vendredi 12 août 2011

Ste Jeanne-Françoise de Chantal

12 Août

Sainte Jeanne-Françoise de Chantal est une très belle figure de sainteté qui pourrait être très contemporaine, me semble-t-il.

Née à Dijon le 23 Janvier 1572 (1), elle appartenait à une famille de magistrats farouchement attachée à l’Eglise romaine. Dès son jeune âge, elle manifeste des indices particuliers de la grâce divine : une “modestie fort majestueuse“, écrit sa première biographe (2) et une “aversion incomparable aux hérétiques“. Curieuse de tempérament, “elle apprenait avec grande souplesse et vivacité d’esprit tout ce qu’on lui enseignait“.

A vingt ans, elle épouse le baron de Chantal qui trouve en elle une “dame parfaite“, “ornée de grâces et d’une beauté naturelle“, très diligente pour les affaires de sa maison. Je ne peux m’empêcher de citer, avec humour, sa biographe (2) : “Elle ne portait que du camelot et de l’étamine, et cela avec tant de propreté, de grâce et de bienséance qu’elle paraissait cent fois plus que plusieurs autres qui ruinent leurs maisons pour porter des affiquets…“. Conseil que donnera plus tard notre classique Molière : “Quiconque à son mari veut plaire seulement n'a pas besoin de tant d'ajustement“ (3), une réplique à l’intention des “Précieuses“ de tous les temps !

Cette vie simple et heureuse dura huit ans jusqu’à la mort accidentelle de son mari. L’épreuve fut si rude, écrit sa biographe, qu’elle ne lui donnait “quasi aucune relâche et la dessécha de telle sorte qu’elle n’était presque plus reconnaissable“. Le seul souci d’élever ses quatre enfants et de veiller avec diligence sur leur éducation, la soutint.

Cependant, Dieu l’attirait à lui de plus en plus. Elle chercha un guide spirituel. Après une expérience désastreuse auprès d’un prêtre peu intelligent et despote - cela arrive ! -, elle rencontre François de Sales qui, en 1604, prêche le Carême en la ville de Dijon. Le Saint évêque remarque la jeune veuve mais l’éconduit dans un premier temps, par crainte, selon l’abbé Bremond, de se charger d’une telle âme “deux fois étrange, et par la rareté de ses dons naturels et par les effets que la grâce commence à produire en elle“. Mais il accepte quelque temps plus tard. Le changement en elle fut si visible que ses serviteurs notent non sans humour : “Le premier conducteur de Madame ne la faisait prier que trois fois, et nous en étions tous ennuyés ; mais Mgr de Genève la fait prier à toutes les heures, et cela n’incommode personne !“. D’ailleurs, en tout, elle cherche à se passer des services d’autrui, se servant elle-même et servant aussi les pauvres ! La direction de l’aimable François de Sales était cependant exigeante, mettant l’accent sur le renoncement intérieur pour réprimer sa fierté et sa vivacité naturelle.

Enfin, la jugeant suffisamment avancée, le saint Directeur la fit venir à Annecy pour examiner son désir “d’une vie retirée et hors du monde“. C’était en 1607. Après l’avoir diversement éprouvée par ses intentions à son sujet, il lui déclara son dessein d’un nouvel Ordre : “Les Visitandines“ ! Jeanne-Françoise y adhéra immédiatement. Elle emmènerait avec elle sa fille encore jeune, tandis qu’elle confierait à son père son fils âgé de quinze ans. Faut-il retenir la scène si connue de ce fils se jetant à ses pieds, puis se couchant au travers de la porte pour la retenir ? Tout est tellement sublime dans cette scène cornélienne, racontée pourtant avec exquise simplicité !

Le 6 juin 1610, en la fête de la Sainte-Trinité, elle entre dans une petite maison du faubourg d’Annecy avec deux compagnes appelées par François de Sales : l’Ordre de la Visitation est fondé ! Et il l’était, selon le désir de St François de Sales, à l'intention des personnes âgées ou de santé fragile auxquelles les autres ordres sont interdits. De plus, à l'origine, Jeanne et ses compagnes ajoutaient aux exercices de la vie contemplative le service des malades et des pauvres qu’elles allaient visiter. C’était reprendre, en quelque sorte, l’intuition de Ste Françoise Romaine, deux siècles auparavant : Marthe et Marie ! Mais la présence de religieuses dans les rues et taudis de la ville (“dans le monde“) fut mal vue par les autorités ecclésiastiques en pleine Contre-Réforme. François de Sales ne parvint pas à surmonter les objections. Et il acceptera bien malgré lui la stricte clôture papale pour ses religieuses.

Cependant notre Sainte sortit très souvent de son monastère, mais pour assurer les fondations qui se multipliaient un peu partout, jusqu’à Paris. Dans la capitale, elle fit connaissance du monde religieux et des Congrégations nouvellement réformées, comme Port-Royal avec Mère Angélique. Elle sembla même préférer la direction de l’Abbé de Saint-Cyran à celle de Vincent de Paul à qui François de Sales l’avait confiée. Il faut dire que l’Abbé de Saint-Cyran était alors l’un des hommes spirituels les plus réputés de son temps.

En 1622, après bien des deuils douloureux (4), elle fut très affectée par celui de St François de Sales, son père spirituel ! Il lui restera encore dix-neuf années à vivre qu’elle consacra à affermir l’Institut des Visitandines. À la mort de Jeanne de Chantal, l'Ordre compte déjà 87 monastères !

Pour terminer, je ne peux que citer Dom Guéranger : « Parlant de la diversité des familles religieuses, saint François de Sales dit excellemment : “Toutes les Religions ont un esprit qui leur est général, et chacune en a un qui lui est particulier. Le général est la prétention qu’elles ont toutes d’aspirer à la perfection de la charité ; mais l’esprit particulier, c’est le moyen de parvenir à cette perfection…“. Venant donc à l’esprit spécial de l’institut qu’il avait fondé de concert avec notre Sainte, l’évêque de Genève déclare que c’est “un esprit d’une profonde humilité envers Dieu, et d’une grande douceur envers le prochain ; d’autant qu’ayant moins de rigueur pour le corps, il faut qu’il y ait tant plus de douceur de cœur“. Et parce que “cette Congrégation a été érigée en sorte que nulle grande âpreté ne puisse divertir les faibles et infirmes de s’y ranger, pour y vaquer à la perfection du divin amour“, il ajoute gracieusement : “Que s’il y avait une sœur qui fût si généreuse et courageuse que de vouloir parvenir à la perfection dans un quart d’heure, faisant plus que la Communauté, je lui conseillerais qu’elle s’humiliât et se soumît à ne vouloir être parfaite que dans trois jours, allant le train des autres. Car il faut observer toujours une grande simplicité en toutes choses : marcher simplement, c’est la vraie voie des filles de la Visitation, qui est grandement agréable à Dieu et très assurée“ ». (5)

Aussi, Ste Jeanne-François de Chantal, avant de mourir, ne fera que répéter comme St Jean : “Amour ! amour ! amour ! mes filles, je ne sais plus autre chose“.



(1) Orpheline de mère à dix-huit mois, elle ne sembla pas en souffrir, par grâce providentielle peut-être !

(2) Françoise-Madeline de Chaugy, nièce de Ste Jeanne-Françoise et première Visitandine. Elle maniait la plume avec assez d’aisance pour être comparée à la petite-fille même de la Sainte, Mme de Sévigné !

(3) Dans “Le Tartufe“ : Mme Pernelle à sa belle-fille. (Acte 1. Sc. 1)

(4) son propre père particulièrement.

(5) Dom Guéranger : Année liturgique

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