mardi 24 novembre 2015

Non du monde, mais dans le monde !

T.O. 34 imp. Mardi -  (Da. 2 - Lc 21.5sv)

(Homélie adressée au Mouvement "Sève" du Mans !)

Avec le livre de Daniel, nous sommes plongés dans une littérature apocalyptique, (= apocalypse veut dire : “Dieu révèle“ !) qui traduit l’attente, l’espérance du peuple de Dieu, l’attente du "Jour de Dieu" !
Et notre lecture peut rappeler ce que disait St Jean : “N'aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde".. Car "le monde passe avec ses convoitises ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement". (1 Jn 2, 15-17)

Aussi, les premiers chapitres du livre de Daniel nous invitent
- à l’esprit critique vis à vis du monde tel qu’il se présente toujours ;
- à prendre nos distances par rapport à ce qu’il a de plus séduisant ;
- à être parfois en rupture avec ce qu’il a de plus impressionnant, avec les modes de pensée véhiculées par sondages, statistiques et diverses majorités d’opinion qui, souvent, se succèdent dans l’incohérence.

Ainsi dans le premier chapitre (lecture d'hier), Daniel est présenté comme un de ces garçons d’élite que les puissants du monde veulent apprivoiser en leur procurant ce que la culture païenne a de plus luxueux. Mais, Daniel s'en détourne ! Et à la surprise de tous, il apparaît, au terme d'un recyclage imposé, en meilleure santé physique et intellectuelle que ses compagnons. Il fait preuve de plus de sagesse que les meilleurs docteurs de Babylone. C’est que la fidélité à Dieu fait acquérir la vraie sagesse et donne déjà “jeunesse éternelle“ ! Première leçon vis-à-vis du monde, leçon que nous avons toujours à méditer.

Et dans la lecture d'aujourd'hui, il y a la célèbre vision du colosse aux pieds d’argile. Ecrivain tardif, Daniel a eu l’occasion de tirer des leçons de l’histoire, de la succession des empires qu'il a connus ou qu’on a pu lui raconter.

Cette vision est d’une étrange actualité pour les plus anciens d'entre nous, témoins des désastres de la 1ère guerre mondiale, et de l'entrechoquement des superpuissances, et de la chute des deux plus cruels tyrans du 20ème siècle, témoins encore (comme moi en Algérie) des guerres de décolonisation, ce qui a entraîné, entraîne encore bien des pays dans les impasses de la violence, alors qu’ils aspirent à la paix dans une “mondialisation“ galopante. Avec Daniel, on ne peut être à meilleure école pour exercer l’esprit critique, prendre ses distances et ne pas être des moutons de panurge, dans le courant des idées à la mode.

Et je pense
- au panégyrique que Jésus fait de Jean Baptiste : "Qui êtes-vous allés voir au désert ?" (En dehors de toutes les agitations du monde),
- à François d’Assise, en rupture avec la civilisation artificielle de son époque,
- à St Dominique persuadant les ecclésiastiques envoyés convertir les cathares de commencer par abandonner luxe, chevaux et carrosses pour rejoindre leurs interlocuteurs dans la pauvreté évangélique…
Toutes choses que nous rappelle sans cesse notre pape François ! Souvent, lui aussi, en rupture avec les modes mondaines, voire ecclésiastiques...

Mais de toutes les critiques, les ruptures dont nous parle la liturgie de ces jours-ci, la plus frappante est celle dont le Christ nous donne l’exemple dans l’évangile. On l’invite à admirer le temple d’Hérode dans sa magnificence presque achevée. Et Jésus, lui, de réagir de la manière la plus inattendue - réaction pourtant dans la ligne des prophètes - condamnant le ritualisme rassurant : "Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit !".
Bref, la liturgie de ces jours-ci nous apprend à chercher les valeurs stables, à investir dans ce qui ne passe pas, à bâtir sur le roc et non sur le sable.

C'est ce disait déjà St Etienne et que rappelait la fondatrice du mouvement Sève : "la maison de Dieu ne se bâtit pas de main d'homme" (Act. 7.48). Elle se construit de l'Amour de Dieu pour toute l'humanité, manifesté par le Christ mort jusque sur une croix. A sa suite, il faut admettre que le grain puisse mourir pour porter des fruits. Il faut que la sève pascale du Christ monte en nous, de sorte qu'"en ajoutant à ce qui fut", elle nous fasse atteindre la Vie qui n'a plus de limites !

Pour ce faire, il y a deux réalités que le chrétien doit distinguer : la fin du monde et la fin d'un monde, même si ces deux fins sont liées ensemble.
La fin des temps, du monde ! On le sait : la terre n'est pas éternelle. Les sciences enseignent l'âge approximatif de notre planète, annoncent sa fin au moment prévisible de l'épuisement de l'énergie solaire. Cependant, quand la Bible parle de cet événement, c'est surtout pour affirmer la venue définitive et glorieuse de Dieu ! Alors pourquoi désespérer et avoir peur ?

Mais, sans aller aussi loin, régulièrement nous assistons à la fin d'un temps d’un monde tel que nous le connaissions ou que d'autres ont connu. Pensons à l'extinction de tant de civilisations…, à la disparition radicale de certaines façons de vivre de nos grands-parents, arrières grands-parents... ! Mais, avec toujours l'émergence, chaque fois, de “mondes” nouveaux...! Toujours la fin d'un monde pour un nouveau monde. C'est aussi de cela dont parle la Bible !

Et les hommes, auxquels Dieu a laissé toute liberté de continuer sa création, ont ainsi le pouvoir de transformer le monde, en allant d'un monde à un autre, meilleur si possible ! Parfois, malheureusement, ils s'y prennent comme des apprentis sorciers, en gâchant, en dégradant cette terre qui leur est confiée. Le pape François l'a sérieusement rappelé dans sa magnifique encyclique "Laudato Si..." !
Aujourd'hui, devant les mutations climatiques, nous commençons à prendre au sérieux la déchirure de la couche d'ozone, les désastres provoqués par diverses pollutions, les effets nocifs de nos interventions sur la vie végétale, animale…, et, bien davantage, sur la vie de l'homme lui-même, de sa conception à sa mort. Ces constatations sont assez graves pour interpeller tout homme soucieux de l'avenir de l'humanité. Certes, il y aura la "fin du monde" ; mais il y a aujourd'hui la "fin d'un monde" dont nous sommes en grande partie responsables ! Le pape y insiste fortement !

Mais nous le constatons malheureusement : devant l'éternel projet du Créateur qui, dans la succession inévitable d'un monde à un autre monde, veut conduire l'humanité à la fin du monde pour nous accueillir en son monde divin, l'homme forme un "contre-projet". Il veut se construire lui-même sans le concours de Dieu. Il est victime d'un "aveuglement", dira Isaïe, le fameux "divertissement" dont parle Pascal. Les hommes "deviennent, dit-il encore, comme le peuple de Sodome et Gomorrhe ! ".
Quand, dans la Bible, on évoque cette région (point le plus bas de la terre, - 400 m), on parle de "mahapekah Sedom". "Mahapekah" veut dire, "retournement", "contraire". En cette région, on dirait que la terre s'est comme retournée, révulsée... L'homme devenant pécheur, l'univers orchestre cette aberration et se retourne, se révulse… en quelque sorte : "mahapekah Sedom". Cette révolte de la terre, le pape en parle dans son encyclique.

Mais chez Osée - Isaïe, Ezéchiel également - quand l'homme pèche, qu'il est dans le chaos, ce n'est plus tellement la terre qui se retourne, se révulse, mais c'est le "cœur" même de Dieu"Mon cœur en moi est bouleversé ("retourné" : même racine que pour Sodome)". Mais, dit Dieu, "je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère..., car je suis Dieu et non pas homme ; au milieu de toi je suis le Saint... !". (Osée 11.7sv). Et toujours, il nous dit : "Faites-vous un cœur nouveau !" (Ez. 18.31). Et c'est lui-même qui fera, si je puis dire, l'opération chirurgicale : "J'ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair" (Ez. 36.25-26).

Avec cette fidélité permanente de Dieu à l'égard de l'humanité tout au long de la succession des mondes de l'Histoire, après la fin d'un monde souvent causé par l'homme, émerge, un "nouveau monde" que Dieu laisse encore et toujours à notre liberté.

Cependant "la fin d'un monde" - quelle qu'en soit sa cause - n'est pas indépendante de la "fin du monde" ! Car notre vocation n'est-elle pas d'améliorer, d'humaniser ce monde afin de le préparer à sa métamorphose finale ? Les gémissements, les tâtonnements plus ou moins ratés ou réussis qui se manifestent à travers nos "mondes" successifs sont des signes révélateurs. Ils sont, dit St Paul, les "douleurs d'enfantement d'un "monde nouveau" en train de naître", le monde de Dieu (Rm 8,19). Douleurs en vue d'une "indicible naissance", disaient les Anciens.
Aussi, même à travers tous les soubresauts de l'Histoire, de notre histoire, nous sommes surtout conviés à la foi et à l’espérance... Comme pour Abraham, notre Père dans la foi ! A travers les épreuves, il lui est dit : “Va ! Vers le pays que je te montrerai” - “Va pour toi !", pour ton bonheur ! A travers heurs et malheurs, il s'agit d’un profit, d’un bonheur pour l’homme ! 

Et cette espérance en un bonheur inépuisable, Dieu, "au cœur bouleversé, retourné, révulsé" par le péché des hommes, la donne en son Fils, Jésus, Dieu fait homme. Mort sur une croix, mais ressuscité, il est là, avec nous, toujours “en travail” d’humanité, de cette humanité voulue par Dieu dès le matin de la création ! "Mon Père est à l'œuvre et moi aussi je suis à l'œuvre" (Jn 5.17). Il est là ! Il reviendra, a-t-il dit, en sa gloire ! Il viendra tout illuminer de la beauté créatrice et toujours rédemptrice de Dieu. Sa victoire sera nôtre !
Avec le Christ ressuscité, c'est donc dans notre aujourd'hui - parfois mouvementé - que déjà se réalise lentement, laborieusement, difficilement parfois, ce monde divin auquel nous sommes conviés. C’est dire l'importance de nos tâches humaines, qu'elles soient familiales, sociales, politiques ou culturelles. Par elles, se prépare déjà, par le dynamisme de résurrection que le Christ nous donne, par l'action de l'Esprit qu'il envoie..., se prépare ce "monde nouveau" qui n'est pas un autre monde, mais notre monde “devenu autre”, ce monde divin auquel il nous invite à participer à son éclosion.

Dans la succession d'un monde à un autre, nous devons "servir" pour qu'advienne ce monde divin en lequel toute "union" sera accomplie, puisque le Christ - Dieu fait homme -, le Christ - ressuscité -, qui nous invite à s'incorporer à lui, se fera "tout en tous" (Col 3.11), pour que "Dieu soit tout en tous" (I Co. 15.28) ! C'est ce que nous allons célébrer dans le sacrement de l'Eucharistie, anticipation de l'union parfait avec Dieu et avec tous nos frères.

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