Carême 4.C - 2013 (Jn 4.5-42)
Vous avez choisi aujourd'hui - comme la liturgie le
permet - d'écouter le beau récit de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine
au puits de Jacob !
Le puits de Jacob ! Il faut se reporter à la vie de
ce patriarche qui de "tordu" (c'est la
signification de son nom ; et il est vrai qu'il en a fait des coups
"tordus", celui-là !) ... qui de "tordu" est
devenu "Israël", le père du peuple élu, par "libre choix de la grâce divine", dirait St Paul (Rm 11.5). "Ce
n'est pas vous qui m'avez choisi, dira Jésus à ses apôtres, c'est moi qui vous ai choisis" (Jn 15.16). Paroles qu'il nous faut accueillir
nous-mêmes avec beaucoup d'humilité. Car souvent Dieu choisit "ce qui est folie dans le monde pour
confondre les sages, ... ce qui est vil et méprisé dans le monde pour réduire à
rien ce qui est, afin qu'aucune créature ne puisse s'enorgueillir devant Dieu
!" (I Cor 1.27 sv).
Pour Jacob, ce choix divin se manifeste au cours
d'un songe où il vit une échelle reliant ciel et terre, établissant déjà une
alliance entre Dieu et l'homme - ce que cherche Jésus avec la Samaritaine !
-. Et Jacob répond aussitôt à ce Dieu d'Alliance par une sorte de contrat (encore un peu "tordu" puisqu'il demande à
Dieu de tout lui donner ; et lui, en retour, lui offrira simplement la dime, un
petit "dixième" ! (Gen 28.22). Comme quoi il faut du temps pour arriver à la
conversion parfaite !). Et le lieu de l'Alliance devient
"Bethel", "Maison de Dieu" pour les hommes, parmi les
hommes.
L'événement fut tellement riche de signification
que Jacob poursuit sa route avec grand enthousiasme. "Jacob se mit en marche..." (Gen
29.1). Littéralement, il est dit : "Il
porta ses pieds". Généralement, ce sont les pieds qui nous portent
! Mais l'expérience de la rencontre avec Dieu fut si forte que c'est Jacob qui
désormais va entraîner ses pieds ! Qui dira que les auteurs bibliques n'ont ni
esprit ni humour ? Puissions-nous, nous aussi, toujours mener nos pieds là où
Dieu nous appelle...
Et il arrive à un puits - qui deviendra le "puits
de Jacob" -, non loin sans doute du lieu où Abraham avait, lui aussi,
dressé un autel en recevant déjà les promesses divines qui se précisent avec son
petit fils.
Mais que peut-il se produire près d'un puits dans
la Bible ? C'est là que les femmes viennent puiser l'eau. Alors,
obligatoirement, près d'un puits, il y a des histoires d'amour. Et Jacob, près
du puits, rencontre Rachel dont il devient éperdument amoureux ! On aurait tort
d'en rire ou d'en sourire. Il faut entendre les belles homélies des Pères de
l'Eglise commentant toutes ces histoires d'amour dans la Bible qui, toutes,
culminent finalement dans la rencontre de Jésus avec la Samaritaine.
Et qui pourra nier en conséquence la noble
vocation du mariage chrétien - l'amour horizontal d'un homme et d'une femme
devant être signe et réceptacle de l'amour de Dieu pour l'homme et
réciproquement, signe de l'Alliance avec Dieu ! -. C'est ce que Jésus veut
manifester à la Samaritaine même si celle-ci, apparemment, se trouve dans une situation
quelque peu scabreuse, ce qui n'empêche pas Notre Seigneur - il faut le
souligner - de l'appeler à répondre à l'amour de Dieu, d'adorer Dieu "en esprit et vérité", ce qui
est le but de tous les signes que nous pouvons poser, spirituels, liturgiques
ou moraux... Le signe n'est qu'un contenant qui doit révéler notre réponse à
Dieu qui, lui, aime tout homme jusqu'à la folie d'une croix, qui aime tout
homme même pécheur, comme David, comme la Samaritaine ! Si on n'a pas compris
cela, le signe devient inutile... !
C'est cette réalité qu'il nous faut toujours avoir
à la pensée, cette réalité qui a enthousiasmé Jacob comme la Samaritaine. A ce
propos j'aime l'attitude du serviteur qui avait reçu d'Abraham la mission de
trouver une épouse pour son fils Isaac (Encore une histoire d'amour !). Pour
bien remplir cette mission, il avait sollicité de Dieu un signe révélant le
juste choix qu'il devait faire. Près d'un puits, là encore, arrive Rébecca qui
accomplit le signe demandé. Et il est dit : le serviteur d'Abraham "la considérait en silence, se
demandant si Dieu l'avait, oui ou nom, mené au but" (Gen 24.21). Voilà la spiritualité biblique la
plus fondamentale, celle que recommande finalement Jésus à la Samaritaine : non pas échafauder des systèmes aussi
nobles et beaux soient-ils sur la réalité, mais déchiffrer l'existence sous
le regard de Dieu au fur et à mesure que cette existence se déroule.
La Vierge Marie ne faisait pas autre chose. "Elle méditait en son cœur",
nous dit St Luc par deux fois - et ce n'est pas par hasard ! -. Dieu avait tout
dit à Marie lors de l'Annonciation, de la présentation au temple. Mais "elle méditait en son cœur" le
dessein de Dieu qui se réalisait dans le concret de son existence. C'est cette
attitude que Jésus propose à la Samaritaine : méditer en son cœur les
événements de sa vie pour parvenir à adorer Dieu "en esprit et vérité !".
Et cela même dans des situations qui paraissent
nous éloigner de Dieu. La Samaritaine avait cinq maris ! Jésus ne semble pas
relever cet aveu de la Samaritaine. Car cet aveu fait certainement allusion à
une situation historique beaucoup plus grave que la situation matrimoniale de
la Samaritaine. En 722, le Royaume du Nord a été détruit par les Assyriens, par
Sargon. Ceux-ci ont pratiqué une politique courante à cette époque-là. Ils ont
déporté en masse la population en Mésopotamie, en Syrie. Et de ces régions ils
ont importé à la place une population mésopotamienne. Comme il n'y avait pas de
chemin de fer en ce temps-là, la migration a duré un certain temps pendant
lequel la terre est restée sans habitants. Et quand cela arrive surtout en un
pays chaud, les insectes reviennent, ainsi que les bêtes sauvages et même des
lions. Alors ceux qui venaient d'arriver se sont demandés pourquoi ils
souffraient de tous ces fléaux... Et ils ont conclu : "Qu'est-ce qu'on a donc fait au Bon Dieu ?". Question que
l'on entend toujours ! Et ils ont conclu qu'ils ne devaient pas adorer comme il
faut le dieu du lieu où ils se trouvaient, le dieu local, si je puis dire !
Alors, ils ont fait venir un prêtre de Juda pour
les initier à la religion biblique. Ils s'approchaient ainsi de la "vraie
religion", si je puis dire, mais tout en gardant, dans une sorte de syncrétisme,
les dieux qu'ils avaient importés de leur pays d'origine. Ils sont tous nommés
dans le 2ème livre des Rois (17.30).
Et si l'on compte bien, Ils sont au nombre cinq. (1). Il faut donc nous défaire
de tous nos faux dieux - plus nombreux que les cinq maris de la Samaritaine -
pour parvenir à adorer Dieu en "esprit et vérité" !
Autrement dit, la Samaritaine a existé
certainement. C'est une femme en chair et en os. Peut-être n'a-t-elle pas eu une
vie exemplaire. Mais derrière elle, Jésus vise la religion abâtardie des
Samaritains. Aussi, il dit : "Le
salut vient des Juifs !". Et il ajoute qu'on est en marche vers une
religion "en esprit et vérité". Cela ne veut pas dire une religion
toute dépouillée de cultes et de liturgies. Non ! Il y en a qui peuvent le
penser comme le terrible Amos à une époque où le culte au temple de Jérusalem
était dépravé. Et Notre Seigneur lui-même a agi un peu en ce sens en chassant
les vendeurs du temple. Cependant, Dieu cherche, malgré parfois nos étroitesses
cultuelles, malgré nos fautes morales (comme
pour la Samaritaine), il cherche toujours des adorateurs en esprit et
vérité. Et il n'y a que l'Esprit Saint qui, reçu en nous, peut nous
conduire à rendre à Dieu un culte digne de lui. St Paul le souligne souvent ! "Car si vous vivez de façon charnelle, vous mourrez. Mais
si par l'Esprit vous faites mourir votre comportement charnel, vous vivrez"
(Rom 8.13). "Nul, s'il ne
naît d'eau et d'Esprit, disait Jésus, ne
peut entrer dans le Royaume de Dieu !" (Jn 3.5). Aussi, il dit à la
Samaritaine pour la conduire à adorer Dieu en Esprit et vérité : "Celui qui boira de l'eau que je lui
donnerai n'aura plus jamais soif... Cette eau deviendra en lui source
jaillissante pour la vie éternelle". Soyons toujours abreuvés par
l'eau de notre baptême, avec l'aide de l'Esprit-Saint en nous !
(1) II Rois 17.30 : "Les gens de Babylone avaient fait un Sukkot-Benot (1), les gens de Kuta un Nergal (2),
les gens de Hamat un Ashima (3),les
Avvites un Nibhaz et un Tartaq (4),
et les gens de Sepharvayim brûlaient leurs enfants au feu en l'honneur
d'Adrammélek...(5)".
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