1er Avent 15-16 C -
La question de
l’Apocalypse, de la “fin du monde”, c’est-à-dire, finalement, la question du
sens de l’Histoire et donc du sens de notre propre existence, est une
question constante.
Oui, question constante
même en notre Occident sceptique, plus ou moins agnostique ; question constante
de l'homme qui toujours va s'interrogeant sur lui-même.
Oui, interrogation
permanente ! Car regardons :
- ce sentiment
d'appartenir à un monde incapable de se donner un sens ;
- ce constat que si
la technique se poursuit, les civilisations, elles, meurent;
- cette vision
globale du monde où la cohérence semble nous échapper ;
- cette tentative
perpétuelle d'anticiper un avenir possible sans aucune assurance pour demain ;
- cette lucidité
qui s'épuise à constater l'écroulement de nos espoirs en ruminant avec
nostalgie l'intelligence des mondes passés… etc.
tout cela, n'est-ce
une manière plus ou moins consciente de proclamer l’Apocalypse, tout en
se posant la question fondamentale du sens de l’Histoire, de notre histoire ?
Non, le discours du
Christ ne parle pas de choses absurdes dont nous pourrions faire l'économie en
fermant pieusement cette page d’évangile au langage quelque peu voilé, abscons.
D'autant que l’homme,
lui, n'écoutant pas la voix du Christ, ne cesse pas de se fabriquer ses
propres “apocalypses” imaginaires ou, hélas, réelles : celles,
inventées, des bandes dessinées d’aujourd’hui et celles, bien concrètes, des
folies sanglantes et absurdes qui prétendent anticiper un avenir merveilleux,
quitte à le déclarer, le lendemain, n’avoir aucun sens.
Pourtant, le
Christ, lui, veut répondre à cette question du sens de l’Histoire, de notre
propre histoire, de notre existence, mais sans accepter pour autant
les termes de notre questionnement...
Ce que le Christ
nous dévoile, c'est une image de notre vocation personnelle dans le
destin collectif de l'humanité.
Et, tout d'abord,
- il faut accepter
que cette image donnée par la Parole de Dieu provoque, en nous, un ébranlement
des cohérences humaines que l'on recherche pour notre vie, en nous plaçant devant
le Ressuscité, le Vivant par excellence !
- Il faut accepter
que, devant lui, nous soyons sans cesse partagés de sentiments contradictoires :
obscurité et lumière, péché et grâces, joie et peur tout à la fois.
- Il faut accepter
de ne pas éclaircir ces textes comme on résout un problème avec un ordinateur.
Alors, seulement,
nous pourrons entendre cette phrase qui se trouve au centre du discours du
Christ : "Amen, je vous le dit :
cette génération ne passera pas sans que tout cela n’arrive. Le ciel et la
terre passeront, mes paroles ne passeront pas !”
St Luc rapporte ces
propos de Jésus à une date plus tardive que celle des autres évangélistes,
probablement après la ruine de Jérusalem, en 70. S'il les rapporte, c'est que
ces propos ont un sens. Signifient-ils que les contemporains de Jésus ne mourront
pas sans voir le bouleversement du ciel et de la terre et de la mer ?
Manifestement ce n'est pas arrivé ! Il y a donc un sens plus simple à
trouver !
Déjà, au temps de
Notre Seigneur (comme en notre temps),
- même quand le
désir d’une intervention divine se faisait suppliante (et cela nous arrive),
- même quand le
désordre politique ou social provoquait des fuites soudaines et brutales, des émigrations,
comme pour les parents de St Paul, par exemple, émigrants à Tarse (et cela
arrive en notre temps)
- même quand il y
avait des flambées d'espérance grâce à l’émergence d’un sauveur quelconque,
etc.,
l'expérience
religieuse savait bien, elle, qu'une “génération”, c'est un temps de
l'histoire, un temps de l'humanité dont la clôture n’appartient pas à l'homme.
Et cette
“génération”, mais c’est toujours la nôtre, au sens où, de fait, Jésus ouvre et
ferme l'histoire, notre propre histoire d’aujourd’hui, à chacun de nous !
C'est ce temps-ci de notre histoire, ce temps auquel nous avons à faire face.
Et “les paroles” de Jésus “qui ne
passeront pas” sont destinées à nous permettre de tenir bon en ce temps-ci
de l'histoire, en notre génération, et de remplir au mieux le rôle qui est
le nôtre comme disciples de Jésus, au milieu des cataclysmes qui nous
arrivent !
Ainsi ces
paroles de Jésus décrivent surtout la manière dont nous devons nous situer en
notre monde d’aujourd’hui, parfois si désespérant.
- Or, souvent, nous
passons notre temps à vouloir construire par nous-mêmes comme une
harmonie secrète entre nos propres vies et les hommes qui nous entourent, entre
ciel et terre, en suppliant Dieu que notre univers soit sûr et solide.
- Nous passons
notre temps à nous désirer un temps et un univers où les puissances d'En
Haut, - bénéfiques, naturellement ! - nous assureraient un monde bien
fait, un bonheur donné et assuré.
- Nous passons
notre temps à succomber à la frayeur de voir que ce monde qui, selon nous,
devrait être sûr, solide et rempli de bonté, est pourtant fissuré et déchiré
par la présence de la mort... etc.
Et ainsi, chacun de
nous fait l'expérience que les puissances du ciel - du ciel qu'il s'imagine -
sont ébranlées.
Et cela est vrai pour
tout homme
- quand s'écroule
son univers et qu'il découvre qu'il est seul face à son propre passé,
- quand il découvre
qu'il n'y a plus de référence au moment où la mort, celle de ceux qu’il aime et
la sienne propre, déchire la sécurité d'un monde qui devrait être immortel et
immuable.
Oui, le ciel et la
terre et les puissances des cieux sont ébranlés chaque fois que s'accomplit
l'irréversible d'une vie - gâchée ou réussie, qu'importe - puisque, de toutes
façons, c'est une page qui se tourne.
Or ce monde que l’on
désire si cohérent humainement,
- c'est un fantasme
que l'homme se crée,
- c'est la manière
imaginaire dont l'homme divinise son existence,
- c'est une façon
d'appeler à son propre secours ciel et terre pour que tout l’univers soit à son
propre service.
Et quand il
constate que ce monde s'ébranle, il a peur. Et il dit que ce monde s'en va,
que les temps sont finis, qu'il va y avoir la guerre, car ce monde n'est pas
juste et il faut le casser.
Et il dit que si
Dieu existait, les choses ne se passeraient pas ainsi, qu'on ne peut plus
croire à rien ! Il y avait un âge d'or, et il n'y a plus d'âge d'or. Et
les hommes sèchent de frayeur ou s'enferment dans le scepticisme.
Et Jésus, lui, de
nous dire : N'ayez pas peur ! "Redressez
;-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche !”.
Jésus veut
traverser tous nos fantasmes, tous les fantasmes d'une fausse sécurité, et les
fantasme de nos frayeurs païennes, pour nous donner non pas une autre vision
qui se substituerait à la nôtre, mais une attitude de foi, cette foi qui
nous fait traverser toute espérance illusoire et toutes craintes comme des
disciples qui osent se relever debout devant Dieu, dans l'espérance de voir
venir à lui le Christ qui a traversé la mort, le Christ ressuscité, toujours
vivant !
Alors, vous, dit
Jésus, veillez, car vous savez qu'en ce temps-ci est proche le règne de
Dieu, votre délivrance, l'été de Dieu.
Vous êtes, en ce
monde-ci avec ses frayeurs, les témoins d'une autre liberté et d’un
autre été qui germe et qui vient.
Et même si vous
échappez à la peur, vous connaissez aussi toutes les ruses du démon : n’allez
pas vous endormir dans l'insignifiance de la vie, dans la noyade des
beuveries, dans la vanité des richesses, dans le sommeil du désespoir.
Vous qui devez attendre,
ne cessez pas d'attendre.
Vous qui devez non
pas avoir peur mais veiller, priez en tout temps, la prière étant l’acte
de foi qui exorcise tous les produits de notre imagination et permet à l’homme
de rester debout en ce monde qui est le nôtre, porteur de l’espérance de la
venue du Fils de l’homme en notre propre existence et dans tout
l’univers !
Le Christ vient ! Ce sera le leitmotiv de ce temps de l'Avent qui nous invite à accueillir la venue du Fils de Dieu fait chair en notre vie. Sachons que l'arme de ce Fils de Dieu, le Christ, est sa grande miséricorde divine ! Tel est mon vœu en ce début d'année liturgique, "Année de la Miséricorde".
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