vendredi 10 avril 2015

Du banal au sublime !

Vendredi après Pâques 2015 -

L’Octave de Pâques - disons, comme le fait la liturgie pour toute notre semaine, l’Aujourd’hui de Pâques -, se termine !
On dirait que l’Evangile que nous venons d’entendre a été choisi, justement, pour nous préparer, après de grandioses festivités, à reprendre la vie ordinaire, mais sans pour autant quitter la présence permanente et réelle du Christ ressuscité. - "Je m’en vais à la pêche", dit St Pierre. Après le sublime mystère pascal, il va reprendre la banalité de son métier !

On peut s’étonner de trouver, parmi les compagnons qui s’embarquent avec lui, Nathanaël. Si l'on apprend, ici, qu’il est de Cana en Galilée, situé géographiquement pas très loin du lac de Tibériade, on sait qu'il n'était pas un pêcheur comme les fils de Zébédée, les associés de Pierre.
On s'en souvient : Nathanël apparaît lors des premières rencontres avec Jésus. Certains pensent que St Jean voit en lui le type du théologien. Il est amené à Jésus par son ami Philippe de Bethsaïde qui lui parle de Jésus de Nazareth comme du Messie annoncé. Mais son savoir orgueilleux des Ecritures refuse cette éventualité. Aussi Jésus l'interpelle : "Quand tu étais sous le figuier, je t'ai vu...".  On sait que le figuier, à cause de ses feuilles très rafraîchissantes, était, surtout en été, le lieu privilégié des docteurs de la Loi pour s'entretenir tranquillement de questions religieuses. Ainsi Nathanaël était sans doute l'un deux, un bon "théologien" en quelque sorte !
Et Jésus, passant outre sur sa suffisance, lui donne une mission : "Vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'homme". (Jn 1,45). Autrement dit, Nathanaël est appelé, comme son ancêtre Jacob auquel Jésus fait allusion, a voir l'échelle de Dieu partout plantée : pas seulement à Béthel ou même à Jérusalem, mais dans le pointillé de l'existence pour découvrir une divine signification aux choses et aux événements même les plus banals !

On sait que St Jean aime cette recherche : une noce, à Cana d'où était originaire Nathanaël, c'est banal ; c'est la vie tout simplement ! Oui, mais des noces, quand on regarde l'échelle de Jacob, deviennent signes des "noces de l'Alllance" avec Dieu. Noces qui seront consommées au jour où il ne sera plus question de verser du vin, mais de répandre le "sang de la grappe", de la vigne qu'est le Christ lui-même... en vue de la nouvelle et éternelle Alliance avec Dieu !

Voici le "banal" élevé au "sublime" ! Voir dans l'humain le divin ! Voir toujours, en toute circonstance, la présence du Ressuscité - Dieu fait homme - ! On part d'évènements très banals - une noce, une pèche - Mais, avec l'échelle de Jacob, une fois qu'elle est bien plantée en terre, tout événement nous élève très haut ; et l'on voit mieux les anges monter et descendre entre ciel et terre... !

C'est peut-être la raison de la présence de ce théologien, Nathanaël, dans la barque du simple pêcheur, Pierre. Il nous rappelle que le "banal" est également "sublime". D'ailleurs, on devrait se méfier de tout "sublime" qui n'est pas "banal". Les deux sont inextricablement mêlés depuis que Dieu s'est fait homme. Dieu s'infiltre dans notre vie de façon extrêmement "banale" et "sublime" tout à la fois !
On recherche souvent le "merveilleux" ! Et pourtant, les récits de la résurrection du Christ - évènement le plus extraordinaire qui soit - sont, intentionnellement, d'une étrange sobriété. Si on avait voulu les inventer, on aurait certainement fait de la "mythologie" ! Dans la plupart des récits, la rencontre avec le Ressuscité se fait de façon absolument banale. Comme sur la route d'Emmaüs, comme en cet événement de la pêche miraculeuse.
C'est pourquoi, il nous est bon de prier Nathanaël qui est dans la barque de Pierre : il nous aidera à voir, comme son ancêtre Jacob, à voir l'échelle de Dieu toujours bien plantée en terre, en tout événement, en toute circonstance, afin de mieux nous faire vivre de la présence divine en tout moment humain, de nous faire monter vers Dieu... avec le Ressuscité !

Ainsi, il nous faut toujours passer de la grande festivité pascale à la vie tout ordinaire où la présence du Christ, réelle et permanente, n’est pas toujours immédiatement perceptible. Car il est bon de constater encore la présence de Thomas dans la barque de Pierre ! Ce Thomas, le "questionneur" ! Il fait, lui aussi, partie de la bande qui s’embarque, comme pour nous accompagner dans nos interrogations sur la présence réelle et permanente du Christ ressuscité, et nous faire percevoir, finalement, la vérité de l'affirmation de Notre Seigneur : "Et voici que je suis avec vous, pour toujours jusqu’à la fin du monde". (Mt 28,20). En toute circonstance !
Mais, comme sur la route d’Emmaüs, comme dans le jardin où Marie Madeleine croit rencontrer un jardinier, la présence de Jésus est si discrète qu’on risque de l’oublier.
Remarquons encore ici, qu'après une nuit de pêche infructueuse, le premier à reconnaître Jésus est le disciple bien aimé. "Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre ; c’est le Seigneur !". (Jn 21,7). C’est toujours lui qui va le plus vite, mais qui s'efface devant Pierre. Il est bon de le souligner !

Pourtant il semble que les pêcheurs, quand ils débarquent, n'ont pas encore reconnu vraiment l'identité mystérieuse de celui qui se tient sur le rivage. On remarque simplement qu’il a préparé un déjeuner : "en débarquant sur le rivage, ils voient un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain". Situation curieuse apparemment ! Mais les disciples, avant même de manifester un étonnement, s'activent "banalement" à ramener le filet d'une pêche pourtant "sublime" !

Et St Jean de remarquer qu'il y avait 153 gros poissons dans le filet qu’on amène et qui ne se déchire pas.
Il y a mille et mille interprétations de ce chiffre 153, ne serait-ce que par St Augustin qui se montre parfois quelque peu pythagoricien... Je retiens pour ma part cette explication : Des connaisseurs disent, à la suite de St Jérôme, que d’après les naturalistes de l’Antiquité, il y avait 153 espèces de poissons connus.
Là encore, St Jean veut nous faire passer du "banal" au "sublime" ! Rappelons-nous que les pêcheurs du lac vont recevoir la mission de devenir pêcheurs d’hommes dans le monde entier. Jésus leur dira : "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde". (Mt 28,18)

Remarquons enfin que, comme sur la route d’Emmaüs, on ne reconnaît vraiment Jésus qu’à la fraction du pain. Geste très "banal", là encore, mais si "sublime" puisqu'il nous donne toujours la présence du Ressuscité !

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