dimanche 20 décembre 2015

Joie !

4ème Avent  15-16/C - Joie !

Toute la joie de la "Bonne Nouvelle" du Christ, "Bonne Nouvelle" de Dieu parmi les hommes, cette joie paraît s'être condensée dans ces premiers chapitres de l'évangile de Luc.
Et cette joie ne nous sera à nouveau annoncée que lorsque les disciples, invités à toucher le corps du Christ ressuscité, leur incrédulité vaincue, se retrouveront “remplis d'Esprit Saint, louant et bénissant Dieu dans le Temple, pleins de joie (Lc 24.52-53 - dernières phrases de l'évangile de Luc).
Mais entre le moment du baptême de Jésus et celui où il surgit ressuscité, la joie est fugace, elle est à peine suggérée. Ou plutôt, pour ainsi dire, elle ne peut pas s'exprimer pleinement, totalement.

C’est dire que, pour nous encore, cette joie de la "Bonne Nouvelle" du Christ nous est donnée d'une façon - je dirais - "dramatique" ; non pas dans une dramatisation extérieure et spectaculaire, mais dans le "drame" de notre condition humaine souvent déchirée et contradictoire.
Sans cesse, nous sommes pris entre notre faiblesse et la force de Dieu.
Entre notre péché et le pardon qui nous enveloppe.
Entre l'espérance qui nous habite et les forces du doute qui nous saisissent.
Entre la promesse de la vie et la mort qui nous étreint de tous côtés.
Entre une présence de Dieu qui est - nous le savons - au cœur de notre vie et un silence de Dieu dans un monde qui paraît si vide de sens.

Pourtant, en ce début de l'évangile de Luc, avant que Jésus ne commence sa vie publique, la joie chrétienne apparaît pleinement offerte, ingénument : car cette joie qui se trouve au début veut être déjà, probablement, comme un achèvement. Au seuil de son évangile, St Luc veut nous faire entrer dans un secret presque incommunicable ; il veut déjà nous faire entendre ce que nous écouterons au terme : “Je suis le Ressuscité, le Vivant ; soyez dans la joie !”. En remontant ainsi à la source de la joie, le Christ ressuscité, il nous fait savoir où va ce fleuve immense de la joie de Dieu à laquelle nous sommes destinés dès le début et tout au long et au terme de notre vie.

Il n’y a pas d’autre façon de lire ces premiers récits de St Luc, même si les événements qu’il relate, si nous voulons les mesurer au poids de notre existence que je qualifiais de "dramatique"..., même si ces événements peuvent paraître presque inconsistants !
Quoi de plus secret, de plus impossible à dire que l'exultation de ces deux femmes, Marie et Elisabeth, qui vont enfanter.
Plus encore, quoi de plus ténu que ce mystère caché d'enfants pas encore nés qui, dans le secret du sein de leur mère, sont présentés comme les messagers de la voix de Dieu ?
Et comment oser identifier la joie la plus profonde du monde dans ce secret silencieux d'enfants qui bougent dans le sein de leur mère ?

Nous ne pouvons pas en donner une pleine justification. Car de telles réalités ne sont perceptibles qu'à l'intérieur du croyant au Christ ressuscité, toujours vivant ! Cette joie est bien réelle, mais secrète ;
elle n’est accessible qu’à ceux qui partagent le secret de foi de Marie qui doit enfanter ;
elle n’est accessible qu’à ceux qui entrent dans son silence d'adoration d'un Dieu qui devient homme !
Cette joie secrète ne peut habiter que les disciples du Ressuscité qui reçoivent dans la foi cette confidence profonde et silencieuse de Marie : les temps sont accomplis, semble-t-elle dire. Dieu en Jésus est en moi, et, par moi, en vous et parmi vous ! N'est-ce pas cela Noël ?

Et cette joie secrète - mariale - est tout intérieure, à l'opposé de nos désirs trop humains. Si nous méditons les phrases du Magnificat, cette joie est toute entière donnée comme une joie de Dieu.
C'est l'exultation du croyant qui sait recevoir sa joie de la présence de Dieu.
C'est une joie qui proclame la présence de Celui qui vient au-devant de nous, en nous, et qui veut accomplir sa promesse de salut en nous.
C'est la joie du chrétien qui trouve sa plénitude de vie en reconnaissant que vient jusqu'à lui, en lui, la puissance du Ressuscité, du Vivant.

C'est une joie intérieure qui n'est faite que d'oubli. Non pas l'oubli morbide de l'homme qui se laisse comme couler dans son propre néant. Mais c'est
l'oubli du Croyant qui, devant son Créateur, reçoit sa vie uniquement du Ressuscité ;
l'oubli de soi qui fait dire au prophète : “Voici, ô Dieu, je viens faire ta volonté !” (Cf Heb 10.9).
l’oubli de Marie qui, dans la joie, s’exclame : “Qu’il me soit fait selon ta Parole. Je suis la servante du seigneur !”.
l'oubli de soi pour recevoir tout de Dieu et se recevoir de lui.
l'oubli qui nous fait entrer dans la Vie de Dieu !  N'est-ce pas cela Noël ?

C'est encore l'oubli de soi-même parce que les larmes de l'homme pécheur vont s'effacer et que l'ancien monde s'en va, dira St Jean.
Et dans cet oubli, l'Esprit Saint nous donne sa propre mémoire et fait que Marie ne se souvient que de Dieu, de sa promesse et de son accomplissement : “Il relève Israël ; il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères…”. - De même alors, la mémoire du chrétien revient aux racines de la vie de l'homme dans le secret de Dieu ; et elle retrouve alors la promesse divine et son accomplissement déjà en notre aujourd'hui. Avec joie ! Joie intérieure ! N'est-ce pas cela Noël ?

C'est une joie qui se souvient de Celui qui a dit qu'il viendrait, et qui, se souvenant, reçoit de lui la paix. C’est une joie secrète, car il est impossible de se la donner à soi-même. C'est une joie tellement profonde et secrète qu'il nous semble parfois impossible de l'éprouver vraiment.
Pour l'éprouver, il faudrait que nous soyons beaucoup plus purs que nous ne le sommes. Il faudrait que nous soyons capables de cesser de gémir sur nous-mêmes, de cesser d'être divisés et déchirés par mille désirs contradictoires, de cesser d'être heurtés par le scandale de ce monde pour être seulement fascinés par la plénitude de vie qui vient en nous, qui vient habiter en ce monde.
Pour l'éprouver, il faudrait que nous ayons en nous la plénitude de grâce de Marie à qui il est dit qu'en elle va reposer la gloire de Dieu.

C’est alors qu'on peut se rappeler cette parole de Jésus à ses disciples au moment de sa mort et sa résurrection, au moment où ils vont, eux, vivre cette même Passion dans la lâcheté de leur abandon. Il leur dit : “La femme, quand elle va accoucher, est dans la douleur. Mais une fois qu'elle a enfanté, elle est dans la joie d'avoir mis au monde un fils !” (Jn 16.21).
Et Jean, le Voyant de l'Apocalypse, décrit l'Église dans la figure céleste de cette femme qui est dans les douleurs de l'enfantement et qui a la joie de bientôt mettre au monde le premier-né sur qui repose tout pouvoir.
Cela veut dire que cette joie du commencement dans l'épreuve, elle est aussi la joie de l'Église ; et il n'est pas insensé, ni absurde d'oser demander à Dieu de nous faire entrer dans cette joie-là, malgré nos souffrances diverses.
Elle est pour nous, cette joie, puisque, de la bouche même du Christ et de son Apôtre, la figure de la femme qui enfante et qui donne au monde ce Fils nous est appliquée à nous, Église du Christ, appelée à faire surgir en notre monde le Sauveur des hommes. N'est-ce pas cela Noël ?

Ainsi, dès le commencement de notre vie, avec Marie - celle qui va enfanter et qui toujours enfante, elle la "Mère de l'Eglise" - avec Marie, nous sommes comme poussés en avant vers le terme, vers ce mystère de la présence du Christ ressuscité, du Vivant en nous, parmi nous.
Nous sommes poussés vers ce mystère de la présence divine en nous et parmi les hommes pour oser entrer déjà dans la joie. N'est-ce pas cela Noël ?
En ce mystère pascal de mort et de vie que, nous aussi, nous avons à vivre parfois cruellement, devant la présence du Christ en nous, du Christ au corps livré, au sang versé (que rappelle toute Eucharistie), la joie de Dieu nous est déjà donnée !

Et peut-être devons-nous, nous aussi, recevoir comme un accomplissement silencieux ce qui nous apparaît encore comme un enfant sans parole. Recevoir déjà comme une plénitude ce qui ne fait qu'annoncer la plénitude de la fin des temps.
C'est certainement ce que St Luc veut nous dire en parlant de cette joie des commencements avec Marie et Elisabeth, joie qui n'aura sa signification plénière qu'au matin de la Résurrection du Seigneur qui déjà veut être tout en tous ! N'est-ce pas cela Noël ?

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