T.O. 26
Dimanche -
Pour la plupart d'entre nous, nous
commençons par répondre à Dieu comme le second des deux fils que
l'évangile nous présente aujourd'hui. Nous lui disons : oui ! Comment
pourrions-nous faire autrement ? Nous nous sentons responsables et du côté de
ceux qui sont généreux pour s'engager pour Dieu, pour son Royaume. Il existe en
nous, depuis toujours peut-être, comme un réflexe de générosité, que nous tenons
presque comme un bien héréditaire, transmis de père en fils, et qui nous
autorise, semble-t-il, à nous classer, sans examen véritable, du côté du
bien, du côté de ceux qui se dévouent pour la bonne cause.
Mais cette générosité, apparemment
sans faille, ne suffit pas à Jésus ; à cette droiture, presque naturelle, il
manque quelque chose. Cette droiture naturelle est trop consciente d'elle-même,
s'appuie sur elle-même, mais se referme aussi sur elle-même. Elle ne s'est pas
encore heurtée à ses propres limites, n'a pas encore fait le tour de ses impossibilités.
Elle ne s'est pas encore brisée dans un échec.
C'est pourquoi Jésus insiste sur le premier
des deux fils : celui qui a commencé par faillir et dont la vie restera à
jamais marquée par cet échec initial. Celui dont la générosité a été blessée dès
le début, et qui a dû rentrer petitement, pauvrement, par la porte du
repentir. Celui qui a dû se tenir devant Jésus, brisé dans son amour-propre
et mendiant le pardon. C'est sur cette attitude que Jésus insiste : l'attitude
de celui qui a commencé par dire non, mais qui, s'étant repenti, est allé quand
même, comme à la dérobée, travailler dans la vigne.
Ceux qui ont trouvé la porte du
repentir n'ont plus de générosité à eux. Toute leur générosité vient désormais du
regard de pardon que le Seigneur, un jour, a posé sur eux. Et ceux-là
savent ; ceux-là peuvent, ceux-là osent. Ils sont désormais les premiers :
Zachée, le publicain ; Marie, la pécheresse ; et ce merveilleux inconnu que
nous vénérons sous le vocable du bon larron. Ayant trouvé la porte du repentir,
ils nous précèdent dans le Royaume.
Trouver la porte du repentir, ce
n'est pas seulement un chemin qui nous conduit vite au Royaume de Jésus. Mais c'est le seul chemin. Il n'y en a
pas d'autre. Il nous faut tous passer par la porte du repentir, tôt ou
tard, sans quoi il n'y aurait pas de part pour nous au Royaume, comme pour
Pierre qui s'entêtait à ne pas vouloir être lavé par Jésus, au soir du Jeudi
Saint. Il nous faut prendre garde, nous aussi, de ne pas nous entêter dans
notre générosité, de ne pas demeurer prisonnier de nos œuvres, de notre bonne
volonté, de nos réussites. Jésus ne peut pas nous abandonner ainsi à notre
seule générosité. Il s'ingénie à nous sauver, à organiser notre vie de telle
façon qu'il ne nous reste que peu de choses pour nous glorifier, et même que
tout semble perdu pour nous, qu'il n'y ait plus que sa miséricorde.
Nous résistons longtemps à cette "ruse
divine", si je puis dire. Nous voudrions sauver la face, mais un jour, au
moment où notre générosité coutumière vient de nous trahir une bonne fois, nous
nous retrouvons soudain dans le champ de la miséricorde, mêlés aux derniers des
pécheurs, à ceux et celles qui précéderont les justes au Royaume. C'est alors
seulement que nous savons vraiment rendre grâces et pleurer de joie en reconnaissant
l'amour infini de Dieu.
Le saint
Curé d’Ars avait bien compris cela : “Le plus grand plaisir de Dieu est
de nous pardonner !“ - “Ce n’est pas le pécheur qui revient à Dieu
pour lui demander pardon ; mais c’est Dieu lui-même qui court après le
pécheur et qui le fait revenir à lui !“. - “Nos fautes,
disait-il encore, sont des grains de sable à côté de la grande montagne des
miséricordes de Dieu !“. Dieu est comme le berger qui porte la brebis
retrouvée ; bien plus, il devient, en Jésus, l’agneau qui porte le péché du monde !
Croire à l'infinie miséricorde de Dieu, à
son pardon absolu, c'est notre seul salut ! Nous sommes si faibles, pauvres,
pécheurs ; nous sommes tellement "pure
vacuité", disait le P. Sertillanges, que Dieu est notre seul recours,
selon l'expression des psaumes ! Dieu faisait comprendre à Catherine de Sienne
: Tu es celle qui n'est pas ; je suis
Celui qui suis ! Si tu gardes en ton âme cette vérité, jamais l'ennemi ne
pourra te tromper ; tu échapperas à tous ses pièges, tu acquerras sans
difficulté toute grâce, toute vérité, toute clarté !".
Ce qui est merveilleux dans la Bible, c'est
que Dieu prend toujours les hommes tels qu'ils sont et là où ils en sont. Et,
grâce à son pardon incessant, gratuit, il les amène peu à peu à la perfection,
à cette perfection d'être "à son
image, à sa ressemblance", dès maintenant et pour l'éternité !
Cependant, il faut souligner que l’’Evangile
nous montre ce que la prise de conscience du don et du pardon de Dieu pour
chacun de nous doit avoir pour conséquence : nous devons être pour les
autres ce que Dieu est pour nous ; nous comporter avec les autres avec
la même gratuité que Dieu a manifestée pour nous !
Nous avons tous des sentiments de
culpabilité qui continuent à traîner au fond de notre conscience ; le meilleur
moyen de les exorciser est de nous comporter pour le prochain comme Dieu s’est
comporté avec nous. “Lorsque tu vas présenter ton offrande à l'autel, si,
là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton
offrande là, devant l'autel, va d'abord
te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton
offrande”. (Mt
5, 23-24).
"Dieu pardonne beaucoup, a-t-on
dit, sauf à ceux qui ne savent pas
pardonner !". Et le
Saint Curé d’Ars disait encore de façon assez catégorique : “Le Bon
Dieu ne pardonnera qu’à ceux qui auront pardonné : c’est la loi !“.
Je crois que nous avons tous un effort à
faire pour rétablir la hiérarchie des valeurs. Les meilleurs auteurs spirituels
disent que le meilleur moyen de se débarrasser des scrupules et de nous faire
pardonner les fautes que nous commettons tout au long de notre existence, est
d’adopter pour les autres le comportement de bienveillance, d’accueil, et de gratuité
de Dieu à notre égard, de faire pour eux ce que Dieu a fait pour nous. C'est
alors que nous ressemblons à Dieu. Car si l'erreur, la faute sont humaines, le
pardon, lui, est divin.
Ceux
qui pardonnent véritablement sont souvent des êtres qui ont été eux-mêmes
blessés.
Mais, plutôt que d’étendre la contagion du mal qu’on leur a fait, ils
l’arrêtent à eux-mêmes ! Ils en épuisent le venin. Au lieu de garder des
poings serrés prêts au pugilat, ils ouvrent les mains pour toute générosité. Et
la bonté finit par submerger la souffrance et la rancune.
Cette “transmutation“ qui s’accomplit
souvent dans le secret est l’acte à la fois le plus humain et le plus divin…,
le plus rédempteur ! Ceux qui pardonnent, non seulement transfigurent
leurs propres blessures grâce au rayon divin du soleil de Pâques, mais contribuent
à guérir la plaie qui court toujours sur le visage de l’humanité et qui la
défigure depuis les origines : la violence !
Le repas eucharistique où le
Seigneur nous accueille est d'abord celui des pauvres, des pécheurs pardonnés.
Ceux qui sont encombrés de leur générosité, de leurs œuvres se sont déjà
excusés ; le Seigneur les renvoie les mains vides. Mais ceux qui crient du fond
de leur misère, et qui, malgré cette misère, gardent soif de sainteté, le
Seigneur les accueille et les comble de son amour. C'est le seul acte chrétien
qui sauve !
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