T.O.
33e Dimanche -
Il est une expression que l'on entend
souvent : "Qu'est-ce que j'ai fait
au Bon Dieu pour qu'il m'arrive une catastrophe pareille ?". Et
pourquoi ne dit-on jamais : "Qu'est-ce
que j'ai fait au Bon Dieu pour être aussi heureux ?". -
Cela en dit long sur nos relations avec
Dieu ! Nous ressemblons souvent à ce serviteur de la parabole qui s'avance vers
son Maître et lui dit : "je savais
que tu es un homme dur, j'ai eu peur !". Et il lui rend le seul talent
qui lui avait été confié. Il rejette sur son Maître son manque d'initiative, sa
peur du risque : "Tu demandes des
choses impossibles ; alors, j'ai eu peur" !
Rappelons-nous ! Adam, devant Dieu qui lui
demande des comptes, rejette la faute sur Eve… qui la rejette sur le serpent.
Quand on se trouve dans l'incapacité de prendre un risque, on rejette les
responsabilités sur les autres…, sur Dieu lui-même ! Or le talent que Dieu nous a confié et qui
est notre propre cœur - cette capacité à aimer ayant été créé "à
l'image et ressemblance" de Dieu-Amour -, ce talent, pourquoi
l'enterrons-nous si souvent ? Notre angoisse, notre solitude, notre ennui ne
viennent pas de Dieu ; ils sont souvent conséquences d'un amour inemployé,
d'une infidélité !
"Dis-moi
comment tu vis, je te dirai qui est ton Dieu !", a-t-on dit. Si tu
vis frileusement, tristement, avec avarice de cœur, alors, tu diras, toi aussi,
que ton Dieu est méchant ! Mais Dieu, Lui, nous dira : "Pourquoi ton œil serait-il mauvais parce que Moi, je suis bon
?" (Mth
20.15).
Pourtant, pourtant, tout au long de la
Révélation biblique, Dieu se révèle superbe en générosité, magnanime.
Dans un débordement de tendresse, il crée l'homme. Il lui confie l'univers. Il
ouvre à sa créativité tous les chantiers possibles, depuis l'invention du feu,
jusqu'à la cueillette des comètes, comme le prouve, il y a quelques jours, le
robot Philaé déposé sur la comète Tchouri par la sonde Rosetta à 500 millions
de km de la terre, après un parcours de plus de dix ans ! Ce qui va permettre
sans doute une moisson de renseignements scientifiques au bénéfice de l'homme !
(s'il le veut !)
Rien n'est trop grand pour l'homme créé à l'image de
Dieu, destiné à aimer par toutes sortes d'ingéniosités !
Ce n'est pas une histoire de fruit qui a perdu
l'homme, qui l'a lézardé, brisé de l'intérieur. C'est plutôt l'orgueil qui,
toujours, le pousse à vouloir prendre ce que Dieu veut lui donner, orgueil
suscité par l'éternel Tentateur : "Vous
serez comme des dieux" (Gen 3/5). Certes, c'était bien là le projet de
Dieu. Mais devenir Dieu, c'est se recevoir d'un autre, et non pas aller
répétant : "Moi, moi, et toujours
moi" ! Comme le rapportait le prophète Isaïe : "Dans ton cœur, tu disais : C'est moi qui compte ; le reste n'est
que néant !" (Is
47/8.1O).
Ce projet du Créateur est merveilleusement
décrit au chapitre 16àme du prophète Ezéchiel. Je vous invite à le
relire : l'Eternel se compare à un jeune prince - c'est le Maître de la
parabole - qui, durant une promenade, rencontre un nouveau-né, une petite
fille, jetée là, au milieu d'un champ, au jour même de sa naissance. Il porte
contre son cœur cette enfant couverte de sang ; et il fait une promesse : "Tu vivras !". Rien ne sera
trop beau pour cette petite fille, son enfant choisi, Israël, cette gamine
qu'il a arrachée à la mort. "Tu
vivras, tu t'épanouiras comme les fleurs des champs !".
Aimée d'un tel amour, la petite fille
grandit. Le Prince s'en émerveille : "Tu
deviens, dit-il, de plus en plus
éblouissante… grâce à mon amour dont je t'avais enveloppée…". Le Prince, devenu roi, est amoureux de celle
qui lui a demandé tant de soins, de tendresse. Le Cantique des Cantiques nous
livre quelques confidences de cet amour : "Comme
ta voix est douce, et ton visage, charmant ! (Cant 4/9).
La jeune fille devient reine. Mais là, tout
se gâte. La bien-aimée n'est pas bien-aimante. Elle offre à ses amants les
cadeaux de son mari… Le roi pleure en secret l'orgueil de celle qu'il ne veut
ni ne peut arracher de son cœur. Il l'aimera si fort, si fort, qu'elle
reviendra… !
Le thème de cette parabole rejoint celle de
l'évangile... Il court tout au long des livres prophétiques. Il en est la trame
!
Et Israël, désormais, c'est chacun de nous. C'est notre
histoire qui est racontée là. L'amour de Dieu pour l'homme va se dire
sur tous les tons, sur tous les registres, du plus tendre au plus douloureux :
amour du berger pour chacun de ses moutons (Ez 34), amour du potier pour ses œuvres d'argile (Is 45/9 & Jer.
18/3),
amour du vigneron pour sa vigne (Is 5/1 & Ez. 15/1), amour de l'ourse pour ses petits (Os. 13/8), amour du père
pour son fils dévoyé (Jer.
31/2O).
Toutes ces lettres d'amour adressées à
chacun, pourquoi resteraient-elles toujours cachetées, au fond d'un tiroir ?
Pourquoi une telle tendresse d'un tel Dieu serait-elle toujours rejetée,
refusée, niée ? Ouvrez parfois, dans le silence, ces pages de la Bible, et
laissez Dieu vous convaincre qu'il ne nous aime pas pour rire, comme le
précisera le Christ à Ste Angèle de Foligno !
"Ma
joie, c'est ton bonheur" (Jer 32/41), nous répète Dieu. "Comme un jeune homme met sa joie en
celle qu'il aime, je mettrai ma joie en toi !" (Is 62/5). "Les collines peuvent s'user, les
montagnes fondre, mon amour pour toi n'aura jamais de fin" (Cf. Is 54). "Une femme oublie-t-elle son enfant ?
Peut-elle cesser de chérir celui qu'elle a mis au monde ? Même s'il s'en
trouvait une, Moi, je ne t'oublierai jamais. Regarde : je t'ai gravé sur la
paume de mes mains…" (Is 49)…
Non, Dieu n'a aucune complicité avec notre
malheur. Dieu n'est complice que de notre joie.
Peut-être allez-vous me soupçonner de faire
un tri dans ces pages bibliques, d'y glaner seulement les phrases sublimes en
oubliant les passages durs : les épines du purgatoire et les feux de
l'enfer ? Ne nous a-t-on pas parlé
parfois de ce Dieu qui signerait les condamnations et n'accorderait que
rarement et sur recommandation les levées d'écrou. Pauvres lectures de myope
qui veut que l'épine cache la rose !
Et ne voyons-nous pas également que la
tendresse a toujours la dureté du diamant, lorsque la vie de l'être aimé est
en jeu ? Qui fut réellement notre ami, sinon l'ennemi de ce qui nous abîme ?
Un chirurgien dont l'épouse est atteinte d'un cancer, laisse-t-il le mal se
développer sans agir ? La tendresse, n'est-ce pas alors par le tranchant du
bistouri ou le feu du laser qu'elle s'exprime ?
Lorsqu'Israël perd toute dignité, lorsque
cette "Aimée de Dieu" (que nous sommes) embrasse la main
des tyrans qui l'écrasent, quand elle sacrifie ses enfants aux idoles mangeuses
d'hommes, les supplications de Dieu vous étonneraient-elles ?
Lorsque la justice est bafouée, que l'on
écrase les petits, que l'on vend le pauvre pour le prix d'une paire de sandales
(Amos
2/6),
que les mains sont souillées de sang (Is 59/3), les cris et les larmes de Dieu
vous surprendraient-ils
?
La tendresse de Dieu se fait alors
bistouri. Elle taille dans les chairs mortes. Et cela lui coûte (Lam. 3/33) ; mais c'est
parfois lorsque Dieu se fait l'ennemi de ma médiocrité que je sais le mieux
qu'Il m'aime…
Ce que l'on appelle la colère de Dieu est
une colère d'amour.
J'en veux, dit Dieu, à ce qui te détruit, à ce qui te dégrade, j'en veux aux
poisons qui te rongent. Alors, "je
vais déchirer l'enveloppe de ton cœur" (Osée 11/8), je vais te
consoler du mal que tu as fait…, je vais te guérir de ton infidélité (Cf. Jér 30.17 ;
31.20 ; 33.6).
Quoi que tu fasses, tu ne décourageras jamais ma tendresse, car "tu as du prix à mes yeux" (Is. 43/4).
J'interromps à regret ces paroles, à chacun
de nous destinées. Et, pourtant, je n'ai encore rien dit de l'amour décidément
démesuré de ce chirurgien divin qui, pour s'approcher des plaies de son enfant
enragé, se mettra à la portée des coups… sur la croix.
La Messe que nous célébrons chaque dimanche
- voire chaque jour - est le mémorial de cet amour fou. N'est-il pas
invraisemblable de ne pas y venir ou d'y venir quelquefois par habitude avec
une âme veule et qui s'ennuie ?
Ce serait, à coup sûr, enfouir le talent
d'amour que Dieu nous confie !
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