dimanche 21 septembre 2014

Le mal !

T.O. 15 Dimanche - Action divine !

"Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes pensées au-dessus de vos pensées !", nous dit Dieu à travers le prophète Isaïe. Et Notre Seigneur nous pose une question cruciale sur l'action divine qui nous paraît parfois incompréhensible : "Ton œil doit-il être mauvais parce que je suis bon ?"

Cet évangile des "ouvriers de la onzième heure" nous rappelle un des paradoxes et l'un des scandales les plus importants de notre foi.
- Le paradoxe : Dieu a accepté d’être vaincu par l'homme. C'est clair dans la parabole comme dans le combat de Jacob avec l'ange : "Voyant qu'il ne pouvait pas le vaincre", dit le texte biblique en parlant de l'Ange en face de Jacob. Et dans la parabole d'aujourd'hui, il y a un aveu fait par Dieu lui-même de la consistance de notre liberté : l'homme peut utiliser même la bonté de Dieu pour le refuser : "Ton œil doit-il être mauvais parce que je suis bon ?"
- En face de ce paradoxe, un scandale, le plus terrible qui soit : celui du mal. Comment affirmer la bonté de Dieu devant le mal partout présent ? Ne serait-ce que celui du chômage à travers le monde, ce mal qui engendre des conséquences si néfastes. Terrible question toujours renaissante : comment affirmer la bonté de Dieu devant le mal qui s'étale et gangrène nos sociétés, même les plus favorisées économiquement.
Et, là, il faut rester très modeste. On ne peut proposer que quelques bribes de la pensée chrétienne de tous les siècles.

Car on peut dire...  bien sûr... on peut dire :
- Et d’abord - car il faut, une bonne fois, commencer par un constat simple - : Nous avons tous fait le rêve d'une création parfaite. Or c'est une idée impossible. Il n'y a pas d'univers parfait. S'il existait, cet univers, mais il serait Dieu lui-même.  Un exemple peut nous aider à comprendre : c'est aussi contradictoire de vouloir un univers parfait que de vouloir une vitesse infinie. Il y aura toujours une plus grande vitesse. Ainsi de la création. S'il y a une création et qui n'est pas "Dieu Parfait", elle est obligatoirement limitée.  Oui, on peut dire, il faut dire cela !

- On peut encore ajouter, bien sûr : Il est laissé à notre liberté de suppléer aux limites inévitables du réel, aussi scandaleuses, voire insupportables que nous apparaissent parfois ces limites. C'est la splendeur de notre possibilité de créer. Nous avons un pouvoir du meilleur, un pouvoir de nous dépasser pour faire grandir la création. Dieu nous a confié ce pouvoir de bonté : et c'est cela la liberté, cette possibilité de choisir un "plus", un "davantage".
Oui, on peut dire, il faut dire cela !

- A cela il faut ajouter encore une autre réflexion. Car cette liberté dont nous jouissons, il faut reconnaître que nous l'utilisons souvent très mal. Là, nous sommes nous-mêmes défaillants. Personne n'aura vraiment rempli sa "feuille de route", personne ne peut prétendre avoir accompli le "contrat".

Ainsi donc,
Premier constat : les limites obligatoires au monde créé.
Un deuxième : une liberté, notre liberté créatrice
Et le troisième tient en un mot : Solidarité !
Car c'est vrai, par ma faute, il y aura une partie du plan du monde qui n'aura pas été rempli ; cependant, la "Communion des Saints" y supplée et y suppléera. A chaque époque, il a, il y aura toujours des Vincent de Paul, des Sr Emmanuelle et des Mère Térésa qui se lèvent et se lèveront pour accomplir ce que je n'aurais pas fait. Nous ne sommes pas seuls, nous faisons partie de la Famille humaine, et c'est le formidable miracle du dépassement de soi pour les autres, de la "Communion" entre les hommes ! St Paul le souligne à sa façon : "Je voudrais bien m'en aller pour être avec le Christ ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est beaucoup plus nécessaire" pour encore propager le "Bien", le "Bon" de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ !

Oui, on peut dire tout cela. On pourrait ajouter : même un non-chrétien peut éventuellement dire cela. On appellera peut-être la "solidarité" autrement que "communion des saints", mais c'est bien la raison de tout effort humain : apporter sa pierre à l'édifice du monde.

C'est vrai ; et c'est là, justement, que demeure une ultime question, la plus terrible : car si, finalement, j'admets, pour tout cet édifice de l'univers créé, et ses limites obligatoires, et notre liberté créatrice mais défaillante, et notre solidarité difficile, si j'admets bien tout cela, il reste cette question fondamentale : mais pour quoi fallait-il tout cet édifice lui-même ?
Émerge alors en nous-mêmes non plus seulement le scandale du mal mais celui de l'existence de ce monde lui-même, formulé parfois jusqu'à la limite de la révolte par l'homme : "Si le monde, dit un romancier, si le monde permet le supplice d'un enfant par une brute, je ne m'oppose pas à Dieu mais je rends mon billet. Laissez-moi m'enfuir de ce monde. Car que vaut cette harmonie où il y a un tel enfer ? Je ne veux pas qu'on souffre davantage. Je me hâte donc de rendre mon billet d'entrée dans un tel monde. Non que je ne veuille pas qu'il y ait un Dieu, éventuellement ; mais très respectueusement, je lui rends mon billet d'entrée dans un tel monde !"
C'est peut-être notre propre cri avec notre envie de fuir devant le mal !

Ici, nous sommes à l'ultime question : devant la souffrance de l'innocent, je reste totalement désarmé. Et je constate bien que la révolte n'arrange rien : le mal ne peut être combattu avec les armes du mal, c'est évident. Mais alors, je reste avec mon interrogation suppliante, avec ma question angoissée, celle du Job de tous les siècles : "Pourquoi, pour quoi, Seigneur ?"

Alors, ici, chacun de nous est invité, par la voix qui a lancé les mondes et les univers, à entrer dans ce murmure où c'est Dieu lui-même qui, vaincu par l'homme en quelque sorte, où c'est Dieu lui-même qui se confesse.
Mais il ne se confesse que si nous nous confessons nous aussi. Il ne se confesse que sur la Croix et, nous, au pied de la Croix. Il se confesse en prenant la souffrance du monde ; nous nous confessons en lui remettant notre souffrance. La rencontre ne peut avoir lieu que là, à la Croix. L'étape ultime n'est plus seulement une réponse, c'est une présence. Là, il a pris sur Lui le mal jusqu'à l'agonie et le supplice. Là, il a rempli par sa présence notre supplication. C'est à ce prix, nous dit St Paul, que "la grandeur du Christ sera manifestée en mon existence", en admettant, en comprenant que les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées.

Car désormais,
chaque fois que, devant le mal, nous entendons une voix demander : "Où est Dieu ?",
chaque fois que notre corps, que notre cœur, que notre esprit est écrasé et qu'il redemande : "Où est Dieu maintenant ?",
et chaque fois que l'obscurité fait naître en nous tous la question : "Où est-il donc, ton Dieu ?",
sachez que depuis le Jardin des Oliviers, que depuis le Golgotha, que depuis le gibet du Calvaire, on peut entendre, on a le droit d'entendre, venue de notre souffrance elle-même, la seule réponse : "Il est ci, sur la Croix, dans le mal du monde !"

Oui, sans doute, il y a bien une réponse notionnelle au problème du mal. Mais elle est insuffisante. "Pourquoi, Seigneur, pour quoi ?"
Seul l'amour peut pressentir l'ultime réponse : les limites obligatoires du créé, l'échec possible de notre liberté, la faillite éventuelle de notre solidarité, tout cela n'a de sens que parce que toute cette création limitée nous permet cependant d'exister et nous destine à nous rendre semblables à Dieu, à nous unir à Lui, à nous perdre en Lui. L'univers serait bien une farce atroce s'il n'était pas destiné à nous rendre "capables" de nous unir à Dieu ! 

Et pour atteindre ce but, Dieu lui-même, en Jésus-Christ, comme vaincu paradoxalement par Jacob, par Job, par l'homme souffrant de tous les temps, Dieu est venu se confesser à lui de l'imperfection obligatoire de ce monde créé qui nous donne cependant d'exister. Et cette confession amoureuse, il l'a faite dans la souffrance partagée, sur la Croix, portant sur Lui le mal pour nous en sauver : Lui, de condition divine, il s'est fait homme créé, limité, il s'est anéanti pour nous élever, pour que l'homme devienne Dieu.

Et nous adhérons à ce plan divin qu'en suivant son exemple, en venant au pied de sa Croix pour confesser, à notre tour, le mal qui est en nous, en le lui offrant pour qu'il le purifie dans sa souffrance partagée, et qu'en le purifiant sur sa Croix, il nous élève jusqu'à sa gloire ! C’est tout le sens du sacrement de réconciliation malheureusement si oublié.

En refusant l'idée de ce sacrement, c'est comme si on refusait définitivement la seule réponse au mal parce qu'on refuse alors la possibilité même de l'attirance de Dieu qui est venu partager nos limites, nos souffrances, par amour, pour nous en libérer. On refuse alors qu'il puisse nous aimer.

Puissent ces quelques balbutiements sur une question si difficile pour notre entendement humain - car les chemins de Dieu ne sont pas nos chemins -, nous faire percevoir, du moins, la justesse de la confidence pleine de tendresse de Notre-Seigneur : "Faut-il que ton œil soit mauvais parce que je suis bon ?"

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