mercredi 9 janvier 2013

Amour de Dieu et Charité fraternelle


Mercredi-Jeudi après Epiphanie  C 13 

St Jean nous a dit que l’Amour vient de Dieu. Et si nous recevons cet Amour divin, il se traduit en nous, obligatoirement, en charité fraternelle !

Recevoir l’Amour divin en nous ! Oui ! Mais “personne n’a jamais vu Dieu !“. C’est vrai : Dieu n’est pas visible ici-bas, mais il rend visible son Amour : nous reconnaissons Dieu à un acte historique : l’Incarnation de son Fils qui nous révèle son Amour, l’Amour qu’il est lui-même ! C’est pourquoi Jean a insisté : il s’agit d’avoir la foi et de garder les commandements, surtout celui de s’aimer les uns, les autres !

Nous n’avons donc pas à inventer une théologie, à nous faire des idées sur Dieu - danger de “gnose“, dirait St Jean, affronté lui-même à des courants hétérodoxes -. Nous avons à contempler une œuvre précise de Dieu pour mieux comprendre son Amour. La Révélation n’est pas tant une doctrine qu’un événement : l’incarnation de l’“Emmanuel - Dieu avec nous ! -, l’incarnation du Fils bien-aimé, celui qui a toute “la faveur de Dieu“ (Is 42.1 ; Math 3.16 & //), qui est “l’image du Dieu invisible“ (Col 1.16), resplendissement de sa gloire et expression de son être“ (Heb 1.3).

Ce Fils nous a été “donné“ ; mais il est aussi, dit Jean, “l’Envoyé“ ! Il nous est envoyé pour que par Lui, nous vivions de la vie même de Dieu, de Dieu-Amour ! Celui qui a cette foi en l’Incarnation, a-t-il insisté, en éprouve obligatoirement les effets dans sa vie. Adhérer au Christ doit être la réplique, en notre vie personnelle, de l’Incarnation du Christ. Ce que les apôtres ont entendu, vu, contemplé du Verbe de Vie, nous le découvrons, à notre manière, par la foi, par des sens spirituels.

Voilà donc comment Dieu se manifeste : par l’Amour qu’il est Lui-même, Amour manifesté en son Fils !

St Jean ne nous donne pas une définition de Dieu-Amour - impossible de définir Dieu ! On n’enferme pas Dieu dans une formule ! - ; mais il nous donne la définition de la charité : un amour qui vient de Dieu et qui est si fort qu’il va pouvoir créer - c’est une création actuelle en nous - notre propre réponse d’amour. “Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés“ le premier !
Et de plus, il nous a aimés alors que nous étions des pécheurs, incapables d’aimer par nous-mêmes. Aussi, Dieu, par amour, a-t-il envoyé son Fils en “victime offerte pour nos péchés“, pour “enlever le péché du monde“, afin que nous puissions recevoir son Amour, entrer déjà en sa Vie d’Amour, en sa Vie divine !
Autrement dit, Dieu nous donne ce qu’il va aimer en nous, à savoir une participation à sa Vie divine - Vie d’Amour -, afin que nous puissions, nous aussi, à notre tour, aimer, l’aimer Lui, Dieu-Amour, et aimer nos frères de son amour divin.

Ainsi donc, la charité - cet Amour qui vient de Dieu par Jésus - nous permet tout d’abord d’aimer Dieu divinement, avec son propre cœur et comme à égalité : “Je leur ai révélé ton Nom et je leur révélerai encore pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux (Jn 17.26)

Nous rendons-nous bien compte ? Le Verbe de Dieu… - et qui n’est pas n’importe quel Verbe, comme dit St Thomas d’Aquin, pas n’importe quelle Parole, mais une Parole qui respire l’Amour, “Verbum non qualecumque, sed spirans amorem“ -, … ce Verbe de Dieu vient en nous - “et moi en eux“, dit Jésus. Il vient en nous et accueille en nous la Parole d’Amour du Père qui, éternellement, le constitue, au point d’être en nous “expression parfaite et unique du Père“.

Et dans l’acte de foi par lequel nous recevons intérieurement le Verbe de Dieu (pensons au moment de l’Eucharistie, principalement), il nous est donné le Verbe de Dieu, avec l’Amour du Père qui le constitue. Nous recevons l’Amour qu’exprime le dialogue éternel et intime du Père et du Fils : “Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré“ (Ps 2.7).
Voilà qu’en nous-mêmes, il y a la Parole substantielle du Père, dans une respiration pleine d’amour : “Tu es mon Fils !“. Et le Fils, en nous-mêmes, se reçoit du Père et lui répond : “Abba - Père !“.
“Tu es mon Fils !“ - “Père“ : Voilà la respiration intime, la respiration d’Amour de Dieu en nous-mêmes !

Vous qui chantez les mélodies liturgiques, les psaumes, vous aspirez, et puis vous expirez votre souffle en lui donnant une structure verbo-mélodique. C’est déjà comme véhiculer une révélation, une manière de comprendre le mystère intime de Dieu…, le mystère de la Vie trinitaire…

Et, bien davantage : dans le Verbe Incarné qui nous est donné, le Père nous dit, à nous aussi : “tu es mon fils“ ; et nous lui répondons : “Père !“. - “Quand vous priez, dites « Notre Père ! »“, recommandait Jésus (Math 6.9 - Lc 11.2) - .
Et par ce dialogue qui poursuit l’Incarnation du Verbe de Dieu en nous-mêmes, c’est dans l’amour de l’Esprit-Saint, dans son Souffle d’Amour, que Dieu-Père nous dit : “Tu es mon fils“, qu’il nous voit, qu’il nous pense, et qu’il nous adopte en son Verbe qui est le Fils Unique. Et c’est dans l’amour de l’Esprit-Saint, dans son Souffle d’Amour qui nous est communiqué que nous répondons : “Père !“.

Déjà, nous vivons de la vie trinitaire ! “Nous jouissons des Personnes divines“, disait encore St Thomas d’Aquin. Ayant été gratuitement “proportionnés“ à Dieu par son Amour en nous, ayant en nous cette charité créée, proportionnée à Dieu, nous pouvons recevoir en jouissance la Vie des Personnes divines.

Avec l’Amour de l’Esprit, nous répondons à Dieu dans la foi : “Père !“, parce que, dans la foi, nous avons entendu cette parole : “tu es mon fils !“. - Et la preuve que sommes ses fils, dit St Paul, “c’est que Dieu a envoyé en nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : “Abba“ (Gal  4.6 ; Rm 8.15).

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La conclusion de tout cela est, dès lors, très logique : il nous faut nous aimer les uns les autres ; créer ces communautés où l’on n’a pas obligatoirement les mêmes goûts, les mêmes idées…, mais où l’on respire le même souffle divin, où l’on s’adopte comme des frères, à cause du fait que le Père céleste nous a adoptés et que “dès à présent, nous sommes appelés enfants de Dieu ; et nous le sommes !“ (I Jn 3.1,2).

Et St Jean fait là encore un développement “à tiroirs“, si je puis dire !
- Il va redire que Dieu demeure en nous !
- et ensuite qu’en nous,  son amour est accompli !

Et il commence par redire : “Dieu, personne ne l’a jamais contemplé !“

C’est vrai : la contemplation en plénitude, parfaite, ce sera dans le Royaume de Dieu ! Et pourtant, nous parlons bien, nous, d’une contemplation chrétienne de Dieu !!! Nous parlons bien de la vie contemplative, avec un peu de présomption, il faut le reconnaître ! Qu’est-ce-à-dire ?

La contemplation - qui est uniquement un don de Dieu ! Cela ne s’acquiert pas ! - est peut-être, dans l’amitié avec Dieu, dans la charité, analogue au regard, dans les relations humaines, que s’échangent des amis.
Le Christ est là soudainement présent, d’une présence ressentie spirituellement, … au cours de l’Eucharistie, de l’Office divin ou simplement durant l’oraison.
Par son attention à Dieu, le chrétien ressent vivement la présence divine, appelle Dieu à demeurer en lui, à intensifier en lui la charité, cet Amour divin, créé en nous, qui nous rend “proportionnés“ à Dieu. C’est pourquoi le fond de toute prière est faite alors de paroles très simples : “Viens, Seigneur Jésus !“ - “Que ta volonté soit faite !“ - “Aie pitié de moi !“ - … Le meilleur de notre prière est peut-être ce désir informulé, silencieux qui est attente, appel de Dieu, désir d’une plus grande communion avec le Seigneur dont on ressent fortement la présence.

Il ne faut même pas exclure cette sorte de contemplation de nos diverses activités au cours desquelles revient souvent le “désir de Dieu“ ! Il ne faut pas exclure cette présence souterraine à Dieu de toutes nos activités vécues profondément en union avec Dieu.
Avec amusement, on peut citer Laurent de la Résurrection, ce soldat devenu simple religieux, ami cependant de Fénelon. Entré chez les Carmes, il avait reçu la fonction de cuisinier. Et il écrivait très simplement dans un petit opuscule intitulé depuis lors “La présence à Dieu“ : “Je fais ma petite omelette ; et puis, quand je l’ai faite, je me prosterne sur le carreau de ma cuisine en rendant grâce à Dieu de ce qu’il m’est venu la grâce de la faire !“. La grâce de faire une omelette ! On peut sourire. Et pourtant, à une abbesse de moniales qui se plaignait des tracas de sa fonction, trop lourds à porter, Ste Catherine de Sienne lui répondit : “Je ne veux pas que vous disiez des choses pareilles : les choses ne sont temporelles qu’autant qu’on le veuille bien ! Vous trouvez votre activité temporelle, et bien rendez-la spirituelle. Vivez la dans l’Esprit et elle fera grandir en vous la vie de l’Esprit !“.

Oui, nous avons bien, par grâce, cette sorte de contemplation. Mais en réalité, on ne peut contempler Dieu véritablement ici-bas. “Personne n’a jamais vu Dieu !“.

Alors, St Jean a l’air de nous dire : ici-bas, le produit de remplacement de la vision, de la véritable contemplation, impossible ici-bas, c’est la charité fraternelle. Si nous nous aimons, si nous créons une véritable communauté fraternelle, Dieu demeure en nous. Le plus sûr moyen de recevoir Dieu en nous, c’est de vivre la charité fraternelle. Tout le reste - même la liturgie, même l’oraison, etc… - est stérile si l’on ne s’aime pas les uns les autres ! C’est le grand moyen de recevoir Dieu de Dieu ! Dieu seul donne Dieu. Or “Dieu est Amour !“.

Il faut dire que St Jean, mettant l’accent sur la charité fraternelle ne faisait que suivre l’enseignement de Jésus qu’il rapporte lui-même.
C’est au moment de la “dernière Cène“ qui commence par un geste paradoxale de la part de Jésus. Il veut laver les pieds de ses disciples. St Pierre, toujours spontané, s’écrie : “Seigneur, me laver les pieds, à moi, non, jamais !“. Mais Jésus lui rétorque : “Si je te lave pas les pieds, tu ne pourras avoir part avec moi !“. Alors Pierre se soumet avec sa fougue habituelle.

Pauvre et attendrissant Pierre ! Il veut être le disciple de Jésus, même s’il ne comprend pas toujours. 
Or, normalement, le disciple, c’est celui qui se met totalement au service de son Maître !
- Il l’aide en toutes circonstances jusqu’à défaire les courroies de ses sandales. “Je ne suis pas digne de défaire les courroies de ses sandales“ (Lc 3.16), avait dit Jean-Baptiste. Autrement dit, je ne suis pas digne d’être son disciple !
- Le disciple est comme un serviteur. Le Maître lui dit : “Va !“, et il va. Ne serai-ce que pour prévoir le boire et le manger, comme dans l’épisode de la Samaritaine, au puits de Jacob - “Venez dans un endroit désert“, avait dit Jésus un  jour. Et les disciples le suivirent.
- Le disciple imite son Maître. Avec lui, les apôtres apprendront à prier, à chasser les démons, à annoncer le “Royaume de Dieu“. Comme au moment du lavement des pieds, Jésus disait : “Ce que je fais, faites-le, vous aussi !“.
- Bref, le disciple suit son Maître partout, comme l’exprimera un jour un candidat : “Je te suivrai partout où tu iras !“ (Lc 9.57). Autrement dit, je veux être ton disciple !

Or, après le lavement des pieds, Jésus dit soudainement : “Là où je vais, vous ne pouvez venir !“. C’est la consternation ! Le commandement primordial, premier de tout disciple n’est-il pas de suivre son Maître ? C’est comme si Jésus, après avoir dit à chacun “Suis-moi !“, après les avoir entraîné à sa suite, leur disait : “Vous n’êtes plus dignes d’être mes disciples, puisque là où je vais, vous ne pouvez me suivre !“.

Alors Pierre demande avec tristesse sans doute : “Mais où vas-u donc ?“. Et Jésus de répondre : “Tu ne peux pas me suivre maintenant… Plus tard !“. Nous savons, nous, où Jésus se dirige ! Vers l’accomplissement de son mystère pascal, son passage de mort à vie. Et les disciples ne sont pas prêts encore à ce même passage. Evidemment !

Alors Jésus ajoute avec affection certainement : C’est vrai, le commandement primordial, le premier pour tout disciple qui est de suivre son Maître, vous ne pouvez plus l’accomplir ! Mais ne vous inquiétez pas ! Je vous donne un commandement nouveau à l’accomplissement duquel vous resterez mes disciples. Je vous donne un commandement de substitution, en quelque sorte : “Aimez-vous les uns les autres. Si vous avez de l’amour les uns pour les autres, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples !“ (Jn 13.35).

Autrement dit, Jésus nous dit : Vous restez disciples parfaits si vous vous aimez les uns les autres. Car lorsque vous aurez accompli ce nouveau commandement, ce commandement de substitution, alors, à ce moment-là, vous pourrez accomplir le premier, le primordial commandement qui est de me suivre même là où je vais. Car “nul n’a d’amour plus grand que celui qui donne sa vie pour ceux qu’il aime“ (Jn 15.13).  Accomplissez ce commandement nouveau et vous trouverez le chemin pour accomplir le premier, le primordial qui est de me suivre. Jésus, d’ailleurs, ne priait-il pas ainsi : “Père, je veux - c’est la seule fois dans l’évangile où Jésus dit : “Je veux“ en s’adressant à son Père ! - …, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient, eux aussi, avec moi…“ (Jn 17.24). “Père, Je leur ai révélé ton Nom afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux“. (Jn 17.26).

Il n’y a qu’un commentaire à faire : Aimer ! Aimer encore ! C’est ainsi que nous pourrons suivre Jésus, parvenir près de “Notre Père“, grâce à leur Esprit d’Amour.

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