien sûr ! Mais sommes-nous "comestibles ?". Sommes-nous prêts
non pas à 'manger" nos frères, - à les utiliser égoïstement -, mais à "être
mangés" nous-mêmes ? A être à leur service gratuitement.
Sinon, on risque fort d'entendre parfois
autour de nous ce désespérant soupir : "La
messe ! Pourquoi s'y rendre ? A quoi ça sert ?".
Oui, nous sommes trop souvent des pains
durs, rassis par l'égoïsme, et des vins aigrelets à cause de l'orgueil ; et celui,
celle qui viennent vers nous risquent de s'y briser les dents, de s'y user
l'estomac. Nous avons du mal à faire transparaître notre foi eucharistique dans
le concret de nos existences, même si nous y participons chaque jour.
Et ils n'ont pas toujours tort ceux qui
nous reprochent notre suffisance ! Le P. Chevrier avait raison : "Il est difficile,
disait-il, de se laisser manger par ses
frères !".
Faudrait-il donc, en ce Jeudi Saint,
sombrer dans la désespérance ?
Non, car l'Eucharistie n'est pas seulement
le signe d'une union entre les hommes ; elle est la venue en nos vies du
Seigneur, aujourd'hui et demain ; elle est l'annonce de son retour dans sa
gloire divine ; et à ce moment-là - le signe faisant place à la réalité - nous
serons tous en Lui.
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