dimanche 3 juillet 2016

L'homme dispose !

14e Dimanche du T.O. 16/C

Eric Tabarly, ce grand navigateur solitaire, taciturne que j'ai eu la chance de rencontrer une fois (dans un petit restaurant très modeste de la Trinité sur mer), écrivait dans ses “mémoires” : "Je me suis demandé pourquoi Dieu (le Dieu d'Amour, dit-on) permettait autant de saloperies et de misères sur notre terre. La réponse, peut-être, me la fournira-t-il - Dieu - dans l'au-delà !"..
La voilà bien la grande question, la pierre d'achoppement. "Si Dieu existe", a-t-on dit avec un humour grinçant, j'espère qu'il a de bonnes excuses", pour tant de malheurs de par le monde !

Mais pourquoi ne pas lire l'Evangile pour tenter de découvrir le projet de Dieu et trouver non une explication rationnelle, mais un commencement de réponse ?
Dans l'Evangile de ce jour, nous voyons Dieu en souci ! Il a un message vital à transmettre, mais les volontaires ne se bousculent pas pour cette tâche.
Pourtant, les forces du mal sont à l'œuvre. Pour les faire reculer, Dieu ne cesse d'embaucher. Par comparaison, il parle de vignerons et de moissonneurs. Dieu invente le blé et la vigne ; à l'homme de labourer, de semer et de récolter. Ainsi, de même, grâce aux moissonneurs, le blé de la Parole de Dieu pourrait faire des merveilles. Et Dieu ne cesse de lancer sa Parole - son Verbe, dira St Jean, d'appeler !

Oui, tout au long de la Bible, Dieu ne cesse d'appeler. - "Qui enverrai-je ?" - D'Abraham aux prophètes, Dieu appelle. Si aucun Moïse ne s'était porté volontaire, il n'y aurait pas eu de sortie d'Egypte. Que peut celui qui appelle à la résistance si personne ne répond ? 
Aussi, à y bien réfléchir, de quoi avons-nous l'air avec, parfois, notre idée d'un Dieu qui doit produire du blé sans moissonneurs, qui donnerait des soins aux malades sans médecins, qui transmettrait sa Parole sans messagers, comme le soulignera St Paul. De quoi avons-nous l'air avec notre idée d'un Dieu qui, comme une bonne fée, changerait de sa baguette magique une citrouille en carrosse, un torchon de vaisselle en robe de mariée ?                                             .

La moisson est là, surabondante, le blé est mûr. Il ne manque plus que les moissonneurs. Sinon, la récolte risque de se perdre. Mais où et comment trouver les ouvriers ? La demande de prière pour que le Père envoie des moissonneurs ne doit pas nous servir d'alibi paresseux.
* C'est dans la prière que Gandhi cherchera la liberté pour son peuple.
* C'est dans la prière que Luther King rêve de fraternité entre les races.
* C'est dans la prière que Mère Térésa décide de tout abandonner pour se consacrer aux plus délaissés.
Aussi peut-on dire, avec St Ignace : "Prie comme si tout dépendait de Dieu et agis comme si tout dépendait de toi" ! Et en lisant la Bible, on peut comprendre : "Prie afin de découvrir sur quel chantier, pour quelle tâche, Dieu te mobilise".

Je me souviens qu’à propos de la célèbre phrase de l’Evangile : "beaucoup d'appelés, peu d'élus", un commentateur donnait cette explication qui changeait le visage de Dieu et le visage du monde.
Il y a deux alternatives, disait-il.
* Ou bien : les places sont chères en paradis, et ne t'imagine pas qu'il y en aura pour toi. Le visage de Dieu serait alors celui d'un Dieu teigneux, d'un Dieu avare, d'un Dieu qui menace... !
* Ou bien : vous êtes tous invités à travailler pour l'avènement d'un monde réconcilié d'où le mépris, la haine et la solitude seront bannis... Vous êtes tous invités ! oui. Tous ! Mais, toi... viendras-tu ?

Le projet de Dieu est à la merci de la réponse de l'homme. Et contrairement à ce que dit le proverbe : "L'homme propose et Dieu dispose" il nous faut comprendre que c'est Dieu qui propose, et que c'est l'homme qui dispose ! Dieu n'est que don de soi. Il invite, il propose. Toujours ! Mais comme le jeune homme riche, le plus souvent nous nous dérobons. Alors que Dieu, lui, ne cesse de vouloir remettre son pouvoir créateur aux mains de l'homme, avec le privilège de donner cent pour un, il ne cesse de proposer ! C’est donc l’homme qui dispose.

Aussi, la question de Tabarly, il faut la retourner : "Pourquoi Dieu... Non point ! Mais pourquoi l'homme permet-il autant de saloperies et de misère sur notre terre ?
"Ou'est-ce qui ne va pas dans ce monde ?" demandait un journaliste à Mère Térésa. Et du tac au tac, elle répondit : "Vous et moi, Monsieur !".

Jésus, Dieu à visage humain, comment réagissait-il, lui ? Souvent, il est dit dans les évangiles que, rempli de miséricorde, Il est saisi de compassion jusqu'aux entrailles. La vue des foules tristes, accablées - surtout en Galilée - l'obsède… I Jésus est le reflet du Dieu de la Première Alliance. Il ne supporte pas que l'on abîme l’homme. Alors il aime, soigne, guérit : "Les muets parlent, les aveugles voient, les paralysés marchent !", fera-t-il dire à Jean-Baptiste dans sa prison. Dieu agissait par son humanité ! Et Dieu a toujours besoin de notre humanité !
Chaque jour, Jésus manifestait cet amour dont l'absence dérègle toutes les harmonies humaines. Sa conduite était contagieuse. Des foules le suivaient, se demandaient s'il n'était pas celui avec qui le monde pourrait changer... 

Bientôt, on va le condamner, le faire taire. Son temps est compté ! Alors, Il embauche, iI appelle. Il semble dire à chacun :
* Au lieu de dire que Dieu est muet, prête-lui ta voix.
* Au lieu de dire que Dieu est manchot, prête-lui tes bras !
"Celui qui croit en moi, dira-t-il, fera jaillir des sources… Celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes… Allez, je vous envoie...".
Entendez la plainte de ceux qui vivent au milieu des loups.
C'est par des courageux que je chasserai les tyrans.
C'est par des messagers d'espérance que j'intimiderai les loups.
Allez... Ne laissez pas votre générosité inemployée.

Certes, on peut être angoissé parfois devant des visages aimés qui semblent happés par le vide, le non-sens, par un monde sans âme, qui crient leur malheur de n’être né pour rien et de n’aller nulle part.
On peut penser à l’angoisse de cet auteur bien connu, Saint-Exupéry, à la veille de sa dernière mission : "J'ai le sentiment que nous marchons vers les temps les plus noirs du monde... Il n'y a qu'un seul problème, un seul : rendre aux hommes une dimension spirituelle... Que faut-il dire aux hommes ?" - Mais il faut dire l’Evangile, il faut proclamer Jésus Christ. Et c’est sans doute ce message-là que Saint-Exupéry appelait de ses vœux avec son cri célèbre : "II faut réveiller l'archange qui dort sur son fumier...!" (Citadelle). Ce n’est qu’une Parole divine qui peut le réveiller. L'héritage n’est pas perdu, il est peut-être oublié ; ou bien il n’a pas assez de moissonneurs.

Oui, nous sommes invités à rejoindre les 72 qui devaient marcher en-avant du Christ pour dire : "Quelqu'un est là au milieu de vous, que vous ne connaissez pas". Il a fait un domaine où l'amour sera loi, sera roi. Vous n'êtes pas des enfants du hasard. Vous êtes grands, vous êtes fils de Dieu. Vous ne marchez pas vers un cimetière, mais vers un Royaume de vie. Le roi de ce Royaume est le donneur de sens. II embauche sur tous les chantiers où règnent la misère, l'exclusion, la douleur. "Chaque fois qu'un homme est torturé, c'est Dieu qui échoue et souffre", disait le rabbin Eisenberg, à la suite d'Elie Wiesel qui vient de mourir. Le Christ est encore prisonnier quelque part, ligoté par notre violence. Aussi, faut-il le redire :  ce n'est pas l'homme qui attend le Messie, c'est la Messie qui attend l'homme.

Sachons-le encore : l'envoie des 72 disciples qui pourraient bien être 72 millions aujourd'hui, procède du même élan que celui de l'Amour qui jaillit au cœur de la Trinité : "Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie". Comme le Père a envoyé son Fils, comme le Fils nous envoie, qu'il nous donne, lui, son Esprit… pour que nous sachions puiser nos plus hautes joies dans les promesses de l’Eternité : "Réjouissez-vous ; vous êtes aimés, vous êtes envoyés ; vos noms sont inscrits dans le Ciel !" .

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