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T.O. Jeudi 12/B - (Apoc 18.1sv).
La
lecture d’aujourd’hui est assez longue - même si elle n’est qu’un abrégé du
chapitre 18ème de l’Apocalypse de St Jean - ; elle mériterait
amples explications. Je me bornerai donc, dans le cadre d’une Eucharistie, à
quelques réflexions seulement.
“J’ai eu encore une
vision,
dit St Jean ! Un autre ange
descendit du ciel… !“. Comme précédemment, l’apparition de cet ange
signifie une “intervention“ particulière de Dieu.
Et cet “autre ange“ proclame la destitution, l’anéantissement de Babylone,
de toutes les “Babylones“ qui ne sont que des “repaires de démons“, des “repaires
de chacals“, dira Jérémie qui précisera que le temple de Jérusalem lui-même
est devenu un “repaire de bandits, de
brigands“, expression que Jésus reprendra lui-même en chassant les vendeurs
du temple. Et Job de préciser que le “repaire
de brigands“, c’est tout lieu “où
l’on ignore Dieu !“ (Jb 18.21).
Et
cela est à méditer grandement. Le “repaire
de brigands“ - toute la Bible le crie -, c’est le lieu où l’homme se met à
la place de Dieu et où il proclame orgueilleusement : “Je suis roi, je suis reine !“ (Apoc 18.7). A cause de son
orgueil démentiel, toute “Babylone“ (même un temple comme celui de Jérusalem) sera châtiée.
Et
si ce châtiment est souvent présenté comme l’action de “la colère de Dieu“ lui-même, ce châtiment résulte avant tout et
surtout du fait que Dieu abandonne l’homme à son orgueil démesuré, à son
égoïsme, à ses passions. “La colère de
Dieu“ n’est rien d’autre que le fait que Dieu laisse faire, qu’il laisse
faire la liberté de l’homme à toujours respecter, qu’il laisse faire ses forces de
destruction, alors qu’il aurait voulu le sauver par amour.
En
considérant Babylone et toutes les “Babylones“ qui étalent leur audace orgueilleuse
à travers les siècles, il n’est qu’un seul mot qui résonne et lance une
recommandation que notre lecture, déjà assez longue, ne transcrit pas : “Sortez !“. - “Sortez, o mon peuple, sortez de cette cité de peur de partager les
fléaux qui lui sont destinés !“ (18.4). Sortez comme Noé est sorti du monde
perverti en entrant dans l’arche…, sortez comme Lot est sorti de Sodome,… comme
les Hébreux sont sortis d’Egypte… etc. Et le chrétien, s’il doit rester dans le
monde, n’est pas de ce monde (Cf. Jn 17.16). Il lui faut en sortir… ! N’est-ce
pas tout le sens de la vocation baptismale, de toute vocation religieuse ?
Bossuet
avait bien compris cela, lui qui, dans son panégyrique sur St Benoît, s’écriait
magistralement : “Toute la doctrine
de l’Evangile, toute la discipline chrétienne, toute la perfection monastique
est entièrement renfermée dans cette seule parole : « Egredere –
Sors ! ». La vie du chrétien est un long et infini voyage durant le
cours duquel, quelque plaisir qui nous flatte, quelque compagnie qui nous
divertisse, quelque ennui qui nous prenne, quelque fatigue qui nous accable,
aussitôt que nous commençons à nous reposer, une voix s’élève d’en-haut qui
nous dit sans cesse et sans relâche : « Egredere –
Sors ! », et nous ordonne de marcher plus outre. Telle est la vie
chrétienne, et telle est, par conséquent, la vie monastique. Car qu’est-ce
qu’un moine véritable, un moine digne de ce nom, sinon un parfait
chrétien ?“ (1)
Toute
la spiritualité chrétienne (et monastique particulièrement) est une “sortie de soi“ vers Dieu et donc vers
l’autre. Je ne m’étends pas ; mais il est curieux de constater aujourd’hui
que toute conversation est souvent ponctuée par : “Moi, je dis… ; Moi, je pense… ; Moi, j’ai fait…, Moi et Moi
encore… !“. C’est l’orgueilleux langage babylonien qui toujours
affirme : “Moi, je suis roi… ;
Moi, je suis reine…“. Alors que l’attitude du chrétien devrait toujours
être une “sortie de soi“ vers son
frère et surtout vers Dieu-Vérité ! Mais sachons-le : ce “Moi
babylonien“ sera châtié, anéanti parce que en lui, comme en la Babylone, on aura “trouvé le sang des prophètes, des saints
et de tous ceux qui ont été immolés sur la terre“ (18.24), tant le “Moi“ est
haïssable parce qu’il assassine toujours ce qu’il ne trouve pas en son
“Moi“ !
Oui,
Babylone sera détruite ! Alors éclatera au ciel un triple
“Alleluia !“. C’est le seul endroit, dans tout le Nouveau Testament, où
l’acclamation “Alleluia !“ est employée. Mais son chant nous introduit dans
le mystère des noces de l’Agneau : “Heureux
les invités au repas des noces de l’Agneau !“.
“Heureux… !“ : C’est la plus grande des béatitudes !
Je
terminerai par une réflexion : l’écroulement de Babylone, du monde
matérialiste et sans Dieu nous engagerait-il pas à sortir de ce monde, à
totalement nous “démobiliser“ par rapport à l’urgence des tâches terrestres à
accomplir.
Non
point ! Certes, l’apocalypse critique le mensonge qui fait des réalités terrestres
des nourritures éternelles. Elle nous détourne du culte des biens matériels et
de leur accumulation qui ne peuvent qu’amener injustices catastrophiques pour
les hommes. L’apocalypse nous sollicite de ne pas attendre un âge d’or
terrestre, et surtout pas de nos propres forces ! En ce sens elle
prophétise l’autodestruction de toute entreprise de type “tour de Babel“ !
Mais l’Apocalypse
nous propose aussi de nous engager dans le monde selon sa vraie finalité qui est
la gloire de Dieu !
“Cherchez d’abord
le Royaume de Dieu et sa justice. Tout le reste vous sera donné en plus !“
(1)
Bossuet aura même une audacieuse mais profonde intuition : au ciel, en
Dieu lui-même, il n’y aura nul repos, nulle satisfaction d’un retour sur
soi-même. Il nous sera tellement ordonné de cheminer sans relâche qu’il ne nous
sera même pas permis de nous arrêter en Dieu, quoiqu’il n’y ait rien au-dessus
de lui à prétendre. Il y aura toujours de nouveaux progrès à faire, Dieu
découvrant sans cesse à notre ardeur de nouvelles infinités. Vouloir enfermer
Dieu dans les bornes de la satisfaction de notre perfection céleste serait
entreprendre de resserrer l’immensité de sa nature ! Même au ciel, il nous
sera ordonné : “Egredere“… Allez sans vous arrêter, surtout pas sur
vous-mêmes ! Marchez de vertus en vertus si vous voulez être dignes de
voir le Dieu des dieux !
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