dimanche 8 novembre 2015

La richesse du pauvre !

32e Dimanche du T.O. - 2015

La veuve qui donna son dernier pain au prophète Elie, la veuve qui donna son dernier sou sans savoir que Jésus la regardait…, à mille ans de distance, on croirait que c'est une seule et même femme. Chez l'une et chez l'autre, le même courage, la même générosité, la même noblesse, cette noblesse des pauvres en qui l'humanité, désencombrée du superflu et parfois même du nécessaire, révèle une grandeur capable d'accomplir d'humbles miracles.

La première ramassait du bois quand l'homme de Dieu lui demanda à boire. Bien plus, il s'enhardit, en un temps de sécheresse et de famine, à lui demander encore un morceau de pain. Elle n'avait plus qu'une poignée de farine et un peu d'huile. "Je ramasse deux morceaux de bois, je rentre préparer pour moi et mon fils ce qu'il nous reste. Nous le mangerons et puis nous mourrons".
Elie lui répond alors : "N'aie pas peur… cuis-moi un petit pain… Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d'Israël : « Jarre de farine ne s'épuisera pas, vase d'huile ne se videra pas, jusqu'au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre !»". Ainsi fut fait, ils mangèrent, "la jarre de farine ne s'épuisa pas et le vase d'huile ne se vida pas !".

Ce vieux récit biblique qui tresse l'histoire et la légende en même temps nous le redit à sa manière : alors même que les hommes désespèrent, Dieu ouvre un avenir. Dieu agit souvent ainsi.
- Il avait donné un fils à Abraham et Sara qui, dans leur vieillesse, s'en allaient sans enfant.
- Il donnera un jour au petit David la victoire sur le géant Goliath.
- De même, d'un peu d'huile et de farine, dans une main ouverte, il multipliait la nourriture.
La stérilité d'un vieux couple accueille un enfant, un adolescent et sa fronde mettent une armée en déroute, une pauvre femme donne tout et voilà que son don peut se répéter, inépuisable !

Dieu aime cette disproportion depuis qu'il a fait l'homme "à son image et ressemblance", depuis qu'il a fait alliance avec l'homme, depuis qu'il s'est lui-même fait homme en Jésus Christ. - Cette disproportion court comme un fil de lumière tout au long de la Bible, depuis le matin où de la glaise informe, il fait se dresser l'homme, jusqu'à ce jour ultime où nous entrerons, meurtris mais radieux, dans la céleste Jérusalem.

Cette disproportion n'est pas pour nous désespérance comme elle l'est pour beaucoup : "Les dieux sont les dieux, les hommes sont les hommes ; pas de commune mesure entre eux", disaient déjà les Grecs désabusés. Cette disproportion, au contraire, est pour nous force et vie, dès lors que nous croyons à l'alliance entre Dieu et l'homme. Désormais, évacuer Dieu n'est pas humain ; évacuer l'homme n'est pas divin !

Oh ! Ce sont là de grands mots, direz-vous, chaque jour démentis par l'indifférence, l'obsession de toutes les sécurités, les égoïsmes des individus, des familles et des nations. Tout le monde sait que des centaines de millions d'hommes connaissent une misère croissante tandis que d'autres vivent dans l'abondance, parfois le gaspillage.
Et cependant que de fois nous entendons dire que ces gens si démunis dans les pays de pauvreté accueillent le passant, l'étranger, en lui offrant largement le peu qu'ils ont. Comme si l'hospitalité grandissait alors que baisse ce que nous appelons le "niveau de vie". Comme si la pauvreté espère toujours que l'"hostis" - l'ennemi - devienne "hospes" - un "hôte", un convive, les deux mots ayant étrangement même racine en latin.
Un prêtre, revenant du Brésil, racontait qu'il avait été reçu dans une famille très pauvre. Au cours du repas, amis et voisins arrivent et on les invite à manger l'unique poulet qui était sur la table. Le morceau de chacun ne fut pas gros, mais la joie grandissait. Cette joie, n'est-elle pas la véritable abondance qui donne saveur à l'existence ?

Je le sais bien : les contrées de la misère ne connaissent pas que des gestes de bonté. L'extrême dénuement est accompagné aussi par beaucoup de violences. Mais il faut bien constater que la pauvreté unit souvent les hommes, les rend ingénieux à s'entraider, fait naître parmi eux un goût de vivre inconnu des nantis.
Aujourd'hui, en notre temps de mondialisation, on se dit de plus en plus sensible aux pauvres, à la misère. Et c'est bien. Mais ne faut-il pas d'abord apprendre de ces pauvres à être plus humain ? Ils nous montrent qu'il est possible, dans la rareté des choses, de vivre ensemble, de chanter, de rire, de partager joyeusement. Ne serait-ce pas là le véritable "niveau de vie", au de-dessous duquel les hommes sombrent dans l'inquiétude, la dépression ? Ne serait-ce pas là le véritable rayon de lumière qui illumine tout visage humain ?

Et justement, n'est-ce-pas ce fil de lumière que Jésus aperçoit dans les doigts de la femme qui vient au temple ? Là encore, quel contraste ! Le Trésor du Temple, et les deux piécettes de la pauvre veuve. Des riches mettaient de grosses sommes, mais c'était de leur superflu. Elle, par contre, donnait sa "vie", comme l'écrit, littéralement, l'Evangile. Le Trésor et les deux piécettes… ! Jésus savait de quel côté était le véritable trésor, le trésor de Dieu !

Et nous, que donnons-nous ? Des choses, des gestes, de l'argent ? Ou bien à travers tout cela ou sans cela, notre "vie", notre cœur ? Même si humainement ou spirituellement, nous croyons n'avoir rien à donner, nous avons notre "vie", notre cœur. De plus, on le sait bien : "la manière de donner vaut mieux que ce que l'on donne", comme disait un proverbe arabe repris par notre célèbre Corneille. Et c'est bien la cause de beaucoup de "miracles".
St Pierre nous le dit clairement. Vous vous souvenez du boiteux qui se tenait à la "Belle-Porte" du Temple quand passent Pierre et Jean. Il mendie, il espère "un petit quelque chose". Pierre lui dit alors : "Je n'ai rien. Mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus, lève-toi et marche !". - "Je n'ai rien" : mots de pauvreté. Les mêmes mots que ceux de la veuve de Sarepta, ceux de la veuve du Temple, les mêmes mots que ceux du Christ, car, disait-il à son Père : "Holocaustes et sacrifices ne t'ont pas plu ; alors j'ai dit : « Père, me voici pour faire Ta volonté !»". (Heb. 10.6 sv).

Donner tout, ce n'est pas, sauf exception rarissime s'appauvrir jusqu'à l'absurde. Comment le faire quand on est père et mère de famille ? C'est "se donner". Soi-même. Pour "faire la Volonté de Dieu", là où l'on est.

Se donner ! Se donner à sa famille, humaine ou spirituelle, à ses frères chrétiens, au sein de l'Eglise, Corps du Christ dont on fait partie. Il ne suffit pas de donner mais de se donner. Souvent, on entend : mais je n'ai aucune compétence pour telle ou telle action, pour telle ou telle tâche ! Pourtant, avec Jésus, il ne s'agit pas d'"avoir", il s'agit d'"être", d'être entre ses mains, de se donner. Lui fait le reste. Et c'est ainsi que de l'Eglise, que de notre Eglise qui semble chez nous disparaître, rejaillit toujours une pousse, un "rejeton" encore plus vivace ! Chaque chrétien, dans sa pauvreté même, doit s'interroger sur sa participation à l'"Œuvre de Dieu".

Jésus regardait la foule dans le temple. Et Jésus regarde toujours les foules au long des temps. Toujours, dans la multitude, son regard discerne la pauvre veuve. Il le sait bien, lui : Dieu qui crée de rien a besoin d'un peu d'huile, d'un peu de pain, du dernier sou pour sauver le monde. Ceux qui donnent leur "vie" libèrent sans cesse "l'énergie nucléaire de l'amour", disait naguère Mgr Helder Camara. Il suffit d'un atome, il suffit d'un infime geste de don de soi pour que la réaction en chaîne se déclenche. Y pensons-nous ?

La veuve qui semble la même, tout au long des siècles, c'est notre humanité endeuillée chaque jour par la faim, la guerre, le désespoir, l'absence de Dieu. - Mais c'est aussi notre humanité, capable de donner son dernier pain, son dernier sou, sa "vie" crucifiée et glorieuse tout à la fois pour Dieu et ses frères, à l'exemple du Christ pascal.
Et Jésus aurait pu ajouter comme il le faisait souvent : "Que celui qui a des oreilles, qu'il entende !".

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