dimanche 13 juillet 2014

Le Semeur divin !

T.O. 15 Dimanche - Semence divine !

Allons droit au cœur de l'évangile d'aujourd'hui : celui qui est "sorti" vers la "foule immense", celui qui est "sorti" vers la terre à ensemencer, c'est Jésus qui dira lui-même : "Je suis sorti du Père et suis venu dans le monde !" (Jn 16.28)

Très tôt, on ajoutera à ce texte des interprétations moralisantes pour inviter les chrétiens à offrir un bon terrain à la Parole de Dieu afin d'authentifier en quelque sorte cette conviction divine transmise par le prophète Isaïe (1ère lect.) : "Ma parole qui sort de ma bouche ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission". Et c'est vrai ! Cependant la "pointe de la parabole", comme l'on dit, demeure bien celle-ci : C'est Jésus, Verbe de Dieu fait chair, qui est sorti pour des semailles divines ! 

Au temps de l'évangéliste Matthieu, cette affirmation est importante : aux disciples qui attendaient que le Royaume de Dieu éclate en gloire, comme une moisson ensoleillée (nous sommes de ceux-là parfois), cette affirmation annonce que l'œuvre de Jésus, Semeur divin, est livrée à tous les aléas d'humanité, comme une humble semence. Il faut le dire, le redire ! Par trois fois, la parabole décrit ces semailles (les semailles de Jésus) comme un échec. Est-il possible que le Messie échoue, alors qu'on l'attendait comme une manifesta-tion de force invincible ? Comment accepter qu'il y ait tant de semence perdue, même si une partie du grain fructifie abondamment ? C'est qu'il s'agit de la fécondité même de Dieu, risquée aux intempéries de l'histoire!

Les questions et les étonnements des premiers chrétiens demeurent les nôtres : comment se fait-il qu'il y ait tant de haines meurtrières, de suffisance et d'orgueil, d'étroitesses et d'aveuglements dans ce monde ensemencé par Dieu, dans cette humanité où Jésus a germé comme une fleur porteuse de fécondité divine, en ce jour d'aujourd'hui précédé par vingt siècles de christianisme ? Dieu se gaspille-t-il en vain à susciter l'homme créé "à son image", à lui offrir son Esprit, son Esprit de Vie ?

Grande question qui ne peut cependant voiler cette réalité : Dieu ne cesse pas de semer !   
Nous avons tous vu, - et les plus jeunes peuvent imaginer - le paysan partir, dans la lumière pure de l'automne, vers le champ ouvert pour les semailles. Il sème, lentement. Quel geste de confiance en la vie ! Les semaines, la pluie, le froid passeront, jusqu'au jour où la verdure tendre du blé qui lève commencera à frissonner. Elle ne ressemblera guère au grain confié aux sillons, et pourtant c'est vers le poids des épis qu'elle grandit. Le geste du semeur est bien un geste de foi en la récolte à venir !

N'y a-t-il pas là une image - simple image - de la démarche pédagogique de Dieu à notre égard, démarche pleine d'espérance et d'amour dans les champs de notre humanité ? Au long des sillons de l'histoire, si souvent ouverts comme des plaies, Dieu ne cesse de semer ! Avec confiante obstination ! Si le froid trop rigoureux détruit le blé, le paysan sème à nouveau, dès le printemps. Malgré les hivers terribles que connaît parfois nos propres existences et celle de l'humanité tout entière, Dieu ne renonce jamais à semer à nouveau. Car, en vue de la récolte du monde à venir, Dieu est plus tenace que le plus paisible des paysans. Car, dira St Jean, "notre propre cœur aurait beau nous accuser, Dieu est plus grand que notre cœur" (I Jn 3.20). Et il ne cesse de l'ensemencer. Des hommes, des femmes se dévouent toujours au nom de Jésus, croient avec lui à l'avenir de l'homme ; ils prient devant le silence apparent de Dieu... Et ils sèment en l'homme comme Jésus, le Semeur divin…

Oui, Lui, Jésus a semé et sème encore cette Parole de Dieu toujours efficace dont parlait Isaïe (1ère lect.) : dans l'homme aveugle, paralytique, mort de tant de manières, il a libéré le regard, la démarche, l'amour, la Vie. Il a fécondé l'homme de la semence de Dieu : "Soyez parfaits comme votre Père céleste...". Il a parcouru la Palestine de son temps, toute la variété des terrains humains, et il a semé. Parfois il a entrevu la moisson abondante et il a appelé des ouvriers nombreux... Il a vu aussi l'ivraie et le bon grain se mêler au champ de l'histoire. Il sait aussi que le grain croît même la nuit, quand le paysan dort... Et il sème toujours !

Mais - paradoxe divin - Jésus ne sème pas que des paroles, des actes extérieurs à lui. Lorsqu'il dit : "Si le grain, tombé en terre, ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit...", c'est de Lui qu'II parle. C'est au sillon sanglant du Calvaire qu'il a jeté définitivement la semence de Dieu. C’est ainsi qu'il a confié son œuvre aux saisons de l'homme, à tous les terrains de la terre et aux maturations des temps. Prodigieuses semailles où le Semeur lui-même, au temps hivernal de l’histoire, devient le grain jeté en terre, en vue des printemps de Dieu ! Telle est notre foi, notre pleine espérance à cause de l'amour de Dieu pour les hommes, ses créatures !

Et depuis que Jésus a été broyé pour devenir "la fleur du froment de Dieu", selon la belle expression de St Ignace d'Antioche, les chrétiens portent sa semence par le monde entier. Or, que faisons-nous de cette semence ? De Jésus et de son Evangile ? A notre tour, nous devons être semeurs et semences, porteurs fragiles des semailles incessantes de Dieu !
A l’heure où l'Eglise semble connaître une saison stérile en notre Occident, où l'Evangile semble s'estomper dans le passé, reprenons humblement et avec foi la prière interrogative de Marie, après tant d'hommes ou de femmes appelés, contre toute attente, à la fécondité de Dieu : "Comment cela se fera-t-il ?".

Oui, quelle sera donc la semence de l'avenir ?   Poursuivons la parabole avec foi. Dans les villages, autrefois, on voyait arriver un soir d'été un petit cheval qui tirait une machine étrange. On disait : "Le trieur"  est arrivé. On lui donnait à trier quelques sacs du blé de la dernière récolte. On mettait de côté le grain le plus beau, c'était le "blé de semence", celui des prochaines semailles.

Il en est de même dans la vie du monde et de l'Eglise : la semence de l'avenir, c'est le meilleur des récoltes d'hier. Il faut trier le grain le plus beau. Sinon les épis deviendraient bientôt rabougris. Et Dieu, qui n'aime pas se répéter, veut au contraire améliorer sans cesse la récolte vers la moisson définitive.

Aussi, faisons confiance au “Trieur” divin qui ne veut pas que demain soit la copie exact d'hier. Il ne cesse de trier, de ses mains douces et fermes, les semences de l'avenir, et d'entrer à nouveau dans le champ. Sachons l'accueillir à travers l'événement inattendu, la joie et la peine, la naissance et la mort, le succès et la maladie. Soyons attentifs à discerner dans la jeunesse qui nous déconcerte parfois, dans les bouleversements de nos propres vies et en ceux du monde actuel, l'ambition discrète de Celui qui ne cesse de semer. Et il nous appelle à être avec Lui à la fois semeurs et semences dans le champ d'aujourd'hui.

Oh ! Certes, il y aura toujours risque à être semeur et surtout semence ! Car la semence sera toujours la semence. Comme avec les talents dont parle une autre parabole, il faut "risquer" la semence. Il faut consentir à sa disparition dans l'épaisseur des sols d'humanité. Il faut même l'abandonner à l'apparence de la mort. Toujours agir, même si le succès paraît aléatoire. S'exposer à perdre le grain. A perdre peut-être sa vie. Comme le vigneron tué par les ouvriers de la vigne. Comme Dieu qui est sorti lui-même dans la foule immense qui a cru - qui croit encore parfois - à la “mort de Dieu” !

Gardons la foi ! Certes, la semence semblera toujours infime, perdue dans l'étendue du champ. Pourtant la houle du vent caressera un jour l'épaisseur dorée de la moisson, et on ne verra plus la terre.

Alors, pourquoi nous étonner qu'il soit difficile d'être chrétien ? Pourquoi vouloir moissonner alors qu'il s'agit de semer et semer à nouveau ? Pourquoi rêver du confort du grand nombre, des succès faciles ? Pourquoi vouloir si vite, avec des yeux de taupe, séparer l'ivraie du bon grain ?

St Paul avait raison : "Il n'y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu révélera en nous !" (2de lect.). Nous vivons activement cette attente de toute la création qui gémit dans les douleurs de l'enfantement. Mais l'Esprit est en nous, humble semence, qui transfigurera la face de la terre. Il nous veut semeurs perpétuels de l'humanité nouvelle et aussi semences !.

On dit parfois que nous vivons le "dernier acte du Christianisme !". Certains, devant le champ où le grain semble mort une fois de plus, parlent de la "tombe de Dieu". C'est vrai, Dieu semble mourir parfois, dans nos vies, dans nos familles, dans nos sociétés, dans nos églises.

Et bien je persiste. Et je demanderai à Claudel - ce grand converti, cet homme de foi - qui savait l’efficacité de la Parole de Dieu en sa vie, je lui demanderai la permission de lui emprunter l’épitaphe saisissante gravée sur sa pierre tombale, afin de toujours murmurer comme une prière d’espérance devant la terre des hommes où repose le grain divin : "Ici gît la dépouille et la semence de Dieu !".

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