2ème Avent C 12-13
Pourquoi
parle-t-on de Jean-Baptiste dans le temps de l'Avent ? Isaïe répond : pour
“préparer les chemins du Seigneur !”.
Et si l’on demandait à des enfants : “Qu'est-ce
que Jean-Baptiste prépare ?”, ils répondraient : “la venue de Jésus !”. - “Et
qu'est-ce que la venue de Jésus ?”.
- “Mais, diraient-ils, c’est Noël, la naissance de Jésus !”.
Sans doute quelques adultes présents préciseraient, en reprenant l’évangile
d’aujourd’hui : “Pour Jean Baptiste,
la venue de Jésus, ce n’est peut-être pas surtout Noël, mais la venue de Jésus
au Jourdain pour se faire baptiser et annoncer le Règne de Dieu”.
Et voilà
l’important ! La véritable venue du Christ pour St Luc, ce n'est pas tellement
la Nativité, c'est l'irruption du Règne de Dieu parmi les hommes grâce au
Christ, après son baptême par Jean-Baptiste. – D’ailleurs St Luc qui écrit à
des destinataires païens, à des non Juifs, place la généalogie, l’origine de
Jésus après son baptême qui marque le véritable commencement de la “Bonne Nouvelle”
(Cf. Ch 3). Et il est bon
de remarquer que pour Luc la généalogie de Jésus remonte jusqu’à Adam, jusqu’à
l’homme que Dieu a créé et que Jésus vient délivrer de sa faute. Matthieu qui
écrit pour des Juifs se contentera, lui, de remonter jusqu’à Abraham. Jean, au
sommet de la pensée néo-testamentaire, reprendra les choses “au commencement“,
en Dieu : “Au commencement était le
Verbe… Tout fut par lui…“.
Certes, les
esprits contestataires - il y en a toujours, et les plus ignorants
souvent -, souligneront que St Luc nous raconte bien, dans
les deux premiers chapitres de son évangile, l'origine cachée de Jésus, sa naissance, son
enfance. Mais là, Luc se fait alors le confident de la mémoire de la Mère de
Jésus. Pour lui, ce secret intime et familial qu’il ne pouvait finalement
cacher, est comme un prologue à la manifestation publique du Christ. Il y a
donc là comme un premier indice - important - pour comprendre la prédication de
Jean-Baptiste qui peut ainsi se résumer : “Convertissez-vous !”. Si nous répondons que Jean-Baptiste ne
fait qu'annoncer la naissance de Jésus, on annule complètement sa prédication
austère ; on ne l'entend même pas (c’est plus accommodant). Parce qu’on se met déjà, en quelque sorte, à la place de la Vierge
Marie.
Si nous fixons
notre regard seulement sur la naissance de Jésus, nous prétendons finalement -
inconsciemment - nous mettre dans ce secret intime, dans la mémoire de la Mère
de Dieu ; nous prétendons accueillir le Christ comme une nativité. -
Quelle présomption ! Car il faudrait pour cela que nous ayons en
nous-mêmes cette puissance maternelle que l’Evangile et la Tradition attribuent
à la Vierge Marie. Il faudrait qu’il nous soit dit : “Tu es béni et rempli de grâce”, et que nous soyons capables de
répondre : “Qu'il me soit fait selon ta Parole”.
Il faudrait que nous puissions entrer
d'emblée, par une espèce de bond spirituel invraisemblable (et non actuel), au cœur de l'attitude de Marie, au cœur de l'attitude
de toute l’Eglise qui doit devenir Corps du Christ glorifié. Mais cette Eglise
est encore en marche ! Et sa marche ne peut être qu’une incessante
conversion !
Si nous
prétendons simplement attendre l’Enfant-Jésus, c'est affirmer ne pas avoir
besoin de conversion. Nous ne sommes plus en marche… Et si nous ne
sommes plus en marche, nous sommes comme figés… ; et tout devient figé. Et
Noël devient peu à peu un mythe, un beau mythe spirituel certes, le mythe
annuel et saisonnier de l'apparition de l'Enfant au solstice d'hiver. Mythe
connu, ancien et durable. Du coup, Jean-Baptiste et sa prédication n'ont plus
aucun sens. Il y a, là, imperceptiblement, toute une tentation d'annuler la
prédication du Baptiste, et, du même coup, celle du Christ !
Il y a un
indice permanent de cette tentation dans la manière dont l'Occident chrétien a
placé l'origine de sa chronologie, dans la manière dont nous comptons les
années. Nous disons : “Nous sommes en
2012…”, 2012 après la naissance de Jésus. Ce calcul a été fait au 6ème
siècle de notre ère par un certain moine, Denis le Petit.
Mais, avant,
comment comptait-on le temps ? On comptait le temps comme St Luc le fait. Il
compte le temps selon plusieurs chronologies, celle de l'histoire civile de
Rome : “l’an 15 de l’empereur
Tibère”. Et puis, celle de l'histoire du peuple d'Israël : Hérode
régnait, les grands prêtres étant Anne et Caïphe.
Quand nous
plaçons l'origine du temps à la naissance de Jésus, il y a cette tentation de
nous placer en cette position immaculée et maternelle de la Vierge Marie. Et du
même coup, nous affirmons que notre temps n’est pas le temps où la conversion
est encore une nécessité pour tous et chacun ! C’est, d'une certaine
façon, annuler le temps et masquer notre condition de pécheurs. C’est nous
mettre tous à la place de celle que l'Église a reconnue comme l'Immaculée - que
nous avons fêtée hier - ! Certes, l’Immaculée nous est bien proposée comme
notre propre figure, mais à la fin des temps, comme le dit l’Apocalypse : “Je vis descendre du ciel l'Épouse parée
pour son époux”. L’Epouse, c'est la figure de l'Église. C'est aussi la
figure mariale. C'est la nôtre, mais à la fin des temps. Nous sommes en marche,
en attente ! Attente qui exige conversion.
Et s'il y a
cette espèce de subtilité pour nous défaire de cette attente, c'est qu'au fond
il nous parait plus amusant, heureux et simple, d'attendre l'Enfant-Jésus - le
“petit Jésus” -, ce qui est inoffensif parce que l'Enfant-Jésus est
silence : il ne dit rien. Nous préférons peut-être ainsi faire semblant
d'attendre l'Enfant-Jésus pour éviter le présent de notre vie où, aujourd'hui,
retentit l'appel du Baptiste, et l'appel du Christ lors de son baptême !
Et pourtant,
nous avons, nous, à entendre cette Parole de Dieu qui saisit tout homme dans le
désert de sa vie : “dans le désert,
préparez le chemin… !” Certes, le texte du prophète Baruch (1ère lecture), et le psaume-graduel
de la liturgie romaine (125ème) peuvent
nous toucher, nous émouvoir, par la joie lyrique qu’ils dégagent : “Quitte ta robe de tristesse !” - “Merveille que fit pour nous le
Seigneur !”. Ces phrases résonnent en nous comme un peu de répit et de
paix apportés à l'homme qui souhaite tant réconfort, amour et justice !
Toutes choses que l’on imagine comme dans un rêve !
Mais chacun
sait que la vie n'est pas un rêve, qu'il est dangereux de rêver !
Aussi Jean Baptiste
nous réveille de ce rêve, en criant qu’il nous faut faire le même chemin qui a
suscité cette joie, cette paix ! Ce chemin, c'est celui de la fidélité qui
cherche à recevoir de Dieu seul la présence de Dieu, de Dieu seul la sainteté
et l'amour. Et pour cela, il nous faut sans cesse nous convertir, comme le
Baptiste nous y invite, pour accueillir le Règne de Dieu…
Prions la
Vierge Marie. Entrons en son vrai mystère : “Les commencements, a écrit Jean Guitton à propos de Marie, sont toujours riches de signification,
contenant déjà en germes ce qui va se développer par la suite… C’est en effet
un des caractères de la conduite de Dieu sur l’histoire que de ramasser en de certains
êtres privilégiés (comme Marie), ce qui doit, par la suite, se développer longuement,
se déployer et s’expliciter. Ainsi, l’homme inquiet, asservi à l’écoulement du
temps, peut jouir de ce qui n’est pas encore” mais qui arrivera !
… De ce qui
n’est pas encore pleinement et qui demande conversion : “Convertissez-vous…”, nous dit Jean-Baptiste !
Afin de paraître debout, dirait St Paul, “au jour de la venue du Christ
Jésus !".
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