T.O. 15
Lundi - Ecouter, voir le projet de Dieu
On le sait : les livres sapientiaux ont
recueilli les sentences que la mémoire d'un "peuple de l'oreille" a
glanées au cours de son histoire mouvementée, en réfléchissant à son passé
religieux et au contact de diverses civilisations.
Ces livres émettent souvent des
recommandations pour un "bien-vivre-ensemble". Et nombre d'entr'elles
peuvent être encore observées avec grand bénéfice. On peut dire que c'est la
sagesse des anciens qui nous est transmise, à l'exemple d'un père de famille
très aiment à l'égard des siens : "Mon
fils, est-il dit, n'oublie pas mon
enseignement" qui n'est finalement que l'enseignement de Dieu, de la
Loi divine !
Jésus ne nous présente-t-il pas Dieu
lui-même comme un Père très aimant, comme véritablement "Notre Père"
!
Et St Benoît en transmettant ses consignes (sa
"Règle")
commence ainsi : "Ecoute, ô mon fils
; tends l'oreille de ton cœur !".
Et c'est dans ce même esprit qu'il faut
accueillir les sentences de l'évangile, comme celle que nous avons entendue et
qui, de prime abord, est quelque peu déconcertante : "Soyez attentifs à la manière dont vous écoutez, car, si quelqu'un
possède, on lui donnera ; et si quelqu'un ne possède rien, on lui enlèvera même
ce qu'il croit posséder !".
La formule semble exprimer finalement une
expérience de tous temps, de tous lieux : il faut faire valoir son bien sous
peine de le perdre. "C'est en
forgeant que l'on devient forgeron", disons-nous. Faute de travailler,
le risque est grand de tout perdre. Et cette sentence se vérifie en tous
domaines : matériel, artistique, intellectuel... et aussi, et surtout
peut-être, dans le domaine spirituel.
Car en notre évangile, il est fait
référence à un bien spirituel qui nous est donné pour éclairer notre vie : la
lampe dont il est question, n'est-elle pas la lumière de la foi,
cette "Lumen fidei" dont
nous a magnifiquement parlé le pape François en son encyclique. Cette
"Lumière" nous a permis, nous permet de "rencontrer Dieu" - je dirais de "faire l'expérience
intime de Dieu" -,
de rencontrer Dieu et de rencontrer nos frères en Jésus, Dieu fait homme.
Et si nous ne tenons pas ferme en cette
foi, en cette "rencontre avec Dieu", nous ne pourrons nous maintenir,
disait déjà le prophète Isaïe (7.9) dans un jeu de mots célèbre que rappelle le pape (ta'aminu -
ta'aménu)
: "Si vous ne tenez pas fermes (dans la foi) vous ne pourrez tenir", vous ne
vous maintiendrez pas !
Et le prophète dira de ceux qui,
finalement, laissent de côté la lampe de la Lumière divine :
- Ils regardent sans regarder : ce sont des
aveugles, totalement !
- Ils entendent sans comprendre : ce sont
des sourds totalement !
Oui, ils ont tout perdu. "Celui qui ne possède rien, disait
St Luc, qui ne possède plus cette lumière, on
lui enlèvera même ce qu'il croit posséder". Car, déjà, il n'a plus
rien !
Aussi, St Marc, dans un contexte semblable (parabole du semeur) conclura : "Faites donc attention à ce que vous
entendez" (4.23). Et pour St Marc,
l'objet de l'attention, c'est l'enseignement du Seigneur, sa Parole, qui exige
grande attention. St Luc nous dit aujourd'hui : "Faites donc attention à la manière dont vous écoutez
!"
Si tous les évangélistes insistent ainsi
sur la façon d'écouter, sur la manière d'accueillir la "Lumière" de
Dieu - la foi -, c'est qu'il y a grand danger de distraction, - de
"divertissement", disait Pascal -, danger d'autant plus grand qu'il
peut être sournois, danger de tout perdre.
Toute la Bible nous avertit. Il suffit de
remonter au début de l'humanité pour s'en convaincre.
Vous savez sur quel
fond de tableau commence l'histoire d'Abraham, notre "Père
dans la foi"..., c'est-à-dire l'histoire de chacun de nous :
L'humanité -
l'homme créé pourtant "à l'image de Dieu" - s'est comme désintéressée
de Dieu, n'a pas écouté, et même a élaboré comme une sorte de
contre-projet à celui de Dieu. Il y a un symbole extrêmement impressionnant,
dans la Bible, que l'on retrouve tout le temps : "faire des briques
!". "Faisons des briques et
construisons une tour...". C'est la fameuse tour de Babel. "Faisons des briques !" (nilbenah
levenim) (Gen 11.3). On retrouve cela avec les pyramides
d'Égypte.
Dieu a éternellement
un projet ; il met l'homme en marche vers une ville dont il est, Lui seul, "l'architecte et le fondateur"
(Heb
11.10)
; et cette ville sera faite de pierres précieuses, dit St Jean. - C'est la
Jérusalem nouvelle décrite par l'Apocalypse (Apoc 21.11sv), cette
"Jérusalem", but de notre pèlerinage terrestre !
Et au lieu
d'écouter, de rentrer dans le projet de Dieu avec enthousiasme, foi, espérance
et amour, l'homme élabore des contre-projets : il "fait des briques
!".
On est fait pour
les épanouissements de la fécondité (humaine et divine tout à la fois) et voilà que nous
tombons dans les esclavages de la production : "faire des briques
!" Et encore des briques !
Or, nous sommes
tous tentés d’échanger cette logique de fécondité contre la production,
l’esclavage de la production : "faire des briques" !
Et on peut faire
des briques en étant curé, par exemple si on ne pense qu'à ce que l'on fait, à
ce que l’on élabore, à ses plans, ses idées, ses projets et que l’on oublie de...
prier tout simplement ! Au lieu de mettre Dieu au centre !
On peut "faire
des briques" quand on prêche, quand on "fait" des
"retraites" ; on est tellement pris par son action, son art
oratoire, ses idées, par le plan des prédications diverses… etc, ce qui est,
certes, très nécessaire. Mais, en fait, on risque toujours d'élaborer son
système à soi et d'adorer l’œuvre de ses mains..., de sa tête, de son
intelligence !
On peut "faire
des briques" lorsque l'on est moine, moniale, de faire grande attention à
la manière de chanter (si nécessaire), mais en oubliant finalement de louer
Dieu véritablement (même s'il y a quelques fausses notes !)... Il y a une façon
d'organiser ses journées, son travail en observant parfaitement la
"Loi", les préceptes, les traditions, comme les pharisiens au temps
de Notre Seigneur, et d'oublier de reconnaître Dieu en toutes choses !
Bref, on peut
admirer, promouvoir la beauté architecturale de sa cathédrale en oubliant
totalement le Saint-Sacrement !
C'est ce que
j'appelle facilement "l'inversion sacrilège" ! On oublie Dieu
!
Et alors que ce
passe-t-il ? Au lieu de remonter vers son Créateur dans un grand élan d'action
de grâces, de convergence eucharistique où il trouve son harmonie, l'homme
retombe dans le chaos, dans la multiplicité du chaos qui disperse, distrait et
nous entraîne au néant. C'est l'histoire de la tour de Babel à répétition.
Aussi St Luc nous
redit aujourd'hui : "Soyez attentifs
à la manière dont vous écoutez, car, si quelqu'un possède, on lui
donnera, et si quelqu'un ne possède rien, on lui enlèvera même ce qu'il croit
posséder !".
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