4ème
Avent 15-16/C - Joie !
Toute la joie de la "Bonne Nouvelle" du Christ, "Bonne Nouvelle" de
Dieu parmi les hommes, cette joie paraît s'être condensée dans ces premiers chapitres
de l'évangile de Luc.
Et cette joie ne nous sera à nouveau annoncée que lorsque les disciples,
invités à toucher le corps du Christ ressuscité, leur incrédulité vaincue, se
retrouveront “remplis d'Esprit Saint,
louant et bénissant Dieu dans le Temple, pleins de joie” (Lc 24.52-53 - dernières phrases
de l'évangile de Luc).
Mais entre le moment du baptême de Jésus et celui où il surgit
ressuscité, la joie est fugace, elle est à peine suggérée. Ou plutôt, pour
ainsi dire, elle ne peut pas s'exprimer pleinement, totalement.
C’est dire que, pour nous encore, cette joie de la "Bonne Nouvelle" du Christ nous est
donnée d'une façon - je dirais - "dramatique" ; non pas dans une
dramatisation extérieure et spectaculaire, mais dans le "drame" de
notre condition humaine souvent déchirée et contradictoire.
Sans cesse, nous sommes pris entre notre faiblesse et la force de
Dieu.
Entre notre péché et le pardon qui nous enveloppe.
Entre l'espérance qui nous habite et les forces du doute qui nous
saisissent.
Entre la promesse de la vie et la mort qui nous étreint de tous
côtés.
Entre une présence de Dieu qui est - nous le savons - au cœur de
notre vie et un silence de Dieu dans un monde qui paraît si vide de sens.
Pourtant, en ce début de l'évangile de Luc, avant que Jésus ne
commence sa vie publique, la joie chrétienne apparaît pleinement offerte,
ingénument : car cette joie qui se trouve au début veut être déjà,
probablement, comme un achèvement. Au seuil de son évangile, St Luc veut nous
faire entrer dans un secret presque incommunicable ; il veut déjà nous
faire entendre ce que nous écouterons au terme : “Je suis le Ressuscité, le Vivant ; soyez dans la joie !”.
En remontant ainsi à la source de la joie, le Christ ressuscité, il nous fait
savoir où va ce fleuve immense de la joie de Dieu à laquelle nous sommes
destinés dès le début et tout au long et au terme de notre vie.
Il n’y a pas d’autre façon de lire ces premiers récits de St Luc,
même si les événements qu’il relate, si nous voulons les mesurer au poids de
notre existence que je qualifiais de "dramatique"..., même si ces
événements peuvent paraître presque inconsistants !
Quoi de plus secret, de plus impossible à dire que l'exultation de
ces deux femmes, Marie et Elisabeth, qui vont enfanter.
Plus encore, quoi de plus ténu que ce mystère caché d'enfants pas
encore nés qui, dans le secret du sein de leur mère, sont présentés comme les
messagers de la voix de Dieu ?
Et comment oser identifier la joie la plus profonde du monde dans
ce secret silencieux d'enfants qui bougent dans le sein de leur mère ?
Nous ne pouvons pas en donner une pleine justification. Car de
telles réalités ne sont perceptibles qu'à l'intérieur du croyant au Christ
ressuscité, toujours vivant ! Cette joie est bien réelle, mais
secrète ;
elle n’est accessible qu’à ceux qui partagent le secret de foi de
Marie qui doit enfanter ;
elle n’est accessible qu’à ceux qui entrent dans son silence d'adoration
d'un Dieu qui devient homme !
Cette joie secrète ne peut habiter que les disciples du Ressuscité
qui reçoivent dans la foi cette confidence profonde et silencieuse de Marie :
les temps sont accomplis, semble-t-elle dire. Dieu en Jésus est en moi, et, par
moi, en vous et parmi vous ! N'est-ce pas cela Noël ?
Et cette joie secrète - mariale - est tout intérieure, à l'opposé
de nos désirs trop humains. Si nous méditons les phrases du Magnificat, cette
joie est toute entière donnée comme une joie de Dieu.
C'est l'exultation du croyant qui sait recevoir sa joie de la
présence de Dieu.
C'est une joie qui proclame la présence de Celui qui vient
au-devant de nous, en nous, et qui veut accomplir sa promesse de salut en nous.
C'est la joie du chrétien qui trouve sa plénitude de vie en
reconnaissant que vient jusqu'à lui, en lui, la puissance du Ressuscité, du
Vivant.
C'est une joie intérieure qui n'est faite que d'oubli. Non pas l'oubli morbide de l'homme
qui se laisse comme couler dans son propre néant. Mais c'est
l'oubli du Croyant qui, devant son Créateur, reçoit sa vie
uniquement du Ressuscité ;
l'oubli de soi qui fait dire au prophète : “Voici, ô Dieu, je viens faire ta volonté !” (Cf Heb 10.9).
l’oubli de Marie qui, dans la joie, s’exclame : “Qu’il me soit fait selon ta Parole. Je suis
la servante du seigneur !”.
l'oubli de soi pour recevoir tout de Dieu et se recevoir de lui.
l'oubli qui nous fait entrer dans la Vie de Dieu ! N'est-ce pas cela Noël ?
C'est encore l'oubli de soi-même parce que les larmes de l'homme
pécheur vont s'effacer et que l'ancien monde s'en va, dira St Jean.
Et dans cet oubli, l'Esprit Saint nous donne sa propre mémoire
et fait que Marie ne se souvient que de Dieu, de sa promesse et de son
accomplissement : “Il relève
Israël ; il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères…”.
- De même alors, la mémoire du chrétien revient aux racines de la vie de
l'homme dans le secret de Dieu ; et elle retrouve alors la promesse divine et
son accomplissement déjà en notre aujourd'hui. Avec joie ! Joie intérieure !
N'est-ce pas cela Noël ?
C'est une joie qui se souvient de Celui qui a dit qu'il viendrait, et qui, se souvenant, reçoit de
lui la paix. C’est une joie secrète, car il est impossible de se la donner à
soi-même. C'est une joie tellement profonde et secrète qu'il nous semble
parfois impossible de l'éprouver vraiment.
Pour l'éprouver, il faudrait que nous soyons beaucoup plus purs
que nous ne le sommes. Il faudrait que nous soyons capables de cesser de gémir
sur nous-mêmes, de cesser d'être divisés et déchirés par mille désirs
contradictoires, de cesser d'être heurtés par le scandale de ce monde pour être
seulement fascinés par la plénitude de vie qui vient en nous, qui vient habiter
en ce monde.
Pour l'éprouver, il faudrait que nous ayons en nous la plénitude
de grâce de Marie à qui il est dit qu'en elle va reposer la gloire de Dieu.
C’est alors qu'on peut se rappeler cette parole de Jésus à ses
disciples au moment de sa mort et sa résurrection, au moment où ils vont, eux,
vivre cette même Passion dans la lâcheté de leur abandon. Il leur dit : “La femme, quand elle va accoucher, est dans
la douleur. Mais une fois qu'elle a enfanté, elle est dans la joie d'avoir mis
au monde un fils !” (Jn 16.21).
Et Jean, le Voyant de l'Apocalypse, décrit l'Église dans la
figure céleste de cette femme qui est dans les douleurs de l'enfantement et
qui a la joie de bientôt mettre au monde le premier-né sur qui repose tout pouvoir.
Cela veut dire que cette joie du commencement dans l'épreuve, elle
est aussi la joie de l'Église ; et il n'est pas insensé, ni absurde d'oser
demander à Dieu de nous faire entrer dans cette joie-là, malgré nos souffrances
diverses.
Elle est pour nous, cette joie, puisque, de la bouche même du
Christ et de son Apôtre, la figure de la femme qui enfante et qui donne au
monde ce Fils nous est appliquée à nous, Église du Christ, appelée à faire
surgir en notre monde le Sauveur des hommes. N'est-ce pas cela Noël ?
Ainsi, dès le commencement de notre vie, avec Marie - celle
qui va enfanter et qui toujours enfante, elle la "Mère de l'Eglise" -
avec Marie, nous sommes comme poussés en avant vers le terme, vers ce
mystère de la présence du Christ ressuscité, du Vivant en nous, parmi nous.
Nous sommes poussés vers ce mystère de la présence divine en nous
et parmi les hommes pour oser entrer déjà dans la joie. N'est-ce pas cela Noël
?
En ce mystère pascal de mort et de vie que, nous aussi, nous avons
à vivre parfois cruellement, devant la présence du Christ en nous, du Christ au
corps livré, au sang versé (que rappelle toute Eucharistie), la joie de Dieu nous est déjà donnée
!
Et peut-être devons-nous, nous aussi, recevoir comme un
accomplissement silencieux ce qui nous apparaît encore comme un enfant sans
parole. Recevoir déjà comme une plénitude ce qui ne fait qu'annoncer la
plénitude de la fin des temps.
C'est certainement ce que St Luc veut nous dire en parlant de
cette joie des commencements avec Marie et Elisabeth, joie qui n'aura sa
signification plénière qu'au matin de la Résurrection du Seigneur qui déjà veut
être tout en tous ! N'est-ce pas cela Noël ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire