14ème
Dimanche Ordinaire 14
On pourrait être quelque peu choqué,
aujourd’hui, par certaines paroles tranchantes de Notre Seigneur : Jésus
semble se réjouir à l'idée que la connaissance de Dieu soit cachée à
certains ! “Père, dit-il, ce que tu as caché aux sages et aux savants,
tu l'as révélé aux tout-petits”. Ceux qui, parmi nous, se rangent du côté
des “tout-petits” s'en trouveront bien, mais les autres ? Que je sache, ce
n'est pas un pêché d'être sage ou savant !
Il faut dire cependant que le chapitre 11ème
de l’évangile selon St Matthieu veut souligner la grande difficulté de la
prédication de Jésus, de toute prédication, celle des apôtres et la nôtre
aussi !
- Jésus a rencontré l'incrédulité.
- Il a envoyé ses disciples en mission,
leur annonçant : “vous serez comme
des brebis au milieu des loups”.
- Il a aussi regretté que des villes -
telles Bethsaïde, Corozïm -, ne se convertissent pas.
- Il a perçu l'hostilité des scribes devant
ses paroles...
Et justement, les scribes, ce sont bien les
“savants” de l'époque ! Alors que son chemin est déjà marqué d'échecs
apparents, et que ce chemin va le conduire jusqu'à la croix, Jésus éprouve un
sentiment de reconnaissance, d’action de grâces parce que des hommes et des
femmes, ceux qu'il nomme les “tout-petits”, acceptent d'être atteints,
transformés, par sa présence !
Il n'empêche, ni vous ni moi, je pense,
nous ne pouvons nous réjouir de ce que certains, comme les sages ou les
savants, restent à l'écart.
Mais avons-nous bien compris ? Car,
dans la suite de cette page d'Évangile il est question justement de
connaissance..., de vraie connaissance. Jésus dit : “Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le
Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler”.
En Dieu lui-même, il ne peut être question
d’un pur savoir, mais d’une connaissance de personne à personne :
Père, Fils et Esprit-Saint ! Autrement dit, avec Dieu, l'histoire que nous
tissons ne peut être qu'une histoire d'amour ! "Dieu est Amour !", répétera St Jean. Avec toute personne
et avec Dieu particulièrement, lorsqu'il est question de connaissance, il ne
peut s'agir d’une connaissance qu’atteste un examen. Ce qui est premier c'est
la connaissance - comment dire ? – une connaissance qui est comme la
“fréquentation” de quelqu'un qu'on aime bien, et qu'on ne finit jamais de
découvrir, de connaître.
C’est comme une personne à laquelle me lie
une grande affection (un
père, une mère, un enfant). Elle n'est pas avec moi, elle se trouve au loin. Mais
que je me lève ou que je me couche, que je travaille ou que je circule, cette
personne “demeure en moi”. Connaître Dieu, c'est fréquenter Dieu,
c'est demeurer avec lui ; et c'est permettre que Dieu lui-même fasse
sa demeure en nous.
Il ne s'agit pas là de faire de
“l'anti-intellectualisme” primaire ! Il est très bon de faire travailler
notre “intelligence de la foi” comme on dit. "Fides quaerens intellectum", disait St Anselme. La foi
cherche à comprendre. Et c'est bien, très bien !
Mais il n’en reste pas moins vrai que l’on
n’enferme pas Dieu dans un savoir, et surtout pas dans des lois !
Et réjouissons-nous que Dieu reste un
mystère. Et un mystère, ce n'est pas quelque chose que l’on ne comprend pas, c’est
une réalité que l’on n’aura jamais fini de comprendre. Un mystère n’est pas
un mur d'incompréhension contre lequel on se cogne. Mais, pour prendre une
comparaison - inadéquate mais utile sans doute -, c'est comme dans ce couple
âgé qui fête ses soixante ans de mariage ; et l’un de dire à l’autre avec un
petit air moqueur : “voilà soixante ans
qu’on se supporte, et soixante ans que je te découvre” !
“Nul
ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler”, dit Jésus. La
Révélation, lorsqu'il s'agit de Dieu, ce n'est pas une énigme philosophique,
mais le mystère d’une rencontre. Dieu n'en a pas fini avec nous. Son
amour n’est pas l’étincelle provisoire d’une solution d’énigme ; son amour
est la lumière permanente d’une communion ! Surtout, dit St Paul (2ème lecture) si on se laisse
guider par l'Esprit-Saint, cet "Esprit
de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts...".
Je crois bien que ce qui passionne Dieu, ce
n'est pas l'évaluation de notre quotient intellectuel, mais la rencontre vraie
des personnes ! Comme elles sont, et là où elles en sont ! Et dans l'Évangile,
cela occasionne bien des conflits pour Jésus. Il est souvent en conflit avec
les raisonneurs, les connaisseurs de la Loi, parce que ceux-ci ont tendance à
utiliser leur science pour s'emparer de la proximité de Dieu, l’enfermer ;
ce que j’appelle une “inversion sacrilège” !
Et ne sourions pas de cela, même si nous
n’avons aucun diplôme et que nous ne nous rangeons pas parmi les intellectuels,
les savants. Chaque chrétien - surtout s’il se veut "engagé" - peut
se demander si, peut-être sans s'en rendre vraiment compte, il n’a pas
tendance à enfermer Dieu dans ses coutumes, son petit savoir, dans ses
manières de pensées qui, souvent, veulent justifier ses manières de faire, et
qui deviennent des idéologies impitoyables. “Mes
pensées ne sont pas vos pensées”, disait Dieu par son prophète Isaïe.
Et puis, une question qui peut être
terrible : On peut donner de son temps, de son énergie, de ses biens, pour
témoigner là où nous nous trouvons. Et c’est très bien, évidemment ! Mais quelle
part consacre-t-on pour s’ouvrir à ceux qui peuvent être considérés comme des
“petits”, par l'éducation, la timidité, et même et surtout par le poids du
péché ? Or, ce sont ces petits que Jésus privilégie souvent car ils peuvent
aspirer à cette communion de personne à personne avec Dieu !
Ou encore quelle part consacre-t-on à ceux,
également, que l’on juge réellement comme des “petits” dans le Royaume de Dieu,
parce qu'eux-mêmes se montrent trop savants et sages dans le Royaume du
monde ! C’est un peu subtil, allez-vous dire. Oui, mais l’orgueil aussi
est toujours très subtil. Et l’on peut devenir véritablement bien petit parce
qu'on s'estime trop grand !
Cependant, l’évangile nous donne la clef de
tout cela : “Venez à moi, vous tous
qui peinez. Mon joug est facile à porter et mon fardeau léger”. Jésus nous
invite à être solidaires dans l'adversité. “Prenez
sur vous mon joug, et devenez mes disciples”, cela veut dire : “si vous vous aimez les uns les autres, vous
vous portez tour à tour, sans distinction, vous vous portez les uns les autres,
parce que mon amour demeure en vous”. Entrons dans la joie de Dieu, celle
que Jésus manifeste : “Père du ciel et de
la terre, tu as révélé ton amour aux petits” à ceux qui gardent cette
humble capacité d’ouverture d’un tout-petit, qu’ils se montrent savants,
pécheurs, ou même très orgueilleux...
Vous connaissez cette formule : “la vérité sort de la bouche des enfants ”...
Marion, - huit ans -, rencontrait sa grand-mère. Celle-ci se pique de lui
transmettre la foi. “Tu sais, lui
dit-elle, nous sommes tous des enfants de
Jésus. Et toi aussi, plus tu avanceras, plus tu pourras être une enfant de
Jésus... ”. Et Marion de répondre avec un sens inné du mystère pascal : “Oui, mais un enfant, ça devient grand !”
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