5ème Dimanche de Carême 16/C -
Quelle aubaine pour les ennemis de Jésus !
Ils sont sûrs, ce jour-là, d'avoir trouvé la manière de le “piéger”. Ils
traînent devant lui une "pécheresse", comme ils disent..., comme l’on
dit toujours !
Mais, finalement, ce n'est pas cette
femme qu'ils veulent juger, c'est Jésus. Ils espèrent, ce jour-là, le
mettre dans une situation impossible : “Moïse
nous a ordonné de lapider ces femmes-là, et toi que dis-tu ?”.
Le piège est bien monté, le dilemme
implacable. Si Jésus approuve Moise, toutes ses paroles sur le pardon des
pécheurs, sur Dieu miséricordieux ne sont que du vent Et s'il se
prononce pour l'acquittement, il se met en opposition avec la Loi. Pas
d'échappatoire !
Comment Jésus va-t-il sortir de là ?
Que fait-il, penché vers la terre ? Veut-il éviter, par délicatesse, de croiser le
regard de cette femme ?
Que fait-il à griffonner sur la
poussière ? Veut-il éviter de pointer son doigt vers la malheureuse ?
Soudain, il crève le silence par une de ces
paroles dont il a le secret et qui bouleversera tous les débats : “Celui d'entre vous qui est sans péché,
qu'il soit le premier à lui jeter une pierre !". Autrement dit, il
demande d'abord aux juges de se juger eux-mêmes, en conscience. Il demande
aux accusateurs de voir s'ils n'ont pas à s'accuser eux-mêmes, en conscience.
Et vous savez la suite : ils s'en vont l'un après l'autre, à commencer par les
plus âgés !
La femme, elle, a dû se souvenir, sa vie
durant, des mots que Jésus lui a adressés : “Moi
non plus je ne te condamne pas, va, et désormais ne pèche plus”.
Cette femme ! On n’en
sait pas plus ; on ne connaît même pas son nom ! L’évangile ne le
révèle pas et ne dit pas ce qu'elle est devenue. Pourquoi ? La réponse est
simple : cette personne qui a péché, c'est moi, c'est peut-être vous, c'est
sûrement nous, c'est l'humanité pécheresse !
Mais alors, si c'est nous, c'est donc
devant nous, ce matin, que Jésus se tient, et c'est à nous qu'il redit ces
paroles. Que veut-il nous dire ? La même chose, avec les mêmes mots : deux
phrases aux significations immenses.
La première : “Celui d'entre vous qui est sans péché,
qu'il soit le premier à lui jeter une pierre !".
Y a-t-il une phrase qui en dise aussi long
en aussi peu de mots, et avec autant de justesse, sur la condition humaine ?
Qui peut s'ériger véritablement en juge de
son frère ?
Oh ! D'abord une réponse de bon sens
:
Que sait-on de cet homme que l’on juge ?
Que sait-on de cette femme que l’on
condamne ?
Que sait-on de ce couple qui a divorcé ?
Que sait-on de l'enfance de ce jeune
délinquant ?
Que sait-on de cet homme qui s'est donné la
mort ?
Oui, Que sait-on ? Que sait-on ? etc…
Jean Cocteau avait raison d'écrire : "Surtout, surtout, sois indulgent.
Hésite sur le seuil du blâme. On ne sait jamais les raisons, ni l'enveloppe
intérieure de l'âme, ni ce qu'il y a dans les maisons, sous les toits, entre
les gens !".
Et voici une deuxième réponse que suggère
l'évangile : Qui es-tu, toi-même, pour juger ? Avant de juger ton frère,
commence donc par te juger toi-même, en conscience. Ecoute bien cette parole de
Jésus : “Que celui qui est sans péché,
jette la première pierre !". Une parole qui donne envie d'ouvrir la
main pour lâcher la pierre que l’on s'apprêtait à lancer.
Non pas tellement la pierre d'une remarque
incisive et de circonstance. Jésus lui-même ne s'en privera pas à l'encontre
- de ses apôtres eux-mêmes qu'il qualifiait
d'"esprit bouchés",
- de certains scribes et pharisiens aux attitudes
hypocrites,
- d'Hérode lui-même qu'il affublait, avec
humour, du sobriquet de "renard"
!
Mais il s'agit plutôt, comme pour la
femme de l'évangile, de lâcher la pierre tranchante...
- d'une accusation sans instruction,
- d'un jugement sans partie
contradictoire,
- d'une condamnation sans appel et
qui ternit à tout jamais une réputation.
Cet évangile interroge chacun de nous à ce
niveau-là.
Il interroge aussi notre Église à ce
niveau-là. Naguère, le Cardinal Martini, ancien archevêque de Milan, en
commentant ce texte, avait eu le courage de dire aux hommes d'Eglise de ne
pas juger seulement en référence à une Loi…, mais de toujours penser à
l'homme, même pécheur, et que Dieu aime. Peut-être nous faut-il, nous aussi,
apprendre à écrire sur la poussière de façon très éphémère.
Et je me faisais cette réflexion : je
n'ai pas connu, par exemple, Mgr Helder Camara, ni l'Abbé Pierre et bien
d'autres évidemment... ! Par contre, j'ai connu, par exemple, Mgr Annibale
Bugnini, le liturgiste de Vatican II, puisqu'il m'a ordonné prêtre... Un livre
sur sa vie vient de paraître...
Et bien, sur eux et sur bien d'autres plus
ou moins célèbres, j'entends encore, je lis encore quelques désaccords à propos
de certaines de leurs positions. Oh, désaccords tout à fait légitimes, après
tout ! Mais qui ne devraient jamais se transformer en jugements
définitifs venant ternir l’action de toute une vie.
Eux aussi - et bien d'autres avec eux - ont
souvent écrit sur la poussière du sol. Et parfois également, comme le fait le
pape François, ils se sont relevés pour crier leurs interrogations sur l’homme,
la femme. Sur l'homme, la femme de toujours qu'ils voulaient conduire à Dieu
plein de miséricorde au prix de bien des souffrances, voire de leur vie, à
l'exemple du Christ.
Et n'oublions pas non plus : si le péché
personnel d'un jugement fait des malheurs autour de nous, ne serait-ce qu'en
nos familles, le péché collectif d'une condamnation tacite, le péché de
l'oubli, le péché de l'indifférence, comme dit souvent le pape François,
fait des drames dans le monde.
Qu'as-tu fait de ton frère ? Pas seulement
celui qui est près de toi, mais de l’homme, de la femme, de cette femme de
l’évangile d’aujourd’hui qui représente toute l'humanité que Jésus est venu
sauver. Et, si nous la regardons bien, cette femme-humanité sauvée par le sang
du Christ, nous qui ne sommes pas sans péchés, nous n’oserons plus jeter la
pierre, mais plutôt prendre une pierre et encore une pierre pour essayer de bâtir
le Royaume de Dieu, dès ici-bas.
Et Jésus dit encore une seconde parole :
“Moi non plus, je ne te condamne pas,
va et ne pèche plus !”. Ces mots-là aussi ont une signification
immense, à condition de bien les comprendre.
Car il ne faut pas voir dans cet épisode
l'illustration d'une sorte d'indulgence de Jésus, de complaisance à bon
compte, à la limite de la tolérance complice. Rien de ce qu'on peut savoir du
Christ, ne se prête à cette interprétation.
Non ! Le mal, c'est le mal ; Jésus
l'a souvent dénoncé : et il faut savoir le dénoncer, le combattre ouvertement.
Notre religion n'est pas une "religion
de salon", disait le pape dernièrement - on pourrait dire ici avec humour
: une religion de parloir -. Jésus ne fermait pas les yeux sur la gravité du
péché. Mais il les ouvrait bien davantage encore sur le visage du pécheur !
Soyons clairs, Jésus a toujours dénoncé
le péché, et avec quelle vigueur parfois ! - Et il faut le
faire encore ! -. Mais il a toujours accueilli le pécheur. Feuilletez
l'album de famille, l'évangile ! Vous y rencontrerez Zachée, Matthieu, les
publicains, Marie-Madeleine, la Samaritaine, et même ce prisonnier de droit
commun sur son poteau d'exécution.
Jésus nous révèle le vrai visage de Dieu
qui n'est qu'amour, non pas pour encourager je ne sais quel laxisme…, mais
pour proclamer la miséricorde divine.
Car Dieu n'attend pas que nous changions
pour nous pardonner, il nous pardonne pour que nous changions ! J’en suis de
plus en plus persuadé : Dieu nous prend tels que nous sommes et là où nous en
sommes. Et il dit à chacun : “Viens,
suis-moi !”, tel que tu es !
Finalement, Jésus n’est certes pas venu
contredire les exigences de la Loi. Il n’est pas venu abolir, mais accomplir,
disait-il. Mais il sait de quoi nous sommes pétris. Il se souvient que nous
sommes poussière…, que nous retournerons en poussière. Mais nous savons que
c'est de cette poussière même qu'il nous façonnera, comme au premier jour de la
création, en "homme nouveau",
disait St Paul, pour la vie éternelle.
Oui, ce jour-là et dès aujourd’hui, Jésus,
de son doigt divin, dessine sur la poussière de nos vies, comme pour signifier
que la Loi divine doit s’écrire jusque dans nos immenses fragilités.
Aussi, il nous redit aujourd'hui par son
prophète Isaïe : "Ne songez plus au
passé. Je fais un monde nouveau !". Un monde de ressuscités, dirait St
Paul. Disons avec lui : "Une seule
chose compte : oubliant ce qui est en arrière, tout tendu vers l'avant, je cours...",
vers Dieu-Père, plein de miséricorde !
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