dimanche 23 novembre 2014

Royaume d'Amour !

Fête du Christ-Roi A/14

Dans l'évangile, Jésus nous dit que le seul visa pour l'éternité sera notre amour pour le prochain, spécialement pour celui qui souffre, qui est malheureux.
Au soir de notre vie, il ne nous sera pas demandé le nombre de nos actions héroïques, la qualité de nos productions scientifiques, littéraires, l'observation rigoureuse de préceptes et prescriptions, de règlements et règlementations, de codes et consignes...
Au soir de notre vie, nous regarderons les visages rencontrés ou évités et nous les entendrons, chacun, nous dire : "tout ce que tu m'as fait ou pas fait, c'est à Dieu que tu l'as fait ou pas fait. Tout ce que tu m'as donné de joie ou de douleur, c'est à Dieu que tu l'as donné". C'est devant "l'autre", ce prochain le plus proche, ce quelqu'un le plus quelconque, que se joue notre destin éternel.

De tout ce que nous aurons réalisé, pensé, découvert sur cette terre, il ne restera plus qu'une seule réalité : ces rencontres avec nos frères. Dieu met sur notre chemin des êtres meurtris, privés de pain, de chaleur humaine, de dignité, de liberté, d'amour. En verrions-nous seulement un sur cent, c'est cet amour concret qui nous sauvera.

L'enjeu est si fulgurant que nous nous empressons parfois d'oublier cette page d'évangile... Pourtant, Dieu y tient ! Déjà, il proclamait par le prophète Isaïe (Cf. 58.7sv) : Si tu tends la main à ton frère souffrant, tes blessures seront cicatrisées, ton bonheur se lèvera comme une aurore. Si tu ne te dérobes pas devant le tourment de ton semblable, je serais là, tout proche de toi... !
Jésus, lui, va encore beaucoup plus loin. Il s'identifie réellement à tout homme qui souffre, à tout homme humilié.

Si l'on a dit de Mozart qu'il est la musique faite homme, on pourrait dire de Jésus qu'il est l'Amour fait homme. Il donne un visage précis à ce mot "Amour" dont la géométrie est tellement variable aujourd'hui. Jésus nous dit et redit : tu veux savoir ce que signifie le verbe aimer, interroge donc ceux que j'ai rencontrés. Interroge ces exclus de toutes les exclusions, ces affamés de toutes les faims, ces blessés de toutes les blessures.

Interroge cette femme prise en flagrant délit d'adultère, condamnée à la mort la plus infamante... Arrachée à l'horreur, elle te dira de quel amour elle fut aimée...

Interroge ce fonctionnaire véreux, cet escroc, Zachée, exploiteur des pauvres, objet de dégout pour ses compromissions avec l'occupant. Libéré des ambitions qui le dévorent, il te dira si ce jour-là il fut aimé...

Interroge cette prostituée, objet de sarcasmes chez Simon le Pharisien. Qu'elle te dise mon regard sur elle, ce regard qui a changé en diamant la fange de sa vie. Cette femme saura te raconter ce que "aimer" veut dire ...

Interroge cet homme à la main desséchée que j'ai guéri un jour de Sabbat dans la Synagogue, transgressant, pour lui tout seul, le tabou le plus sacré. Lui aussi a connu la puissance libératrice de l'amour...

Interroge Simon-Pierre, après son reniement et son pardon reçu ; demande-lui jusqu'où va l'amour lorsque c'est Dieu fait homme qui aime.

Interroge ces multitudes de pécheurs publics et dévoyés de tout acabit, ils te diront ce que j'ai enduré de mépris de réprobation pour avoir osé les fréquenter, les rencontrer.

Oui, le Christ, dans une refonte totale de l'échelle des valeurs, s'en est pris à tous nos systèmes d'exclusion... Comme le mal doit être profond en nous pour que deux mille ans plus tard, nous ne cessions toujours pas d'exclure !... Et lorsqu'il n'y a pas de motif d'exclusion, nous en inventons... : "J'exclus donc je suis". - "Pas de pitié pour ceux qui ne sont pas comme moi !" Telle est la loi impitoyable de la survie humaine, pourrions-nous dire.

Or sur la Croix, cette logique d'exclusion semble triompher... !
Pourtant, n'est-ce pas là que l'amour va le plus loin, en Jésus-Christ ?... Car que peut naître sur le visage d'un torturé sinon le rictus de la vengeance ?... Le Christ, lui, à cet instant, n'a pourtant qu'une pensée : Prier pour ses bourreaux.
Le projet du mépris était d'engendrer le mépris. Cette fois, avec le Christ, la haine est vaincue. L'overdose de la haine a décuplé l'amour.
Ce n'est pas en raison de je ne sais quel mauvais gout morbide que les chrétiens privilégient l'image du Christ en croix. Ils y voient la certitude que chaque homme est aimé à la folie. Le prophète Isaïe avait bien annoncé la parole du Christ en Croix : "Regarde, je t'ai gravé sur la paume de mes mains" (49.16). Oui, la dimension sacrée du plus petit parmi les humains ne vient pas seulement de ce qu'il est taillé dans l'étoffe divine "à l'image et ressemblance" de Dieu, qu'il est né du cœur de Dieu-Créateur ; mais la dimension sacrée de l'homme vient encore et surtout de ce qu'il est : "Celui pour qui le Christ est mort !".

Le Christ ne laissera pas se perdre un des plus petits parmi les hommes, car c'est pour lui qu'il est mort par amour. C'est à cause de cet amour qu'il pouvait annoncer par le prophète Ezéchiel (34.16sv) : "La brebis perdue, je la chercherai, je la ramènerai, je la soignerai. Je lui rendrai forces !".

C'est avec un sceptre de dérision et une couronne d'épines que Jésus affirme sa royauté. Cet amour, nié, bafoué, crucifié, c'est pourtant là, le secret de l'univers, la force qui peut mouvoir les hommes, qui peut instaurer le Royaume de Dieu. C'est l'amour seul qui aura le dernier mot, parce qu'il est l'unique réalité, l'unique absolu.

Or c'est sur cet amour que nous serons jugés, car il est la seule réalité du Royaume de Dieu.
C'est ainsi que tout sera sous le pouvoir du Fils, nous dit St Paul. Et ce Fils se remettra lui-même sous le pouvoir au Père qui lui a tout soumis. Et ainsi "Dieu sera tout en tous !". ROYAUME de DIEU !
N'est-ce pas en cela que doit se manifester, dira St Paul par ailleurs (I Thess 1.2), notre foi active, notre amour qui se met toujours en peine, notre persévérante espérance en NS. Jésus Christ ?

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