samedi 13 août 2011

Le "Pain de Dieu" aux païens !

20ème Dimanche 11/A -

Pour bien comprendre notre évangile d’aujourd’hui, il faut, me semble-t-il, le situer dans le contexte de la vie publique de Notre Seigneur, autant d’après Matthieu que Marc.

Le premier signe que Jésus posa fut l’eau changé en vin, à Cana. Jean conclura : “Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui“, réflexion qui est une réplique d’un verset de l’Exode (14.31) : “Israël vit la prouesse accompli par Dieu contre les Egyptiens. Le peuple crut en Dieu et en Moïse son serviteur“. Autrement dit : le premier signe de Jésus, nouveau Moïse, veut provoquer une démarche de foi chez ses premiers disciples !

Mais le signe par excellence, ce fut la multiplication des pains. Un signe en lequel il se révèle totalement. Un signe qui a sa source en la manne, ce pain que Dieu donna par Moïse au peuple dans le désert, Jésus se révélant le vrai Moïse annoncé par Moïse lui-même ! Un signe qui se prolonge dans le repas du Jeudi-Saint, en lequel Jésus se donne comme il se donnera en son mystère pascal ; un signe auquel on le reconnaîtra après sa résurrection (Emmaüs), un signe qu’actualise aujourd’hui encore toute Eucharistie !

Mais ce signe par excellence ne suscite pas la foi, comme à Cana !
- Les pharisiens le réfutent aussitôt, veulent le discréditer. Et la discussion fut si vive que Jésus, dit St Matthieu, les “plaqua“ et s’en alla sur l’“autre rive“, en évoquant le “signe de Jonas“, le signe prophétique le plus universaliste qui soit, le signe des païens qui, eux, se mettront à croire et se convertiront !
- Et Jésus semble incompris même de ses disciples : dans la barque où il monte aussitôt, il y a comme un quiproquo. Encore sous le choc des propos malveillants des pharisiens, Jésus leur dit : “Méfiez-vous du levain des pharisiens !“, un levain stérile. Mais, à ces mots, les disciples s’aperçoivent qu’ils n’ont pas pris de pain pour le pique-nique ! Quiproquo entre le pain matériel et le Pain de Dieu. Quiproquo qui est parfois le nôtre quand on souhaite des signes miraculeusement réconfortants. Et Jésus se fâche : “Vous ne comprenez donc pas !“. Vous, non plus !
- D’après St Marc, Jésus arrive à Bethsaïde, ville païenne ! Et là, il guérit un aveugle. Il y a, dans l’Evangile, beaucoup de guérisons d’aveugles, même païens ! La signification est limpide : il nous faut ce genre de miracle pour accéder à une véritable compréhension du dessein de Dieu, à la folie de Dieu qui est plus sage que la sagesse des hommes, pour ne pas avoir des yeux qui ne voient pas, des oreilles qui n’entendent pas !
- Et après avoir été en terre païenne à l’Ouest - la Décapole - Jésus va vers l’est, vers un pays païen encore : Tyr et Sidon, terre de sinistre mémoire pour un Juif ; c’est le pays de la fameuse reine impie, Jézabel !

Et c’est là qu’il faut situer notre épisode. A la sollicite de la femme païenne, Jésus semble répondre très durement, surtout selon St Marc. Toujours préoccupé et attristé par l’incompréhension du signe par excellence qu’il a posé, la multiplication des pains, Jésus lance comme une boutade d’espérance : “Laisse d’abord les enfants se rassasier (j’espère qu’ils y arriveront), car il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens“, ces païens que les “enfants“ du peuple élu par Dieu traitent souvent de “chiens“ ! Matthieu de préciser : “Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël !“. Jésus, là, reprend à son compte la réflexion religieuse courante : Il y a le peuple que Dieu a choisi. Et c’est lui qui d’abord reçoit la Lumière divine ! Ensuite, il pourra être le témoin de cette Lumière pour le monde entier. On le sait, cette question taraudera la pensée de St Paul qui a parfaitement compris cet élargissement universaliste du dessein de Dieu, tout en souffrant pour ses frères de races qui semblent ne pas comprendre !

Mais voilà que la femme, une païenne, réplique : “Mais les petits chiens, sous la table, mangent les miettes des enfants !“. Seule, elle semble approcher le mystère ; Seule, elle comprend quelque peu le signe par excellence où Jésus se dit tout entier pour le monde et pour la suite des siècles ! Elle désire s’alimenter au Pain de Dieu, au pain que Dieu donne ! Jésus est dans l’admiration : “Femme, ta foi - cette foi qu’il a suscité lors de son premier signe à Cana -, ta foi est grande. Qu’il arrive comme tu le veux !“.

Une païenne qui devient plus chrétienne qu’un fils d’Israël !

Ce n’est pourtant pas évident cet élargissement universaliste : une païenne, fille de Dieu ! Déjà, au début de son ministère, à la synagogue de Nazareth, devant Jésus qui parle, on est dans l’étonnement : “Jamais homme n’a parlé comme cet homme !“. Et soudainement lorsque Jésus évoque Naaman le Syrien, la veuve de Sarepta au temps d’Elie, il y a comme une peur panique qui explose violemment : la peur de perdre son identité, telle qu’on la conçoit, évidemment ! - On retrouve la même réaction avec Paul à Jérusalem. Après avoir évoqué sa vie dont le récit captive son auditoire, Paul précise : C’est vers les nations païennes que le Seigneur m’envoie ! Alors de grands cris s’élèvent : “Qu’on débarrasse la terre d’un tel individu“ (Ac. 22.21).

La question est toujours d’importance et d’actualité : Identité ET ouverture ! Et non l’alternance : Identité OU ouverture ! Et n’allons pas croire que c’est une “querelle d’anciens et de modernes“ ! Il s’agit bien d’une authentique fidélité à notre enracinement dans le Christ : “Tout est à vous (le passé et l’avenir ; l’ancien et le moderne) ; mais vous, vous êtes au Christ !“ (2 Co 3.22-23). Or le Christ, c’est le Ressuscité du matin de Pâques qui demandera d’aller le rejoindre en Galilée (Mth 28.7,10). Et la Galilée, c’est le “carrefour des nations“ (Mth 4.15), des nations païennes !

Vous pourrez faire, bien sûr, les applications que votre prière vous suggèrera. Le Concile Vatican II est un exemple frappant de cette identité indispensable mais en même temps ouverte ! Mais la question demeure toujours et en tout lieu. Elle se retrouve au sein d’une Eglise particulière, au sein d’une paroisse, d’une communauté, au sein même d’une famille.

Comment répondre à cette question permanente ? Peut-être s’agit-il d’être toujours attentif non pas à ce que nous avons aujourd’hui et qui demain peut disparaître, encore moins à ce nous souhaiterions paraître (c’est si fréquent selon les places que nous tenons dans la Société, dans l’Eglise), mais à ce que nous sommes réellement, à ce que nous devons être véritablement !
Etre ! Etre au Christ : “To Zein Christos“ (Ph. 1.21), dira St Paul. “Vivre, Christ !“. La phrase, sans verbe, est elliptique, tant, pour Paul, “vivre“ doit se remplacer par “Christ“, tant il y a transfusion de Christ en Paul et de Paul en Christ ! Etre ! Car Dieu est “Celui qui est !“, comme il s’est révélé à Moïse. Notre Dieu est un Dieu qui a été, qui est, qui sera ! Si notre identité chrétienne s’inscrit dans un passé, il faut encore la découvrir dans notre futur. Avec le Christ qui est “l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin“ (Apoc 21.6).

Et nous trouverons la force de toujours être au Christ dans le pain que le Seigneur multiplie en tout instant de par le monde entier !
Avec l’Eucharistie, ce sont deux mille ans qui sont abolis : le Christ mort et ressuscité est là.
Avec l’Eucharistie, les distances sont abolies.
Avec l’Eucharistie, les frontières du temps et de l’espace disparaissent !
Avec l’Eucharistie, c’est, avec le Christ, pouvoir toujours chanter : “Voici, je fais toutes choses nouvelles“ (Apoc. 21.5). Nourris de ce pain, même si ce sont des miettes qui tombent de la table divine, je sais que même au fond d’un couvent, au cœur d’une fatigue, au creux même d’une agonie, “il y a des larmes d’amour qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel, des regards de prière, des regards de tendresse perdus en charité, qui brilleront éternellement“ (Péguy).

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