2e
Dimanche de Pâques 2015.B
Il n'est même pas besoin d’avoir ouvert l'Évangile
pour avoir entendu parler de Thomas, tellement il est passé dans le langage
courant : “Moi je suis comme Thomas ! Je
ne crois qu'à ce que je vois”.
Chaque année, dans les églises, on lit le récit de
l'apparition du Christ à l'apôtre Thomas. Et c'est très bien ainsi, c'est même
nécessaire. Pourquoi ?
Parce que, tout d'abord, beaucoup de croyants se
reconnaissent dans les hésitations de Thomas ; et surtout il est bon, important
de parfois réfléchir sur le doute ou plutôt sur ceux et celles qui se posent
mille et mille questions. Peut-être en sommes-nous ? Mais, comme disait le
Cal Newman : "Mille questions ne font pas
obligatoirement un doute !". Il faut le savoir !
Avec moi, vous pouvez certainement évoquer des
visages, le visage de ceux et celles que vous connaissez, estimez, de ceux qui,
très sincèrement, posent des questions et hésitent dans l'affirmation de la
foi. Ceux-là ne rejettent pas - loin s'en faut - ni Dieu, ni le Christ... Mais,
ils disent ne pas savoir. Et ce serait bien mal les connaître si l'on disait
d'eux que le fait religieux ne les intéresse pas, qu'ils n'en ont rien à faire.
Non, ils ont mis et ils mettent toute leur honnêteté dans la réflexion
religieuse, toute leur intelligence et parfois leur immense culture ; mais ils ne
voient décidément pas les motifs de croire. Ils pourraient prendre à leur
compte cette phrase du savant Jean Rostand : “Moi, je mets autant de ferveur dans 'je doute' que dans 'je crois'”.
Évoquer ces gens-là même dans une église où la
prière nous unit, par le Christ, à tous les hommes, est très important.
D’abord pour que les croyants que nous sommes, nous
sachions respecter infiniment ceux qui hésitent, voire qui doutent.
Respecter ceux qui hésitent ou qui doutent, c'est estimer leur recherche, ce
qui pourrait donner, d'ailleurs, des leçons à bien des croyants qui n'ont guère
réfléchi au contenu de leur foi.
Les respecter et aussi les écouter, les rejoindre dans leurs
questionnements diverss, accueillir la justesse de beaucoup de leurs
observations sur l'Église, sur la vie des chrétiens, sur telle parole ou telle
interprétation qu'il faudrait ajuster.
Les respecter, les écouter, c'est probablement
aussi changer le ton de bien des croyants quand ils affirment leur foi
comme un étalage complaisant de certitudes. J’ai lu dernièrement cette
réplique : “Si Dieu existe, il me
semble qu'il est plus honoré et respecté par le silence ou au moins la modestie
des affirmations des croyants que par les discours-fleuve de ceux qui croient
savoir tout de lui et sur lui”. Ce qui rejoint également la réflexion d’un
évêque, il y a quelques années (Mgr Joseph Doré)
: “Il y a beaucoup de gens oui ont l'air
de savoir tout sur Dieu, du moins si l'on en juge par l'aisance avec laquelle
les uns le nient et les autres l'affirment. On peut être sûr qu'à procéder
ainsi, on passe complètement à côté de la question. Pourquoi ? Parce que Dieu
est un mystère, un très grand mystère”… Un mystère que l’on aura jamais
fini d’appréhender, de connaître, d’aimer. Même dans l’Eternité, ce sera
notre activité
si joyeuse qu’elle nous unira profondément.
Après avoir parlé de ceux qui émettent des
objections sincères comme Thomas, il est bon aussi de parler des croyants
sincères.
Ils ressemblent beaucoup, eux aussi, à ce même
apôtre, parce que, eux aussi, ne croient pas du premier coup ! Thomas est un
bel exemple du croyant sincère. En effet, la foi n'est jamais aussi
sincère, aussi solide que lorsqu'elle a surmonté certaines questions, voire des
doutes. Il n'y a pas de foi chrétienne qui ne passe par l'hésitation et le
questionnement. Une foi sans questions, sans interrogations risque en effet de
sombrer dans ce qu'on appelle le “fidéisme”, c'est-à-dire : je n'y
comprends rien mais j'y crois quand même ou j'aime mieux ne pas trop réfléchir.
Les questions ne sont pas incompatibles avec la
foi ; avoir la foi, c'est avoir assez de lumière pour porter ses questions
et même ses doutes. Ma foi de chrétien, ma foi de prêtre cohabite assez bien
avec toutes sortes de questions qui s'entêtent à rester là !
D’ailleurs, si je crois, ce n'est pas parce que
j'ignore les objections ou que je veux les oublier. Mais avant tout, je crois
parce que j'ai choisi. J’ai décidé de faire confiance à une
personne, le Christ. Et cette confiance est plus forte que mes questions, que
mes doutes et que mes affirmations elles-mêmes. J'ai choisi - et non pas une
fois pour toutes - je choisis tous les jours de croire ce que le Christ a dit
de Dieu son Père, de croire ce qu'il a dit de lui-même, de croire ce qu'il a
dit de l'homme, de croire au chemin qu'il a indiqué, pas seulement par ses
paroles mais par toute sa vie.
Et ceux qui se rassemblent chaque dimanche - et
c’est un grand témoignage - rejoignent (malgré
leurs propres questions) la foule de ceux qui cherchent et qui, en
cherchant, se confient au Christ. C'est cela encore la foi ! Et ce n'est
pas toujours facile au milieu d'amis qui disent ne pas croire ou qui croient
autrement. Mais il y a cette forte décision de marcher à la suite du Christ.
Et l'itinéraire de tous ces divers croyants ressemble
à l'itinéraire de Thomas. En final, nous croyons pour les mêmes raisons que
Thomas. En effet, c'est après avoir mis les mains dans les plaies de Jésus
qu'il se prosterne et dit : “Mon Seigneur
et mon Dieu”. Il y a dans ce geste de Thomas quelque chose d'une portée
inouïe pour faire le passage - la pâque - de nos questions, voire
du doute à la foi.
Sincèrement, sachant ce que nous savons de la misère,
de la souffrance, du mal et du malheur, jamais nous ne croirions en Dieu s'il
n'était Celui qui a gardé les traces de ses plaies de crucifié.
C'est parce que Dieu, par les mains de Jésus, n'a
pas touché seulement le charme de la vie, la joie des noces ou des belles
amitiés…, c'est parce que ses mains ont été clouées sur une croix, c'est parce
qu'il est descendu au fond de notre misère inépuisable…, c'est pour cela que
nous croyons en lui.
C'est pour cela que nous disons nous-mêmes, ce
matin, à la suite de l'apôtre Thomas : “Mon
Seigneur et mon Dieu”. Si nous avons confiance en lui, c'est parce qu'il
porte irrémédiablement les cicatrices des plaies de la souffrance humaine qui
ne l'a pas épargné. Il s'est fait véritablement notre compagnon de vie, afin
que ressuscité, toujours vivant parmi nous, il nous conduise pleinement à la
Vie, à sa Vie glorieuse en Dieu
Au terme de cette petite réflexion délicate sur la
foi, j'ai envie d'emprunter mon dernier mot à une petite fille de huit ans. La
vérité sort de la bouche des enfants, dit-on. Il en est souvent aussi de la
foi ! Un adulte lui dit un jour : “Je
te donne dix euros si tu me dis où Dieu habite”. Et elle de répondre : “Moi je t'en donne vingt si tu me dis où il
n'habite pas”. Peut-être que cet enfant rejoignait un autre enfant de la région qui expliquait, m'a-t-on dit, le sens du mot "miséricorde"," misère-i-corde" :lancer une "corde" à la "misère", à tout miséreux ! N'est-ce pas ce que Dieu fait toujours en son Fils au cœur transpercé, par l'action de leur Esprit commun, Esprit d'amour ?,
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