T.O. 34
imp. Mardi - (Da. 2 - Lc 21.5sv)
(Homélie adressée au Mouvement "Sève" du Mans !)
Avec le livre de Daniel, nous sommes
plongés dans une littérature
apocalyptique, (=
apocalypse veut dire : “Dieu révèle“ !) qui traduit l’attente, l’espérance du peuple de Dieu, l’attente du "Jour de
Dieu" !
Et notre lecture peut rappeler ce que
disait St Jean : “N'aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde".. Car "le monde passe avec ses
convoitises ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure
éternellement". (1 Jn 2, 15-17).
Aussi, les premiers chapitres du livre de
Daniel nous invitent
- à l’esprit critique vis à vis du monde tel qu’il se présente
toujours ;
- à prendre nos distances par rapport à ce qu’il a de plus séduisant ;
- à être parfois en rupture avec ce qu’il a de plus
impressionnant, avec les modes de pensée véhiculées par sondages, statistiques
et diverses majorités d’opinion qui, souvent, se succèdent dans l’incohérence.
Ainsi dans le premier chapitre (lecture d'hier), Daniel est
présenté comme un de ces garçons d’élite que les puissants du monde veulent
apprivoiser en leur procurant ce que la culture païenne a de plus luxueux. Mais, Daniel s'en détourne !
Et à la surprise de tous, il apparaît, au terme d'un recyclage imposé, en
meilleure santé physique et intellectuelle que ses compagnons. Il fait preuve
de plus de sagesse que les meilleurs docteurs de Babylone. C’est que la
fidélité à Dieu fait acquérir la vraie sagesse et donne déjà “jeunesse
éternelle“ ! Première leçon vis-à-vis du monde, leçon que nous avons
toujours à méditer.
Et dans la lecture d'aujourd'hui, il y a la
célèbre vision du colosse aux pieds
d’argile. Ecrivain tardif, Daniel a eu l’occasion de tirer des
leçons de l’histoire, de la succession des empires qu'il a connus ou qu’on a pu
lui raconter.
Cette vision est d’une étrange actualité
pour les plus anciens d'entre nous, témoins des désastres de la 1ère
guerre mondiale, et de l'entrechoquement des superpuissances, et de la chute
des deux plus cruels tyrans du 20ème siècle, témoins encore (comme moi en Algérie) des guerres de
décolonisation, ce qui a entraîné, entraîne encore bien des pays dans les
impasses de la violence, alors qu’ils aspirent à la paix dans une
“mondialisation“ galopante. Avec Daniel, on ne peut être à meilleure école pour
exercer l’esprit critique, prendre ses distances et ne pas
être des moutons de panurge, dans le courant des idées à la mode.
Et je pense
- au panégyrique que Jésus fait de Jean
Baptiste : "Qui êtes-vous allés voir au désert ?" (En dehors de
toutes les agitations du monde),
- à François d’Assise, en rupture avec la
civilisation artificielle de son époque,
- à St Dominique persuadant les
ecclésiastiques envoyés convertir les cathares de commencer par abandonner
luxe, chevaux et carrosses pour rejoindre leurs interlocuteurs dans la pauvreté
évangélique…
Toutes choses que nous rappelle sans cesse
notre pape François ! Souvent, lui aussi, en rupture avec les modes mondaines,
voire ecclésiastiques...
Mais de toutes les critiques, les ruptures
dont nous parle la liturgie de ces jours-ci, la plus frappante est celle
dont le Christ nous donne l’exemple dans l’évangile. On l’invite à admirer
le temple d’Hérode dans sa magnificence presque achevée. Et Jésus, lui, de
réagir de la manière la plus inattendue - réaction pourtant dans la ligne des
prophètes - condamnant le ritualisme rassurant : "Ce que vous
contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre :
tout sera détruit !".
Bref, la liturgie de ces jours-ci nous
apprend à chercher les valeurs stables, à investir dans ce qui ne
passe pas, à bâtir sur le roc et non sur le sable.
C'est ce disait déjà St Etienne et que
rappelait la fondatrice du mouvement Sève : "la
maison de Dieu ne se bâtit pas de main d'homme" (Act. 7.48). Elle se construit
de l'Amour de Dieu pour toute l'humanité, manifesté par le Christ mort jusque sur
une croix. A sa suite, il faut admettre que le grain puisse mourir pour porter
des fruits. Il faut que la sève pascale du Christ monte en nous, de sorte qu'"en ajoutant à ce qui fut",
elle nous fasse atteindre la Vie qui n'a plus de limites !
Pour ce faire, il y a deux réalités que le
chrétien doit distinguer : la fin du monde et la fin d'un monde,
même si ces deux fins sont liées ensemble.
La
fin des temps, du monde ! On le sait : la terre
n'est pas éternelle. Les sciences enseignent l'âge approximatif de notre
planète, annoncent sa fin au moment prévisible de l'épuisement de l'énergie
solaire. Cependant, quand la Bible parle de cet événement, c'est surtout pour
affirmer la venue définitive et glorieuse de Dieu ! Alors pourquoi désespérer
et avoir peur ?
Mais, sans aller
aussi loin, régulièrement nous assistons à la fin d'un temps d’un monde tel
que nous le connaissions ou que d'autres ont connu. Pensons à l'extinction de
tant de civilisations…, à la disparition radicale de certaines façons de vivre
de nos grands-parents, arrières grands-parents... ! Mais, avec toujours
l'émergence, chaque fois, de “mondes” nouveaux...! Toujours la fin d'un
monde pour un nouveau monde. C'est aussi de cela dont parle la Bible !
Et les hommes,
auxquels Dieu a laissé toute liberté de continuer sa création, ont ainsi le
pouvoir de transformer le
monde, en allant d'un monde à un autre, meilleur si possible !
Parfois, malheureusement, ils s'y prennent comme des apprentis sorciers, en
gâchant, en dégradant cette terre qui leur est confiée. Le pape François l'a
sérieusement rappelé dans sa magnifique encyclique "Laudato Si..." !
Aujourd'hui, devant
les mutations climatiques, nous commençons à prendre au sérieux la déchirure de
la couche d'ozone, les désastres provoqués par diverses pollutions, les effets
nocifs de nos interventions sur la vie végétale, animale…, et, bien davantage,
sur la vie de l'homme lui-même, de sa conception à sa mort. Ces constatations
sont assez graves pour interpeller tout homme soucieux de l'avenir de
l'humanité. Certes, il y aura la "fin du monde" ; mais il y a
aujourd'hui la "fin d'un monde" dont nous sommes en grande partie
responsables ! Le pape y insiste fortement !
Mais nous le constatons malheureusement : devant l'éternel projet du
Créateur qui, dans la succession inévitable d'un monde à un autre monde, veut
conduire l'humanité à la fin du monde pour nous accueillir en son monde divin, l'homme
forme un "contre-projet". Il veut se construire lui-même sans le
concours de Dieu. Il est victime d'un "aveuglement", dira
Isaïe, le fameux "divertissement" dont parle Pascal.
Les hommes "deviennent, dit-il encore, comme le peuple de
Sodome et Gomorrhe ! ".
Quand, dans la Bible, on évoque cette région (point le plus bas de la terre, - 400 m), on
parle de "mahapekah Sedom". "Mahapekah"
veut dire, "retournement", "contraire". En cette
région, on dirait que la terre s'est comme retournée, révulsée... L'homme
devenant pécheur, l'univers orchestre cette aberration et se retourne, se
révulse… en quelque sorte : "mahapekah Sedom". Cette
révolte de la terre, le pape en parle dans son encyclique.
Mais chez Osée - Isaïe, Ezéchiel également - quand l'homme pèche, qu'il
est dans le chaos, ce n'est plus tellement la terre qui se retourne, se
révulse, mais c'est le "cœur" même de Dieu : "Mon cœur en moi est bouleversé ("retourné" : même racine que pour Sodome)". Mais, dit Dieu, "je ne donnerai pas
cours à l'ardeur de ma colère..., car je suis Dieu et non pas homme ; au
milieu de toi je suis le Saint... !". (Osée
11.7sv). Et toujours, il nous dit : "Faites-vous
un cœur nouveau !" (Ez. 18.31). Et c'est lui-même qui fera, si je puis dire, l'opération chirurgicale
: "J'ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous
donnerai un cœur de chair" (Ez. 36.25-26).
Avec cette fidélité permanente de Dieu à l'égard de l'humanité tout au
long de la succession des mondes de l'Histoire, après la fin d'un monde souvent
causé par l'homme, émerge, un "nouveau monde" que Dieu
laisse encore et toujours à notre liberté.
Cependant "la
fin d'un monde" -
quelle qu'en soit sa cause - n'est pas indépendante de la "fin du
monde" ! Car notre vocation n'est-elle pas
d'améliorer, d'humaniser ce monde afin de le préparer à sa métamorphose
finale ? Les gémissements, les tâtonnements plus ou moins ratés ou réussis
qui se manifestent à travers nos "mondes" successifs sont des signes
révélateurs. Ils sont, dit St Paul, les "douleurs d'enfantement
d'un "monde nouveau" en train de naître", le monde de Dieu (Rm 8,19). Douleurs en
vue d'une "indicible naissance", disaient les
Anciens.
Aussi, même à travers
tous les soubresauts de l'Histoire, de notre histoire, nous sommes surtout
conviés à la foi et à l’espérance... Comme pour Abraham, notre Père dans la foi
! A travers les épreuves, il lui est dit : “Va ! Vers le pays que je te
montrerai” - “Va pour toi !", pour
ton bonheur ! A travers heurs et
malheurs, il s'agit d’un profit, d’un bonheur pour l’homme !
Et cette espérance en un bonheur
inépuisable, Dieu, "au cœur bouleversé, retourné,
révulsé" par le péché des hommes, la donne en son Fils, Jésus,
Dieu fait homme. Mort sur une croix, mais ressuscité, il est là, avec nous, toujours “en
travail” d’humanité, de cette humanité voulue par Dieu dès le matin de la
création ! "Mon Père est à l'œuvre
et moi aussi je suis à l'œuvre" (Jn 5.17). Il est là ! Il reviendra, a-t-il
dit, en sa gloire ! Il viendra tout illuminer de la beauté créatrice et
toujours rédemptrice de Dieu. Sa victoire sera nôtre !
Avec le Christ
ressuscité, c'est donc dans notre aujourd'hui - parfois mouvementé - que déjà
se réalise lentement, laborieusement, difficilement parfois, ce monde divin
auquel nous sommes conviés. C’est dire l'importance de nos tâches humaines,
qu'elles soient familiales, sociales, politiques ou culturelles. Par elles, se
prépare déjà, par le dynamisme de résurrection que le Christ nous donne, par
l'action de l'Esprit qu'il envoie..., se prépare ce "monde
nouveau" qui n'est pas un autre monde, mais notre monde “devenu autre”, ce
monde divin auquel il nous invite à participer à son éclosion.
Dans la succession
d'un monde à un autre, nous devons "servir" pour qu'advienne
ce monde divin en lequel toute "union" sera accomplie, puisque le Christ
- Dieu fait homme -, le Christ - ressuscité -, qui nous invite à s'incorporer à
lui, se fera "tout en tous" (Col 3.11), pour que "Dieu
soit tout en tous" (I Co. 15.28) ! C'est ce que nous allons
célébrer dans le sacrement de l'Eucharistie, anticipation de l'union
parfait avec Dieu et avec tous nos frères.
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