Fête du Christ-Roi A/14
Dans
l'évangile, Jésus nous dit que le seul visa pour l'éternité sera notre amour
pour le prochain, spécialement pour celui qui souffre, qui est malheureux.
Au soir de
notre vie, il ne nous
sera pas demandé le nombre de nos actions héroïques, la qualité de nos
productions scientifiques, littéraires, l'observation rigoureuse de préceptes
et prescriptions, de règlements et règlementations, de codes et consignes...
Au soir de
notre vie, nous regarderons les visages rencontrés ou évités et nous les
entendrons, chacun, nous dire : "tout
ce que tu m'as fait ou pas fait, c'est à Dieu que tu l'as fait ou pas fait.
Tout ce que tu m'as donné de joie ou de douleur, c'est à Dieu que tu l'as
donné". C'est devant "l'autre", ce prochain le plus
proche, ce quelqu'un le plus quelconque, que se joue notre destin éternel.
De tout ce
que nous aurons réalisé, pensé, découvert sur cette terre, il ne restera plus
qu'une seule réalité : ces rencontres avec nos frères. Dieu met sur
notre chemin des êtres meurtris, privés de pain, de chaleur humaine, de
dignité, de liberté, d'amour. En verrions-nous seulement un sur cent, c'est cet
amour concret qui nous sauvera.
L'enjeu est
si fulgurant que nous nous empressons parfois d'oublier cette page
d'évangile... Pourtant, Dieu y tient ! Déjà, il proclamait par le prophète
Isaïe (Cf. 58.7sv)
: Si tu
tends la main à ton frère souffrant, tes blessures seront cicatrisées, ton
bonheur se lèvera comme une aurore. Si tu ne te dérobes pas devant le tourment
de ton semblable, je serais là, tout proche de toi... !
Jésus, lui,
va encore beaucoup plus loin. Il s'identifie réellement à tout homme qui
souffre, à tout homme humilié.
Si l'on a
dit de Mozart qu'il est la musique faite homme, on pourrait dire de Jésus qu'il
est l'Amour fait homme. Il donne un visage précis à ce mot "Amour"
dont la géométrie est tellement variable aujourd'hui. Jésus nous dit et redit :
tu veux savoir ce que signifie le verbe aimer, interroge donc ceux que j'ai rencontrés.
Interroge ces exclus de toutes les exclusions, ces affamés de toutes les faims,
ces blessés de toutes les blessures.
Interroge
cette femme prise en flagrant délit d'adultère, condamnée à la mort la plus
infamante... Arrachée à l'horreur, elle te dira de quel amour elle fut aimée...
Interroge ce
fonctionnaire véreux, cet
escroc, Zachée, exploiteur des pauvres, objet de dégout pour ses compromissions
avec l'occupant. Libéré des ambitions qui le dévorent, il te dira si ce jour-là
il fut aimé...
Interroge
cette prostituée, objet de
sarcasmes chez Simon le Pharisien. Qu'elle te dise mon regard sur elle, ce
regard qui a changé en diamant la fange de sa vie. Cette femme saura te
raconter ce que "aimer" veut dire ...
Interroge
cet homme à la main desséchée que j'ai guéri un jour de Sabbat dans la Synagogue,
transgressant, pour lui tout seul, le tabou le plus sacré. Lui aussi a connu la
puissance libératrice de l'amour...
Interroge
Simon-Pierre, après son
reniement et son pardon reçu ; demande-lui jusqu'où va l'amour lorsque c'est
Dieu fait homme qui aime.
Interroge
ces multitudes de pécheurs publics et dévoyés de tout acabit, ils te diront ce que j'ai
enduré de mépris de réprobation pour avoir osé les fréquenter, les rencontrer.
Oui, le
Christ, dans une refonte totale de l'échelle des valeurs, s'en est pris à tous
nos systèmes d'exclusion... Comme le mal doit être profond en nous pour que
deux mille ans plus tard, nous ne cessions toujours pas d'exclure !... Et
lorsqu'il n'y a pas de motif d'exclusion, nous en inventons... : "J'exclus
donc je suis". - "Pas de pitié pour ceux qui ne sont pas comme moi !"
Telle est la loi impitoyable de la survie humaine, pourrions-nous dire.
Or sur la
Croix, cette logique d'exclusion semble triompher... !
Pourtant, n'est-ce
pas là que l'amour va le plus loin, en Jésus-Christ ?... Car que peut
naître sur le visage d'un torturé sinon le rictus de la vengeance ?... Le
Christ, lui, à cet instant, n'a pourtant qu'une pensée : Prier pour ses
bourreaux.
Le projet du
mépris était d'engendrer le mépris. Cette fois, avec le Christ, la haine est
vaincue. L'overdose de la haine a décuplé l'amour.
Ce n'est pas
en raison de je ne sais quel mauvais gout morbide que les chrétiens
privilégient l'image du Christ en croix. Ils y voient la certitude que
chaque homme est aimé à la folie. Le prophète Isaïe avait bien annoncé la
parole du Christ en Croix : "Regarde,
je t'ai gravé sur la paume de mes mains" (49.16). Oui, la dimension sacrée du
plus petit parmi les humains ne vient pas seulement de ce qu'il est taillé dans
l'étoffe divine "à l'image et
ressemblance" de Dieu, qu'il est né du cœur de Dieu-Créateur ; mais la
dimension sacrée de l'homme vient encore et surtout de ce qu'il est : "Celui pour qui le Christ est mort !".
Le Christ ne
laissera pas se perdre un des plus petits parmi les hommes, car c'est pour lui
qu'il est mort par amour. C'est à cause de cet amour qu'il pouvait annoncer par
le prophète Ezéchiel (34.16sv) : "La brebis perdue, je la chercherai, je la ramènerai, je la
soignerai. Je lui rendrai forces !".
C'est avec
un sceptre de dérision et une couronne d'épines que Jésus affirme sa royauté.
Cet amour, nié, bafoué, crucifié, c'est pourtant là, le secret de l'univers, la
force qui peut mouvoir les hommes, qui peut instaurer le Royaume de Dieu.
C'est l'amour seul qui aura le dernier mot, parce qu'il est l'unique réalité,
l'unique absolu.
Or c'est sur
cet amour que nous serons jugés, car il est la seule réalité du Royaume de
Dieu.
C'est ainsi
que tout sera sous le pouvoir du Fils, nous dit St Paul. Et ce Fils se remettra
lui-même sous le pouvoir au Père qui lui a tout soumis. Et ainsi "Dieu
sera tout en tous !". ROYAUME de DIEU !
N'est-ce pas
en cela que doit se manifester, dira St Paul par ailleurs (I Thess 1.2), notre foi active, notre amour
qui se met toujours en peine, notre persévérante espérance en NS. Jésus Christ
?
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