Christ-Roi
12/B -
Dans le prétoire de Jérusalem, deux hommes
se font face : le proconsul de la Rome impériale dont la puissance fait
trembler toute la terre ; devant lui, un Galiléen, d'aspect misérable, un
prophète abandonné de ses partisans et rejeté par les chefs religieux de sa
nation. De son visage tuméfié par les coups, de sa digne attitude émane
cependant une noblesse dont Pilate subit l'ascendant.
"Ainsi,
tu es roi ?"
lui demande le gouverneur.
Et Jésus de répondre simplement : "Tu dis bien, je suis roi !".
D’après St Jean, dès le début du procès, on
a l'impression que les rôles sont renversés : c'est l'accusé qui juge, tandis que
le juge hésite et s'excuse ; c'est en somme Pilate qui comparaît devant
Jésus. Le Sauveur ne se départit pas de son calme, de sa dignité ; Pilate au
contraire s'agite, s'affaire : il consulte les Juifs, interroge le peuple. Même
enchaîné, Jésus est libre comme un roi ; Pilate est un esclave, écartelé entre
sa conscience et ses intérêts, intrigué par cette réponse indéchiffrable de
l'accusé : "Ma royauté ne vient pas
de ce monde... Je suis venu en ce monde
pour rendre témoignage à la vérité !"
Deux royautés, en effet, sont en présence,
inconciliables : la royauté de la terre, avec le prestige des armes et de la richesse,
et la royauté des âmes, qui ne dispose d'aucune autre force que celle de la
vérité.
Mais que peut ce Roi inoffensif contre les
puissances d'ici-bas ? Ainsi, Pilate le livre à la crucifixion en se lavant les
mains.
Or, quelques semaines plus tard, cinq mille
habitants de Jérusalem se serrent derrière Pierre et les apôtres, déclarant que
Dieu a ressuscité Jésus de Nazareth d'entre les morts, et que le monde n'a pas
et n'aura jamais d'autre sauveur que lui. C'était bien lui, le Roi !
Nous voici à plus de deux mille ans de ces
événements. La scène s'est considérablement élargie. Les cinq mille premiers
chrétiens sont devenus près du tiers du genre humain qui confesse la Royauté du
Christ.
Sur un champ autrement plus vaste que le
prétoire de Pilate, l'affrontement se poursuit entre les puissances du monde et
le christianisme : celui-ci persistant à affirmer que le Christ doit régner sur
la terre, celles-là répliquant que l'humanité n'a pas besoin de lui, qu'il a
fait faillite, qu'après vingt siècles il n'a pas réussi à établir la justice,
la paix et que la science doit prendre la place de la foi.
Et pourtant la
parole du Christ demeure : "Je
suis roi, mais ma royauté ne vient pas de ce monde".
Cette parole du Seigneur contient deux
affirmations catégoriques :
- D'une part : "Je suis roi". Après sa résurrection il dira à ses
apôtres : "Toute puissance m'a été
donnée au ciel et sur la terre. Allez… Faites des disciples dans toutes les
nations, jusqu'au bout du monde". L'ordre est formel et renferme la
promesse du succès. Le règne de Dieu se développera à la façon d'un grain de
sénevé. Cette promesse se réalise de plus en plus et se réalisera.
- D'autre part, la royauté du Christ "ne vient pas de ce monde".
Sur la manière dont se propagera le christianisme, aucun programme n'a été
arrêté. L'Esprit-Saint y pourvoit selon les circonstances. Ce qui a été prévu
en revanche, c'est que les disciples et les prédicateurs de l'Évangile
rencontreront la contradiction, les mauvais traitements, les haines injustes,
la prison et la mort.
L’affrontement du prétoire de Pilate se poursuit de
siècle en siècle.
Ces deux affirmations de Jésus sont aussi
certaines l'une que l'autre : le progrès de l'Evangile sur la terre et
l'opposition du monde à l'Evangile. St Jean, surtout, le soulignera fortement.
Si nous acceptons la première, la seconde ne saurait nous effrayer : elles se
concilient si l'on n'oublie pas que la Royauté du Christ n’est pas de ce monde,
alors même qu’elle doit être vécue dans le monde par le témoignage des
chrétiens !
Le christianisme n'a pas à chercher des
triomphes sur le plan terrestre, dans l'ordre temporel. Ce n'est pas son rôle.
Sans doute, on soulignera l'influence, au cours des siècles, de certains rois
ou chefs d'Etat chrétiens. Certes !
Mais un grand historien, béatifié par Jean-Paul II en la cathédrale de
Paris, le 28 Août 1997, au cours des JMJ, Frédéric Ozanam, écrivait quelques
neuf mois avant le coup d’état du 2 Décembre 1851 qui provoqua la restauration
de l’Empire : "Nous n'avons pas
assez de foi, nous voulons toujours le rétablissement de la religion par des
voies politiques ; nous rêvons d’un Constantin qui tout d'un coup et d'un
seul effort ramène les peuples vers Dieu. C'est que nous savons mal l'histoire
de Constantin, comment il se fit chrétien précisément parce que le monde était
déjà plus qu'à moitié chrétien, comment la foule des sceptiques, des indifférents,
des courtisans qui le suivirent dans 1'Eglise, ne firent qu'y apporter l'hypocrisie,
le scandale, le relâchement. Non, les conversions ne se font pas par les lois,
mais par les consciences".
La royauté du Christ ne vient pas de ce monde. Lorsque le christianisme lie
son sort à celui des puissances temporelles, il en partage très souvent les
revers. Au contraire, lorsqu'il a été combattu par les puissances de ce monde,
sa condamnation à mort lui a préparé de prodigieuses résurrections. “Le sang des martyrs, disait Tertullien,
est semence de chrétiens !“.
C’est donc avant tout la sainteté des chrétiens qui est la force du Royaume de
Dieu ici-bas !
Jésus-Christ n'a apporté au monde ni des
doctrines humaines ni des découvertes scientifiques, mais une puissance de
sainteté. C'est là sa véritable Royauté qui ne vient pas du monde, mais de
Dieu. Il est venu sanctifier les hommes par la foi en sa personne et
l'obéissance à ses préceptes. "Quiconque
est pour la vérité écoute ma voix".
Le christianisme progresse dans la mesure
où il demeure lui-même face aux diverses sociétés humaines. Il ne progresse que
s'il reste dans "l’ordre de la sainteté". C’est ce qu’a fortement
rappelé le récent Synode des évêques à Rome. Quand le christianisme se
compromet avec l'ordre temporel, il perd aussitôt quelque chose de sa pureté,
il en est amoindri, altéré, défiguré. Finalement les hommes le rejettent, mais
en réalité ils ne rejettent que ses déformations.
Tous les révolutionnaires, les réformateurs
du monde se proposent toujours de rétablir la dignité de l'homme, de détruire
les servitudes, d'instaurer la fraternité, de supprimer les guerres, d'établir
le règne de la paix. Mais l’erreur est d’oublier que ces principes à promouvoir
sont de l'ordre de la sainteté, de la Royauté de Dieu, du Christ !
Ainsi pour régner, Jésus n'a pas besoin
d'un Constantin ou d'un Charles-Quint; il a besoin de disciples aimants,
fidèles, dévoués, courageux …et saints. C'est à cette condition que nous ferons
progresser la Royauté de Jésus-Christ, "qui
ne vient pas de ce monde".
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