32e Dimanche du T.O. - 2015
La veuve qui donna son dernier pain au prophète Elie, la veuve qui donna
son dernier sou sans savoir que Jésus la regardait…, à mille ans de distance,
on croirait que c'est une seule et même femme. Chez l'une et chez l'autre, le
même courage, la même générosité, la même noblesse, cette noblesse des pauvres
en qui l'humanité, désencombrée du superflu et parfois même du nécessaire,
révèle une grandeur capable d'accomplir d'humbles miracles.
La première ramassait du
bois quand l'homme de Dieu lui demanda à boire. Bien plus, il s'enhardit, en un
temps de sécheresse et de famine, à lui demander encore un morceau de pain.
Elle n'avait plus qu'une poignée de farine et un peu d'huile. "Je ramasse deux morceaux de bois, je
rentre préparer pour moi et mon fils ce qu'il nous reste. Nous le mangerons et
puis nous mourrons".
Elie lui répond alors : "N'aie pas peur… cuis-moi un petit
pain… Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d'Israël : « Jarre de farine ne
s'épuisera pas, vase d'huile ne se videra pas, jusqu'au jour où le Seigneur
donnera la pluie pour arroser la terre !»". Ainsi fut fait, ils
mangèrent, "la jarre de farine ne
s'épuisa pas et le vase d'huile ne se vida pas !".
Ce vieux récit biblique
qui tresse l'histoire et la légende en même temps nous le redit à sa manière : alors
même que les hommes désespèrent, Dieu ouvre un avenir. Dieu agit
souvent ainsi.
- Il avait donné un fils
à Abraham et Sara qui, dans leur vieillesse, s'en allaient sans enfant.
- Il donnera un jour au
petit David la victoire sur le géant Goliath.
- De même, d'un peu
d'huile et de farine, dans une main ouverte, il multipliait la nourriture.
La stérilité d'un vieux
couple accueille un enfant, un adolescent et sa fronde mettent une armée en
déroute, une pauvre femme donne tout et voilà que son don peut se répéter,
inépuisable !
Dieu aime cette
disproportion depuis qu'il a fait l'homme "à son image et ressemblance",
depuis qu'il a fait alliance avec l'homme, depuis qu'il s'est lui-même fait homme
en Jésus Christ. - Cette disproportion court comme un fil de lumière tout au
long de la Bible, depuis le matin où de la glaise informe, il fait se dresser
l'homme, jusqu'à ce jour ultime où nous entrerons, meurtris mais radieux, dans
la céleste Jérusalem.
Cette disproportion
n'est pas pour nous désespérance comme
elle l'est pour beaucoup : "Les
dieux sont les dieux, les hommes sont les hommes ; pas de commune mesure entre eux",
disaient déjà les Grecs désabusés. Cette disproportion, au contraire, est pour
nous force et vie, dès lors que nous croyons à l'alliance entre Dieu et
l'homme. Désormais, évacuer Dieu n'est pas humain ; évacuer l'homme n'est pas
divin !
Oh ! Ce sont là de grands
mots, direz-vous, chaque jour démentis par l'indifférence, l'obsession de
toutes les sécurités, les égoïsmes des individus, des familles et des nations.
Tout le monde sait que des centaines de millions d'hommes connaissent une
misère croissante tandis que d'autres vivent dans l'abondance, parfois le
gaspillage.
Et cependant que de fois
nous entendons dire que ces gens si démunis dans les pays de pauvreté
accueillent le passant, l'étranger, en lui offrant largement le peu qu'ils ont.
Comme si l'hospitalité grandissait alors que baisse ce que nous appelons le
"niveau de vie". Comme si la pauvreté espère toujours que
l'"hostis" - l'ennemi - devienne "hospes" - un "hôte",
un convive, les deux mots ayant étrangement même racine en latin.
Un prêtre, revenant du
Brésil, racontait qu'il avait été reçu dans une famille très pauvre. Au cours
du repas, amis et voisins arrivent et on les invite à manger l'unique poulet
qui était sur la table. Le morceau de chacun ne fut pas gros, mais la joie
grandissait. Cette joie, n'est-elle pas la véritable abondance qui donne
saveur à l'existence ?
Je le sais bien : les
contrées de la misère ne connaissent pas que des gestes de bonté. L'extrême
dénuement est accompagné aussi par beaucoup de violences. Mais il faut bien
constater que la pauvreté unit souvent les hommes, les rend ingénieux à s'entraider,
fait naître parmi eux un goût de vivre inconnu des nantis.
Aujourd'hui, en notre
temps de mondialisation, on se dit de plus en plus sensible aux pauvres, à la
misère. Et c'est bien. Mais ne faut-il pas d'abord apprendre de ces pauvres
à être plus humain ? Ils nous
montrent qu'il est possible, dans la rareté des choses, de vivre ensemble, de
chanter, de rire, de partager joyeusement. Ne serait-ce pas là le véritable
"niveau de vie", au de-dessous duquel les hommes sombrent dans
l'inquiétude, la dépression ? Ne serait-ce pas là le véritable rayon de lumière
qui illumine tout visage humain ?
Et justement, n'est-ce-pas
ce fil de lumière que Jésus aperçoit dans les doigts de la femme qui vient au
temple ? Là encore, quel contraste ! Le Trésor du Temple, et les deux
piécettes de la pauvre veuve. Des riches mettaient de grosses sommes, mais
c'était de leur superflu. Elle, par contre, donnait sa "vie", comme
l'écrit, littéralement, l'Evangile. Le Trésor et les deux piécettes… ! Jésus
savait de quel côté était le véritable trésor, le trésor de Dieu !
Et nous, que
donnons-nous ? Des choses, des gestes, de
l'argent ? Ou bien à travers tout cela ou sans cela, notre "vie",
notre cœur ? Même si humainement ou spirituellement, nous croyons
n'avoir rien à donner, nous avons notre "vie", notre cœur.
De plus, on le sait bien : "la
manière de donner vaut mieux que ce que l'on donne", comme disait un
proverbe arabe repris par notre célèbre Corneille. Et c'est bien la cause de
beaucoup de "miracles".
St Pierre nous le dit
clairement. Vous vous souvenez du boiteux qui se tenait à la
"Belle-Porte" du Temple quand passent Pierre et Jean. Il mendie, il
espère "un petit quelque chose". Pierre lui dit alors : "Je n'ai rien. Mais ce que j'ai, je te
le donne : au nom de Jésus, lève-toi et marche !". - "Je n'ai
rien" : mots de pauvreté. Les mêmes mots que ceux de la veuve de Sarepta,
ceux de la veuve du Temple, les mêmes mots que ceux du Christ, car, disait-il à
son Père : "Holocaustes et
sacrifices ne t'ont pas plu ; alors j'ai dit : « Père, me voici pour faire
Ta volonté !»". (Heb.
10.6 sv).
Donner tout, ce n'est
pas, sauf exception rarissime s'appauvrir jusqu'à l'absurde. Comment le faire
quand on est père et mère de famille ? C'est "se donner".
Soi-même. Pour "faire la Volonté de Dieu", là où l'on est.
Se donner ! Se donner à sa famille, humaine ou spirituelle, à ses
frères chrétiens, au sein de l'Eglise, Corps du Christ dont on fait partie. Il
ne suffit pas de donner mais de se donner. Souvent, on entend : mais je
n'ai aucune compétence pour telle ou telle action, pour telle ou telle tâche !
Pourtant, avec Jésus, il ne s'agit pas d'"avoir", il s'agit d'"être",
d'être entre ses mains, de se donner. Lui fait le reste. Et c'est ainsi que de
l'Eglise, que de notre Eglise qui semble chez nous disparaître, rejaillit
toujours une pousse, un "rejeton" encore plus vivace ! Chaque
chrétien, dans sa pauvreté même, doit s'interroger sur sa participation à
l'"Œuvre de Dieu".
Jésus regardait la foule
dans le temple. Et Jésus regarde toujours les foules au long des temps.
Toujours, dans la multitude, son regard discerne la pauvre veuve. Il le sait
bien, lui : Dieu qui crée de rien a besoin d'un peu d'huile, d'un peu de pain,
du dernier sou pour sauver le monde. Ceux qui donnent leur "vie"
libèrent sans cesse "l'énergie
nucléaire de l'amour", disait naguère Mgr Helder Camara. Il suffit
d'un atome, il suffit d'un infime geste de don de soi pour que la réaction en
chaîne se déclenche. Y pensons-nous ?
La veuve qui semble la
même, tout au long des siècles, c'est notre humanité endeuillée chaque jour par
la faim, la guerre, le désespoir, l'absence de Dieu. - Mais c'est aussi
notre humanité, capable de donner son dernier pain, son dernier sou, sa "vie"
crucifiée et glorieuse tout à la fois pour Dieu et ses frères, à l'exemple
du Christ pascal.
Et Jésus aurait pu
ajouter comme il le faisait souvent : "Que
celui qui a des oreilles, qu'il entende !".
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