dimanche 7 septembre 2014

Correction fraternelle

T.O. 23ème Dimanche -

Les évangiles des trois dimanches qui viennent et que nous pourrions intituler respectivement : - “la correction fraternelle” - “Les deux débiteurs” - et “le bon Maître de la Vigne” -, ces trois évangiles pourraient recevoir un titre commun tiré du dernier texte : “Pourrions-nous avoir l’œil mauvais, alors que lui (le Seigneur) est bon ?” 
Tout le chapitre 18ème de St Matthieu, d’ailleurs, traite de la vie entre frères, en communauté où le plus grand, c’est le plus petit, le plus humble qu’il ne faut ni mépriser ni surtout scandaliser, mais accueillir comme le Christ. Et même, il faut, comme un bon pasteur, aller à la recherche de celui qui s’égare.

Et c’est dans un tel contexte que Notre Seigneur nous demande, aujourd’hui, de savoir “gagner notre frère”, car nous sommes tous frères étant tous fils de notre Père des cieux ; nous sommes tous frères, même de celui qui a péché gravement. Il s’agit alors de “gagner son frère”.

L’expression signifie obtenir quelque chose au terme d’une démarche difficile, coûteuse peut-être. C’était le mot par lequel les missionnaires chrétiens - comme St Siméon Berneux que nous fêtons à Château du Loir - disaient leur joie d’avoir pu attacher quelqu’un à la foi en Jésus-Christ.
St Paul lui-même faisait l’impossible pour “gagner le plus grand nombre” d’hommes, pour “gagner les juifs…, gagner les sujets de la Loi…, gagner les sans-Loi., gagner les faibles”. Et dans l’une de ses lettres, il met ce mot en parallèle avec le terme “sauver” (I Co 9/19-22).
St Pierre emploie l’expression dans le même sens, lui qui demande eux femmes de “gagner” leurs maris qui refusent de “croire à la Parole” (I Pet 3/1).

Il faudra donc “reprendre” son frère afin de le “gagner”. Car il ne faut pas se tromper : l’Eglise est une communauté de pécheurs, de pécheurs sans cesse pardonnés mais toujours fragiles. Jésus lui-même ne s’est pas fait illusion : il savait qu’on retrouverait toujours les mêmes misères humaines qu’il a rencontrées dans sa petite communauté apostolique. Il serait grave de s’en étonner et surtout de s’en scandaliser et de mépriser ou critiquer le coupable. “C’est en aimant que vous devez corriger, dit St Augustin. Si vous n’agissez pas ainsi, vous devenez pire que celui qui a péché. Il a fait un mal et il s’est ainsi blessé gravement. Vous, vous méprisez cette blessure de votre frère, vous vous montrez pire en l’ignorant ou en le critiquant, vous vous montrez pire que lui en l’outrageant”.

C’est dire que toute démarche envers un frère gravement coupable doit s’inspirer d’une grande charité toute empreinte de délicatesse. Seules la charité et la délicatesse peuvent rendre possible une “correction fraternelle”. C’est la manière indispensable que le Seigneur attend et exige de nous : “Va !, dit-il, reprends ton frère, seul à seul”. Alors que trop souvent nous manquons de discrétion, nous divulguons inconsidérément… “Pourquoi, demande St Jérôme, faire savoir à un autre le péché de ton frère, si ton frère le reconnaît et s’en corrige ?” - “Médire des hommes enseigne à médire de Dieu ; et c’est déjà médire de Dieu !”. Il nous faut donc insister : il n'est pas bon de divulguer trop facilement et de parler sans cesse des faiblesses de nos frères. Sachons dissiper ce tort avant de vouloir "corriger" nos frères !

Et Notre Seigneur de nous indiquer que plus l'affaire est grave, plus la "correction fraternelle" se pratique par étapes : d'abord un dialogue "seul à seul", puis, s'il le faut, avec plusieurs "témoins"..., et finalement "en Eglise" ! Mais la plupart du temps, il n'est pas nécessaire d'en arriver à ce dernier stade. Heureusement !

Et encore, sachons discerner et de pas faire d'amalgame : Unité, union n'est pas obligatoirement uniformité totale. L'Eglise elle-même a toujours fait cette distinction, même avec les plus grands de ses fils qu'elle respecte et qu'elle canonise : - St Thomas d'Aquin, appelé pourtant le "Docteur commune", n'était pas pour la définition du dogme de l'Immaculée Conception. Il y eut même "dispute" avec St Bonaventure... Et l'Eglise n'a alors exclu ni l'un ni l'autre. - Au 2ème Concile d'Orange (529), on n'a pas adopté les conclusions du grand St Augustin sur la liberté et la prédestination... Si l'Eglise agit ainsi envers des personnages aussi grands et respectables, n'avons-nous pas le devoir d'avoir le même regard sur nos petites divergences légitimes ?

Oui, la "correction fraternelle" exige beaucoup d'humilité. Cependant l'humilité ne consiste pas à s'effacer, mais à être dans une attitude de vérité, ni trop haut, ni trop bas, si je puis dire. St Paul dit à son disciple Timothée d'avoir un esprit non pas de timidité, mais d'assurance : "Ce n'est pas un esprit de crainte que Dieu a donné, mais un Esprit de force, d'amour et de maîtrise de soi" (II Tim. 1.7).
Ainsi donc, si quelqu'un n'est pas d'accord avec l'Eglise, de façon notoire, c'est un devoir de lui demander de s'expliquer ; s'il persiste dans l'erreur, on a le droit de lui dire : "Ecoutez ! Pensez comme vous l'entendez, agissez selon votre conscience ; mais ne dites pas que vous pensez à la place de l'Eglise, parce que l'Eglise ne pense pas ainsi". On a parfois le devoir d'agir ainsi, de le faire au service de la vérité !
Mais là encore, il faut toujours faire une distinction, comme l'enseigne l'Ecriture Sainte, entre l'accusation et la "correction fraternelle". Le Démon, lui, le Satan, dit l'apocalypse, est le grand "accusateur de nos frères" (Cf Ap. 12.10). Et souvent avec grande habileté, il nous pousse à toujours présenter la Vérité de telle manière qui ne fait qu'enfoncer un frère en son mal alors que la question, normalement, est de l'en tirer. La "correction fraternelle", elle, est toujours positive, pleine d'espérance !

La première lecture de ce dimanche nous l'indique à sa façon : Le "guetteur", dit Ezéchiel, est chargé d’annoncer aux habitants d’une cité l’approche d’un malheur pour qu’ils prennent, en temps utile, les dispositions opportunes. Ainsi, ajoute-t-il, le prophète est chargé, lui aussi, de dire au peuple de Dieu, le mal imminent, le châtiment qui le menace afin de le pousser à une opportune conversion. Et Ezéchiel précisait que cette tâche devait être exercée, non seulement auprès du peuple, mais au bénéfice de chacun de ses membres.

Ce sens de la responsabilité n’est plus l’apanage du seul prophète, mais il est exigé de chacun des disciples du Christ. Il appartient à tout disciple de s’employer, par une parole opportune, en toute charité et délicatesse, à “gagner” celui qui est son “frère”, fils d’un même Père, ayant droit au même héritage, comme devant vivre éternellement avec lui dans la Cité sainte d’où “le mien” et “le tien” seront bannis et où tous jouiront en commun et sans envie de la même félicité. - “Et notre Père qui est aux cieux ne veut pas, dira Jésus, qu’un seul de ces petits se perde”.

Sans nous attarder sur les autres moyens que Notre Seigneur nous recommande pour “gagner” notre frère, arrêtons-nous sur la dernière phrase de l’évangile : “si deux d’entre vous sur la terre s’entendent pour demander quelque chose, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux”.

Autrement dit, là où l’homme est impuissant, Dieu reste Tout-Puissant. Il nous reste à le prier. Et notre efficacité est multipliée infiniment par sa Toute-Puissance pour sauver celui qui se perd.
Sainte Bernadette avait bien compris cela, elle à qui la Vierge Immaculée avait demandé de "prier pour les pécheurs" ! Une fois devenue religieuse à Nevers, elle fut présentée par ses supérieures à l'évêque du lieu comme "une ignorante" et une "bonne à rien" ! Ces qualificatifs invraisemblables parce que très réducteurs sont peu charitables, même s'ils sont utilisés, d'après les supérieures de Ste Bernadette, pour faire acquérir l'humilité !  Aussi, avec une excellente répartie, l'évêque lui donna la mission, "l'obédience de la prière", ce qui renouvelait la demande de la Vierge Marie !
Ste Bernadette s'y employa si bien qu'elle put acquérir cette faculté de situer tout ressentiment, tout désaccord, tout désarroi, tout événement non "au ras du sol" comme on le fait souvent, mais en Dieu, et cela avec le simple outil de la prière mariale. De sorte que lorsqu'une postulante ou une novice éprouvait une difficulté de vie religieuse, ses supérieures qui l'avaient si facilement présentée comme "une bonne à rien" se permettaient de la lui adresser - paradoxe pascal très fréquent ! -, car elle avait l'art et l'humour de reprendre non en enfonçant mais en élevant ! Elever toute âme même pècheresse vers Jésus mort pour les péchés sur une croix, mais ressuscité et désormais toujours vivant ! Le P. Laurentin, dans son grand livre "Bernadette vous parle" souligne très souvent ce trait de caractère spirituel chez Ste Bernadette qui n'était qu'une forme heureuse de la "correction fraternelle"' !

Il nous faut donc insister : si le péché peut faire éclater une Communauté quelle qu’elle soit (familiale ou autre), la prière renforcera son unité. La rencontre et le partage dans la prière sont les temps forts d’une vie communautaire, familiale ou autre. Si, au milieu même de leurs conflits, deux ou trois frères “s’assemblent au nom de Jésus”, c’est-à-dire dans une foi commune en lui et à cause de lui, Jésus “est là” au milieu d’eux. La prière communautaire est une arme victorieuse contre la division ; elle est créatrice d’unité ; elle est porteuse de la présence du Christ.
Car si l’action est bonne, elle n’est pas toujours opportune en certaines circonstances ; alors, il faut se rappeler que le ressort des événements d’ici-bas est au-dessus des agitations humaines et que le succès n’est pas à ceux qui se dépensent en efforts extérieurs, mais à ceux qui prient. Agir ! Oui ! Mais n'agissons pas, disait Dom Guéranger "comme si, toute œuvre bonne de l'homme n'était pas un don de Dieu, un don qui suppose la demande qu'on en a faite et l'action de grâce qu'on en rend" ! (Préface de l'Année liturgique).

Aussi, devons-nous renforcer nos liens de fraternité avec tous, en dépassant les tensions et conflits par la communion au Christ dans la prière et l’amour de Dieu. Si nous restons “au ras du sol”, nous nous divisons, si nous nous élevons dans la prière, nous convergeons. Ainsi la prière de l’Eglise apparaît comme l’un des meilleurs moyens pour une action apostolique plus efficace. La prière est donc le premier élément indispensable de toute vraie "correction fraternelle".

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