samedi 16 août 2014

La foi d'une païenne

T.O. 20ème Dimanche -

Il est facile de se scandaliser des refus que Jésus oppose à la si belle prière de la Cananéenne. Et il est vrai qu’à première lecture, la dureté des réponses de Jésus à cette femme peut surprendre. Il n’empêche : c’est toujours facile de se scandaliser. Il faut pourtant dire et se redire qu’il s’agit, là, de la Parole de Dieu ! Et si on critique facilement tel passage de la Bible, Notre Seigneur pourrait nous adresser ce reproche qu’il faisait à ses apôtres : “N’avez-vous donc pas compris encore ?”

Aussi efforçons-nous de comprendre. Et à propos de cet évangile, beaucoup, comme pour excuser les étonnantes réponses de Jésus, font l’hypothèse d’une dureté “pédagogique” : voulant éprouver la foi de la Cananéenne, Jésus aurait, en un premier temps, refusé le miracle pour que cette femme, en un second temps, exprime une parfaite confiance. Chose possible, mais hypothèse fragile et sujette à caution.

Il vaut mieux prêter attention au récit et à son contexte :
- Dimanche dernier, Jésus se plaignait de la “petite foi” de Pierre qui, marchant sur les eaux du lac à son invitation, avait eu peur et manqué de confiance : “Homme de “petite foi”, pourquoi douter ?”.
- Le Dimanche précédent, on avait remarqué que Jésus avait fui la foule qu’il avait pourtant rassasiée, parce qu’elle n’avait pas compris le sens du miracle des pains. Bien plus, Jésus s’était violemment heurté aux scribes et pharisiens qui, mieux que d’autres, auraient du saisir le sens de ce miracle qui avait moult résonances dans l’histoire d’Israël. Et Jésus, très déçu - ayant comme nous une sensibilité d'homme qu'il était totalement - avait eu cette remarque cinglante : “Ce sont des aveugles qui guident des aveugles…”. Bien davantage encore, il s’apercevait que ses apôtres eux-mêmes n’avaient rien compris : “Vous ne comprenez donc pas encore ?”.

Aussi, très attristé par toutes ces incompréhensions de ses compatriotes eux-mêmes, Jésus se retire dans la région de Tyr et Sidon (sud du Liban). C’était un pays païen. Et il faut se souvenir de la barrière presque insurmontable qui séparait Juifs et Cananéens, du mépris, d’ailleurs réciproque, des uns pour les autres. Comme anecdote qui illustre un reste de cette opposition, on m’a dit qu’il n’y a que, peu de temps encore, lorsqu’un Juif demeurait dans cette région et qu’il y décédait, on transportait le défunt immédiatement en terre juive. Car il était inconcevable que sa dépouille reste en terre païenne, cette terre honnie depuis toujours, depuis le temps surtout où Salomon avait vendu cette région qui faisait partie de la "Terre promise" au roi Hiram de Tyr en compensation de matériaux qu'il avait acquis auprès de ce roi pour ses diverses constructions, le temple notamment ! Politique reconnue néfaste !

Et c’est justement de cette région que surgit une femme - une étrangère, une païenne - qui, par opposition à la “petite foi” de Pierre sur les eaux, par opposition à l'hostilité des scribes et des pharisiens, va manifester au contraire une grande foi : “Ta foi est grande”, lui dira Jésus.

Et pour mieux souligner ce contraste, Jésus - sa pensée étant encore tout attristée par le manque de foi rencontrée chez les siens -, murmure, un peu amer et peut-être ironique, mais surtout à l’adresse de ses apôtres : “Mais, vous le savez, je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël”, ces brebis qui elles-mêmes, pourtant, n’ont encore rien compris. Et, faisant le lien avec le signe mal accueilli de la multiplication des pains, il explique, toujours quelque peu persifleur à l'encontre de ses apôtres et non pas de la femme, païenne : “Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants” - qu’ils reçoivent pourtant sans comprendre - “pour le donner aux petits chiens”, à ces païens qui, a priori, ne peuvent que moins bien saisir le sens de ses paroles et actions.

Oui, ce thème du pain, très suggestif pour un Juif, fait le lien entre les décevants incidents qui ont précédés et la demande de cette païenne si remplie de foi : “Femme, ta foi est grande !”.

Autrement dit, si Jésus a semblé fortement rebuter les démarches de cette femme, c’était pour mieux souligner le fort contraste entre le manque de foi qu’il rencontrait chez les siens et l’immense confiance de cette païenne. Le récit se veut d’ailleurs “universaliste”, comme si Jésus, devant cette foi immense, découvrait, émerveillé, que son Père ne lui donnait pas seulement le peuple Juif en héritage, mais aussi la foule immense des païens. D'ailleurs, l’évangile de Matthieu qui s'adresse pourtant à des Juifs convertis, se terminera par cette invitation à l'universel : “Allez, de toutes les nations faites des disciples”.

Ceci dit, pour expliquer ce passage d’évangile un peu difficile. Mais remarquons surtout : pour Jésus, c’est la foi qui est essentielle ! Il ne fait des miracles que pour cela - ce qui est souvent répété dans l’évangile -. Jésus respecte le manque de foi, car il respecte la liberté humaine, don de Dieu. Mais ce manque de foi le déconcerte toujours et l'empêche de répandre à profusion les bienfaits de Dieu qui ne demande que l'ouverture d’un cœur pour les recevoir. L'exemple célèbre est celui de ses compatriotes de Nazareth : “il ne fit pas beaucoup de miracles, parce qu'ils ne croyaient pas”.

Comme la Cananéenne, nous avons tous fait, un jour ou l'autre, l'expérience de ne pas voir nos prières exaucées, apparemment. Eh bien ! Méditons cette scène merveilleuse. Qui sait si elle ne contient pas les réponses, à nos questions.    
- Nous voyons... d’abord, qu'il ne faut pas se fier aux apparences, à ce que nous voyons à l'extérieur ! Jésus apparaît là sans cœur, insensible, dur, cinglant même. Il commence par ne rien répondre. Puis il oppose un refus catégorique : “Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d’Israël”. Enfin il semble se moquer et de la pauvre femme et surtout du manque de foi de ses apôtres : “Il n'est pas bon de prendre le pain des petits enfants, pour le donner aux petits chiens”.
- Mais sous ces apparences, entre cette Cananéenne et Jésus, il se passe quelque chose... à l'intérieur, qui rappelle l’entretien de Jésus avec la Samaritaine.. L’apparente dureté de Jésus est comme un barrage de haute montagne qui provoque la montée des eaux. La foi de la femme grandit, monte, à chaque épreuve nouvelle, jusqu'à constituer comme un grand lac... de confiance et de persévérance.

Parce que, pour Jésus, la foi est plus précieuse que tout. Soumise à trois épreuves successives, qui sont trois prières inexaucées, la Cananéenne, l'étrangère, est devenue un modèle pour les disciples, eux qui n'avaient qu'une “petite foi”, et Jésus ne peut retenir son admiration : “Femme,, ta foi est grande !”.

Cette page d'évangile, sous une forme très concrète, est donc une grande page de théologie... qui annonce la thèse de la lettre aux Romains de St Paul : “L’Évangile est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du juif d'abord - ces brebis de la maison d'Israël -, puis du grec” - ici l'étrangère -. (Rm 1,16). Nous avons là l'essentiel de la révélation évangélique. Jésus n'impose à cette femme étrangère aucune des conditions légales juives... Le salut de sa fille n'est dû qu'à l'humble insistance de sa foi seule.

A une époque où l'on est tenté de majorer l'amour au détriment de la foi, il est bon de nous interroger sur la force de notre foi, que les épreuves de la vie et la prière peuvent faire grandir... afin qu’il nous soit dit à nous aussi : “Ta foi est grande ; que tout s’accomplisse comme tu le veux”.

Cette Cananéenne, cette païenne n’a pas de nom propre, pas plus que la Samaritaine. Que sont-elles devenues ? Elles sont passées comme des météores pour nous solliciter à une foi plus ardente et persévérante, à une charité qui abolisse les barrières entre les hommes. Remercions-les de leurs exemples avant des les rencontrer avec joie au jour éternel dans le Royaume de Dieu.

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