31ème
Dim. T.O. 12/B - L’Amour !
Si la première
lecture nous rappelle le commandement de l'Amour de Dieu, nous savons
combien le peuple de Dieu - et aussi des chrétiens (à certaines époques surtout)
- furent “craintifs“ face de cet Amour de Dieu, selon cette incise du
texte : “Tu craindras (1) le Seigneur ton Dieu !”. Et nous
avons toujours un effort à faire pour nous libérer de cette crainte, de la
crainte servile, j'entends. - Car, bien sûr, il y a aussi la “crainte
amoureuse“ qui nous fait craindre de blesser l'être aimé. Voilà pourquoi
Jésus insistera : Dieu est Père ; et notre amour pour lui doit être
un amour de confiance filiale !
La seconde
lecture (prise de la lettre aux Hébreux, apparemment plus
difficile) nous parle de Jésus, seul prêtre d'un
sacerdoce éternel. Il nous faudrait bien comprendre combien ce sacerdoce, signe
le plus parfait de cet Amour de Dieu pour les hommes, établit, entre Dieu
et l'homme, un trait d'union irremplaçable que chacun de nous peut ressentir
profondément afin de plus en plus participer à cet Amour de Dieu-Père dont
parle Notre Seigneur.
Aussi,
l'Eucharistie, par ce sacerdoce du Christ, est la "ré-actualisation"
de son mystère pascal qui nous donne accès à l’Amour de Dieu, notre
Père, Père de tous les hommes. Et cet accès à cet Amour de Dieu-Père établit,
doit établir entre nous des relations de frères !
Il faudrait approfondir
cette vérité pour prendre conscience de l'importance de l’Eucharistie pour un chrétien :
une union, dans l’Amour, à Dieu et, de ce fait, à tous nos frères !
Et c’est
l’enseignement que nous donne Jésus dans l’évangile. Répondant à la question
posée par un scribe, il reprend le passage du Deutéronome que nous avons
entendu en la première lecture : "tu
aimeras le Seigneur…". Mais
aussitôt, à ce premier commandement, il joint étroitement celui qu'il appelle
second : "tu aimeras ton prochain
comme toi-même". St Matthieu précise : "le second lui est semblable", semblable au premier
commandement (Mth 22-29). Et Jésus de
conclure : "pas de commandement plus
grand que ceux-là". Et, si vous cherchez un peu dans l'Evangile, à chaque
fois que Jésus parle de l'Amour de Dieu, il y joint toujours, étroitement,
l'amour du prochain.
Alors, nous
pourrions développer : (Mais à chacun de le faire durant la semaine…!)
- Il n'y a
pas deux exigences évangéliques dont l'une serait l'Amour de Dieu, et
l'autre l'amour du prochain. Il n'y a qu'un Amour dont la face cachée
parle de Dieu tandis que la face visible montre nos frères. Aimer Dieu ne nous
dédouane pas de l’amour de nos frères !!! Au contraire !
- Il n'y a
pas la prière pour aimer Dieu et l'action pour aider nos frères, comme on a
trop tendance à le faire. Il n'y a qu'une attitude faite d'amour pour la
Vie, pour la Vie divine, et pour toute
vie qui doit en être vivifiée.
- Il n'y a
pas le culte pour louer Dieu et l'engagement pour servir les autres. Il n'y
a qu'un don de soi pour l'unité entre l'univers et Celui qui crée les
univers.
- Il n'y a
pas l'Etre invisible et des êtres visibles. Il n'y a qu'un Dieu qui se
laisse voir dans nos frères, tous fils de Dieu, notre Père.
- Il n'y a
pas l'avenir pour l'amour parfait et le présent pour les amours humaines.
Il n'y a qu'un temps où l'amour infini paraît peu à peu à travers nos
mille cheminements.
- Il n'y a
pas un amour qui fait lever les yeux au ciel et un autre qui invite à
regarder tout autour de soi. Il n'y a qu'un même regard de tendresse
pour Dieu et tous ceux qu'il aime.
On ne choisit pas d'aimer Dieu ou ses frères. On aime ! Et quiconque aime connaît et comprend ses frères dans ce
même élan que le Christ, Prêtre parfait, nous donne par son mystère pascal. L'Amour
de Dieu, s'il est vrai, est inséparable de l'amour des autres ; et l'amour des
autres, quand il va au bout de lui-même, est inséparable de l'Amour de Dieu.
Méfions-nous des fausses questions qui ne peuvent que vicier les merveilles de
l'Amour divin.
On ne peut
choisir entre Dieu et les autres. Si notre
amour est véritable, plus nous aimerons vraiment une personne, plus nous
aimerons Dieu. Et davantage nous aimerons Dieu, davantage nous aimerons les
autres. Souvenons-nous de cette phrase si bien frappée de St Jean : "Celui qui dit : « j'aime Dieu et qui
n'aime pas son frère », est un menteur". – “Rien ne rend Dieu proche comme le prochain ! Pour qui voit Dieu
lointain, le prochain ne sera jamais bien proche. Pour qui ne voit pas le
prochain bien proche, Dieu restera toujours lointain !“ (Mgr Vl. Ghika) (2).
"Aimer son prochain de tout son cœur vaut
mieux que toutes les offrandes ou les sacrifices", ajoute Notre Seigneur qui, un jour, reprendra les paroles du Prophète
Isaïe : "ce peuple m'honore des
lèvres mais leurs cœurs est loin de moi. Vain est le culte qu'ils me
rendent" (Mth. 15 7-8). N'allons pas
conclure trop rapidement à l'inutilité des offrandes et des sacrifices. Ce
n'est pas le propos du Christ de les fustiger ; et ce n'était pas celui
d'Isaïe de les supprimer. Bien au contraire ! Mais c'est une manière très
énergique de nous dire quel amour doit inspirer nos actions.
- Ce qui
donnera quelque valeur à nos offrandes ce sera l'attitude de notre cœur envers
nos frères. Toute Eucharistie se conclue par le fameux : “Ite, missa est…” : “Allez dans la paix, cette paix à propager
entre vous…” : la messe n’est pas finie !
- Ce qui donne
valeur à notre louange eucharistique, c'est la pureté de notre démarche dans
l’amour. A chacun de réfléchir !
Car si on approfondit
quelque peu, l’Eucharistie est de chaque instant et en toutes et chacune de
nos rencontres. Une double et mystérieuse “liturgie“ peut être célébrée
entre les hommes : l’un, dans le besoin, voit soudainement venir à lui le
Christ sous les espèces d’un frère secourable, tandis que celui-ci voit
apparaître en celui-là le Christ souffrant sur lequel il veut se pencher !
Grande liturgie ! Car si le geste est bien accompli de part et
d’autre, il n’y a plus finalement que le Christ rejoint en deux êtres, à
travers deux êtres : le Christ bienfaiteur venu vers le Christ souffrant
pour se réintégrer, si je puis dire, dans le Christ toujours victorieux du
matin de Pâques, le Christ glorieux ! Cette “liturgie du prochain“ ne peut vraiment
s’accomplir que si elle s’appuie sur la “liturgie eucharistique“. La “liturgie
du prochain“ a toute sa valeur et sa vie que si la “liturgie de l’autel“ est
profondément vécue ! Cela va bien au-delà de nos “petites dévotions
personnelles“, fussent-elles eucharistiques !
Nous voici donc
invités à élargir singulièrement notre conception de l'Amour. Trop souvent nous
nous enfermons si facilement dans un cercle étroit : nos relations sont
souvent limitées, nos mentalités étriquées, nos positions partisanes, nos actes
trop machinalement habituels !
Dans l’immense
ouverture à laquelle le Christ nous invite par son mystère pascal que nous
célébrons en chaque Eucharistie, il nous faut prendre la dimension du monde. Et
si nous nous sentons faibles et incapables, le Christ intervient directement
dans nos vies :
sa Parole en
permanence nous éclaire ;
son
Eucharistie, très fidèlement, nous redonne force et courage.
[La table de sa Parole et la table de son Pain qu'il ne faut surtout pas séparer !]
Essayons,
durant la semaine qui vient, de nous situer vraiment dans cet Amour unique,
universel dont la puissance est celle même de Dieu-Père ! “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… Tu aimeras
ton frère… !“.
Et alors nous
entendrons à notre tour cette petite phrase singulièrement réconfortante :
“Tu n’es pas loin du Royaume de
Dieu !”.
(1) Est-ce une bonne traduction ? M. Chouraqui traduit non pas par
“crainte“, mais par “frémissement“ : “tu frémiras d’Elohim !“.
(2) Mgr Vladimir
Ghika, prince roumain et prêtre, vivant à Paris. Revenant en son pays à la fin
de la dernière guerre, il fut pris par les Allemands qui le tuèrent.
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