T.O. 15e Dimanche
Vous le savez sans doute, le levain,
qu'on n'emploie plus guère dans la boulangerie moderne (à la différence de
la levure),
est un morceau de pâte déjà fermenté que l'on a gardé du pétrissage précédent
pour communiquer à la nouvelle pâte sa puissance de fermentation.
Il est évident, que pour nous
chrétiens, le premier et grand levain du monde, c'est le Christ Jésus,
fils de Dieu, qui
- par son Incarnation est
venu justement, en pleine pâte humaine, pour insérer sa force divine dans toute
l'épaisse carapace de notre humanité
- et, par sa Résurrection,
nous donner la suprême chance - la grâce - de nous élever à la Vie même de
Dieu.
Le Christ nous le dit lui-même : “Et moi, élevé de terre, j'attirerai tous
les hommes à moi”. (Jn
12/32)
Cette fermentation, cette "élévation"
est déjà commencée en nous et signifiée par notre baptême. Notre baptême
est ce grain, cette graine, ce levain dont Jésus parle en paraboles.
Avons-nous conscience de cette
puissance de fermentation divine déposée en nous et que l’Esprit du Christ
cherche sans cesse à exercer ? Car "l'Esprit
vient en nous", nous dit St Paul (2ème lect.) pour que nous
sachions prier le Père comme il faut au nom de son Fils. Bien plus encore,
ajoute l'apôtre, en nous, "l'Esprit
veut ce que Dieu veut !".
Et que veut l'Esprit ? Il veut que
la puissance divine du Christ, manifestée au jour de sa résurrection, soulève
l'humanité pour l'accorder à la vie même de Dieu, cette vie divine
que déjà il nous donne avec la force d'un levain, d'une graine destinée à
devenir un grand arbre.
Et remarquons-le encore : si le
Christ n'est plus physiquement présent parmi nous, c'est à son Église
qu'il a confié le soin de continuer et d'achever sa mission, à son Eglise à qui
il donne puissance de fermentation divine.
Et quand je prononce le mot
“Église”, je pense que, pour vous, il n’évoque pas seulement le Pape, les
Évêques, les Prêtres ou religieux... ! Dans sa grande "Constitution sur l'Eglise" (Lumen Gentium), le Concile
Vatican II nous présente une magnifique définition de l'Eglise. Elle est, dit
le texte (n°1), "le sacrement, c'est-à-dire à la fois
le signe et le moyen, de l'union intime avec Dieu et de l'unité de
tout le genre humain" : l'"union
intime" avec Dieu qui façonne l'"unité
entre les hommes" ! "Qu'ils
soient un, priait Jésus, comme toi,
Père, tu es en moi et que je suis en toi... Qu'ils soient un en nous, eux aussi
!". Et nous-mêmes, au moment de l'Eucharistie, le Sacrement de
l'Eglise par excellence, nous demandons d'être "un seul corps et un seul esprit dans le Christ" !
(P.E.
3)
Nous sentons-nous directement
concernés comme membres, selon une autre image souvent employée, comme membres,
à part entière, de ce grand et unique Corps en fermentation divine qu'est
l'Eglise ? C’est ensemble que nous formons cette Église qui est, selon
l’expression de Bossuet, “Jésus Christ
continué, communiqué et répandu à travers le temps et l’espace”. "M'est avis, disait encore Jeanne
d'Arc lors de son procès, que le Christ
et l'Eglise, c'est tout un !".
C’est le mystère de l’Incarnation
qui se continue. Et nous en sommes responsables. Grâce à ce levain de
puissance divine déposée en nous par le baptême, nous sommes responsables -
chacun et tous ensemble - de la présence du Christ en cette humanité en
laquelle il s'est incarné ! Tous, nous en sommes responsables, individuellement
et collectivement, évêques, prêtres, religieux et aussi, bien sûr, les laïcs. Le
Concile le dit à sa façon : “Les
laïcs sont appelés par Dieu pour travailler, comme du dedans, à la
sanctification du monde, à la façon d'un ferment..." (L. G. 31). Qu’en
est-il ?
Aussi, une seule question importe :
Comment, nous, chrétiens du 21e s., laïcs, religieux, prêtres,
pouvons-nous être ferment divin dans la pâte humaine de notre monde d’aujourd’hui ?
- En premier lieu, me semble-t-il, de même
que le levain pour agir doit être introduit dans la pâte et mêlé à elle, de
même le chrétien doit, d'une manière ou d'une autre, accepter et assumer sa
présence dans le monde. Vous n’êtes pas du monde, disait Jésus, mais vous êtes dans
le monde !
- Cela suppose que chacun d'entre nous ait
suffisamment de lucidité, de réalisme, d'humilité peut-être, pour voir quel est
“son monde à lui”... En règle
générale, on doit savoir fleurir et porter du fruit là où le Seigneur nous a
placés : famille, milieu ecclésial, religieux, milieu de travail... !
Malheureusement, elle est très fréquente,
chez les chrétiens, la tentation de vivre dans un monde de rêve ou bien
dans un monde si intérieur que le ferment de la puissance divine ne peut plus
avoir d’efficacité suffisante. Une tentation qui se présente à tous, même aux
moines et aux moniales qui se disent facilement "retirés du monde" ! L'expression peut être ambigüe !
"Retirés du monde", au sens que St Jean emploie : retirés du monde
mauvais, du monde du péché ! Oui, bien sûr ! Et cela vaut aussi pour tout
chrétien. Mais non "retirés du monde", de cette humanité en laquelle
le Christ s'est incarné, de cette humanité qui nous fait solidaires de nos
frères. Même pour un ermite, il y a une manière de vivre qui l'unit fortement à
tous ses frères créés comme lui "à
l'image de Dieu", à tous ses frères en Jésus Christ !
A tous, St Pierre demande : “Soyez toujours prêts à rendre témoignage
devant les hommes de l’espérance qui est en vous !”. Et St Jean Chrysostome
de commenter : “Le Christ nous a
laissés sur la terre pour que nous devenions des flambeaux qui éclairent, pour
que nous soyons un levain dans la pâte, pour que nous nous comportions comme
des anges parmi les hommes, pour que nous soyons des hommes spirituels parmi
les charnels, afin de les gagner, afin que nous soyons des semences et
que nous portions des fruits en abondance. Il n’y aurait plus de païens si nous
nous comportions en vrais chrétiens”.
Oui, c’est notre responsabilité. Ce matin,
le Christ, en nous demandant d'être levain, grain ou graine nous invite tous à
nous interroger loyalement.
- Face au monde d'aujourd'hui, face
également à l'Église d'aujourd'hui, qui n'est plus celle d’hier et qui
n'est pas encore celle de demain, mais celle de notre temps, savons-nous
regarder le temps d’aujourd’hui avec le regard du Christ, lui qui, de condition
divine, est venu dans le monde prenant notre chair mortelle ? Cet "Aujourd’hui"
est comme un sacrement de la présence de Dieu, a-t-on dit, - car Dieu n’est
plus dans le passé ; il n’est pas encore dans le futur ; il est en notre
"aujourd'hui" -… Ce temps de l’"aujourd’hui" est le moment
précieux dans lequel Jésus ressuscité désire vivre, parler, agir. Ce temps de l’"Aujourd’hui"
est la matière première avec laquelle Jésus désire bâtir son Royaume d'éternité
; ce temps de l'"Aujourd'hui" est la pâte dont nous devons être
levain.
- Et dans cet "aujourd’hui", le
Christ nous demande, à nous, ses disciples, d'être présents, d'une
manière ou d'une autre,... Non pas seulement d'une manière individuelle - "Je n'ai qu'une âme qu'il faut sauver !",
chantait-on naguère de façon pas très orthodoxe - ; mais avec toute l’Eglise,
avec d'autres chrétiens, avec d'autres hommes de bonne volonté. “Ne sommes-nous pas membres les uns des
autres ?”, demandait St Paul. Il faut éclairer et orienter toutes les
réalités temporelles, enseignait le Concile Vatican II, de telle sorte qu'elles
se fassent et prospèrent constamment selon le Christ.
Éclairer, orienter, à la lumière de la Parole
de Dieu que nous entendons chaque dimanche, voire tous les jours !
Eclairer, orienter à la lumière de
l'enseignement de l'Eglise
Eclairer les problèmes de notre temps quels
qu’ils soient, économiques, éthiques, locaux ou mondiaux…, découvrir, avec mes
frères, la pensée de Dieu sur notre "aujourd’hui" que nous vivons.
N’ayons pas d’illusions cependant : l'insertion
des chrétiens dans le monde est difficile et exigeante. Aussi, pour que le
levain agisse, le chrétien doit entretenir sa capité de fermentation. Pour qu'il
garde une présence active et vraie au milieu du monde, sans composer avec le
péché, il doit garder le contact
avec Jésus Christ par la prière et les sacrements, et principalement de
l’Eucharistie. Le pape Benoît écrivait naguère : “L’Eucharistie rend permanente la présence du Christ ressuscité qui
continue à se donner à nous. De la pleine communion avec lui, découlent
l’engagement à annoncer et à témoigner de l’Evangile, et l’ardeur de la charité
envers tous. L’Eglise vit de l’Eucharistie. Sans l’Eucharistie, la foi,
l’espérance s’éteignent, la charité se refroidit”.
Oui, nous recevons le Christ en notre main,
en notre bouche, en notre cœur pour que, par notre travail, par nos paroles et
par toute notre vie, il continue de sauver le monde d’"aujourd’hui" !
Et même, nous pouvons ajouter avec le livre de la Sagesse (1ère
lect)
: "Il n'y a pas de Dieu en dehors de
toi, Seigneur, toi qui prend soin de toutes choses", "aujourd'hui"
et, comme tu le désires, avec nous et non sans nous !
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