T.O. 23ème
Dimanche -
Les évangiles des trois dimanches
qui viennent et que nous pourrions intituler respectivement : - “la correction
fraternelle” - “Les deux débiteurs” - et “le bon Maître de la Vigne” -, ces
trois évangiles pourraient recevoir un titre commun tiré du dernier texte : “Pourrions-nous
avoir l’œil mauvais, alors que lui (le Seigneur) est bon ?”
Tout le chapitre 18ème de
St Matthieu, d’ailleurs, traite de la vie entre frères, en communauté où le
plus grand, c’est le plus petit, le plus humble qu’il ne faut ni mépriser ni
surtout scandaliser, mais accueillir comme le Christ. Et même, il faut, comme
un bon pasteur, aller à la recherche de celui qui s’égare.
Et c’est dans un tel contexte que
Notre Seigneur nous demande, aujourd’hui, de savoir “gagner notre frère”, car nous sommes tous frères étant tous
fils de notre Père des cieux ; nous sommes tous frères, même de celui qui a
péché gravement. Il s’agit alors de “gagner
son frère”.
L’expression signifie obtenir
quelque chose au terme d’une démarche difficile, coûteuse peut-être. C’était le
mot par lequel les missionnaires chrétiens - comme St Siméon Berneux que nous
fêtons à Château du Loir - disaient leur joie d’avoir pu attacher quelqu’un
à la foi en Jésus-Christ.
St Paul lui-même faisait
l’impossible pour “gagner le plus grand
nombre” d’hommes, pour “gagner les
juifs…, gagner les sujets de la Loi…, gagner les sans-Loi., gagner les faibles”.
Et dans l’une de ses lettres, il met ce mot en parallèle avec le terme “sauver” (I Co 9/19-22).
St Pierre emploie l’expression dans
le même sens, lui qui demande eux femmes de “gagner”
leurs maris qui refusent de “croire à la
Parole” (I
Pet 3/1).
Il faudra donc “reprendre” son frère
afin de le “gagner”. Car il ne faut pas se tromper : l’Eglise est une
communauté de pécheurs, de pécheurs sans cesse pardonnés mais toujours
fragiles. Jésus lui-même ne s’est pas fait illusion : il savait qu’on
retrouverait toujours les mêmes misères humaines qu’il a rencontrées dans sa
petite communauté apostolique. Il serait grave de s’en étonner et surtout de
s’en scandaliser et de mépriser ou critiquer le coupable. “C’est en aimant que vous devez corriger, dit St Augustin. Si vous n’agissez pas ainsi, vous devenez
pire que celui qui a péché. Il a fait un mal et il s’est ainsi blessé
gravement. Vous, vous méprisez cette blessure de votre frère, vous vous montrez
pire en l’ignorant ou en le critiquant, vous vous montrez pire que lui en
l’outrageant”.
C’est dire que toute démarche envers
un frère gravement coupable doit s’inspirer d’une grande charité toute
empreinte de délicatesse. Seules la charité et la délicatesse peuvent
rendre possible une “correction fraternelle”. C’est la manière
indispensable que le Seigneur attend et exige de nous : “Va !, dit-il, reprends ton
frère, seul à seul”. Alors que trop souvent nous manquons de discrétion,
nous divulguons inconsidérément… “Pourquoi,
demande St Jérôme, faire savoir à un
autre le péché de ton frère, si ton frère le reconnaît et s’en corrige ?” - “Médire
des hommes enseigne à médire de Dieu ; et c’est déjà médire de Dieu !”. Il
nous faut donc insister : il n'est pas bon de divulguer trop facilement et de
parler sans cesse des faiblesses de nos frères. Sachons dissiper ce tort avant
de vouloir "corriger" nos frères !
Et Notre Seigneur de nous indiquer
que plus l'affaire est grave, plus la "correction fraternelle" se
pratique par étapes : d'abord un dialogue "seul à seul", puis, s'il le faut, avec plusieurs "témoins"..., et finalement "en Eglise" ! Mais la plupart
du temps, il n'est pas nécessaire d'en arriver à ce dernier stade. Heureusement
!
Et encore, sachons discerner et de
pas faire d'amalgame : Unité, union n'est pas obligatoirement uniformité
totale. L'Eglise elle-même a toujours fait cette distinction, même avec les
plus grands de ses fils qu'elle respecte et qu'elle canonise : - St Thomas
d'Aquin, appelé pourtant le "Docteur commune", n'était pas
pour la définition du dogme de l'Immaculée Conception. Il y eut même
"dispute" avec St Bonaventure... Et l'Eglise n'a alors exclu ni l'un
ni l'autre. - Au 2ème Concile d'Orange (529), on n'a pas adopté les
conclusions du grand St Augustin sur la liberté et la prédestination... Si
l'Eglise agit ainsi envers des personnages aussi grands et respectables,
n'avons-nous pas le devoir d'avoir le même regard sur nos petites divergences
légitimes ?
Oui, la "correction
fraternelle" exige beaucoup d'humilité. Cependant l'humilité ne
consiste pas à s'effacer, mais à être dans une attitude de vérité, ni trop
haut, ni trop bas, si je puis dire. St Paul dit à son disciple Timothée d'avoir
un esprit non pas de timidité, mais d'assurance : "Ce n'est pas un esprit de crainte que Dieu a donné, mais un
Esprit de force, d'amour et de maîtrise de soi" (II Tim. 1.7).
Ainsi donc, si quelqu'un n'est pas d'accord
avec l'Eglise, de façon notoire, c'est un devoir de lui demander de s'expliquer
; s'il persiste dans l'erreur, on a le droit de lui dire : "Ecoutez !
Pensez comme vous l'entendez, agissez selon votre conscience ; mais ne dites
pas que vous pensez à la place de l'Eglise, parce que l'Eglise ne pense pas
ainsi". On a parfois le devoir d'agir ainsi, de le faire au service de la
vérité !
Mais là encore, il faut toujours faire
une distinction, comme l'enseigne l'Ecriture Sainte, entre l'accusation et
la "correction fraternelle". Le Démon, lui, le Satan, dit
l'apocalypse, est le grand "accusateur
de nos frères" (Cf
Ap. 12.10).
Et souvent avec grande habileté, il nous pousse à toujours présenter la Vérité de
telle manière qui ne fait qu'enfoncer un frère en son mal alors que la
question, normalement, est de l'en tirer. La "correction
fraternelle", elle, est toujours positive, pleine d'espérance !
La première lecture de ce dimanche nous
l'indique à sa façon : Le "guetteur", dit Ezéchiel, est chargé
d’annoncer aux habitants d’une cité l’approche d’un malheur pour qu’ils
prennent, en temps utile, les dispositions opportunes. Ainsi, ajoute-t-il, le
prophète est chargé, lui aussi, de dire au peuple de Dieu, le mal imminent, le
châtiment qui le menace afin de le pousser à une opportune conversion. Et
Ezéchiel précisait que cette tâche devait être exercée, non seulement auprès du
peuple, mais au bénéfice de chacun de ses membres.
Ce sens de la responsabilité n’est
plus l’apanage du seul prophète, mais il est exigé de chacun des disciples
du Christ. Il appartient à tout disciple de s’employer, par une parole
opportune, en toute charité et délicatesse, à “gagner” celui qui est son
“frère”, fils d’un même Père, ayant droit au même héritage, comme devant vivre
éternellement avec lui dans la Cité sainte d’où “le mien” et “le tien” seront
bannis et où tous jouiront en commun et sans envie de la même félicité. - “Et notre Père qui est aux cieux ne veut
pas, dira Jésus, qu’un seul de ces
petits se perde”.
Sans nous attarder sur les autres
moyens que Notre Seigneur nous recommande pour “gagner” notre frère, arrêtons-nous sur la dernière phrase de
l’évangile : “si deux d’entre vous sur la
terre s’entendent pour demander quelque chose, ils l’obtiendront de mon Père
qui est aux cieux. Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au
milieu d’eux”.
Autrement dit, là où l’homme est
impuissant, Dieu reste Tout-Puissant. Il nous reste à le prier. Et
notre efficacité est multipliée infiniment par sa Toute-Puissance pour sauver
celui qui se perd.
Sainte Bernadette avait bien compris
cela, elle à qui la Vierge Immaculée avait demandé de "prier pour les pécheurs" ! Une fois devenue
religieuse à Nevers, elle fut présentée par ses supérieures à l'évêque du lieu
comme "une ignorante" et
une "bonne à rien" ! Ces
qualificatifs invraisemblables parce que très réducteurs sont peu charitables,
même s'ils sont utilisés, d'après les supérieures de Ste Bernadette, pour faire
acquérir l'humilité ! Aussi, avec une
excellente répartie, l'évêque lui donna la mission, "l'obédience de la prière", ce qui renouvelait la demande
de la Vierge Marie !
Ste Bernadette s'y employa si bien
qu'elle put acquérir cette faculté de situer tout ressentiment, tout désaccord,
tout désarroi, tout événement non "au ras du sol" comme on le fait
souvent, mais en Dieu, et cela avec le simple outil de la prière mariale. De
sorte que lorsqu'une postulante ou une novice éprouvait une difficulté de vie
religieuse, ses supérieures qui l'avaient si facilement présentée comme "une bonne à rien" se
permettaient de la lui adresser - paradoxe pascal très fréquent ! -, car elle
avait l'art et l'humour de reprendre non en enfonçant mais en élevant ! Elever
toute âme même pècheresse vers Jésus mort pour les péchés sur une croix, mais
ressuscité et désormais toujours vivant ! Le P. Laurentin, dans son grand livre
"Bernadette vous parle" souligne très souvent ce trait de caractère
spirituel chez Ste Bernadette qui n'était qu'une forme heureuse de la "correction fraternelle"' !
Il nous faut donc insister : si le
péché peut faire éclater une Communauté quelle qu’elle soit (familiale ou
autre), la prière renforcera son unité. La rencontre et le partage dans
la prière sont les temps forts d’une vie communautaire, familiale ou autre. Si,
au milieu même de leurs conflits, deux ou trois frères “s’assemblent au nom de Jésus”, c’est-à-dire dans une foi commune
en lui et à cause de lui, Jésus “est là”
au milieu d’eux. La prière communautaire est une arme victorieuse contre la
division ; elle est créatrice d’unité ; elle est porteuse de la présence du
Christ.
Car si l’action est bonne, elle
n’est pas toujours opportune en certaines circonstances ; alors, il faut se
rappeler que le ressort des événements d’ici-bas est au-dessus des agitations
humaines et que le succès n’est pas à ceux qui se dépensent en efforts
extérieurs, mais à ceux qui prient. Agir ! Oui ! Mais n'agissons pas, disait
Dom Guéranger "comme si, toute œuvre
bonne de l'homme n'était pas un don de Dieu, un don qui suppose la demande
qu'on en a faite et l'action de grâce qu'on en rend" ! (Préface de l'Année
liturgique).
Aussi, devons-nous renforcer nos
liens de fraternité avec tous, en dépassant les tensions et conflits par la
communion au Christ dans la prière et l’amour de Dieu. Si nous
restons “au ras du sol”, nous nous divisons, si nous nous élevons dans la
prière, nous convergeons. Ainsi la prière de l’Eglise apparaît comme l’un des
meilleurs moyens pour une action apostolique plus efficace. La prière est
donc le premier élément indispensable de toute vraie "correction
fraternelle".
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