mardi 6 janvier 2015

Marcher vers Dieu, "Celui qui est !"

Epiphanie - 6 Janvier 2015

Fête de l’Epiphanie ! Fête des rois ! Mais pourquoi des rois à la crèche ?

Disons d’abord : ceux qui voient dans le récit de l’Evangile une description historique se trompent ! Ce n'est pas un reportage, mais un enseignement. Pas un conte pour enfants, mais une catéchèse pour adultes.
Disons aussi que c’est Matthieu qui écrit. Et Matthieu est un “bon scribe”. Et, dira-t-il : "tout scribe devenu disciple de Jésus est semblable à un homme qui tire de son trésor du neuf et du vieux" (Mth 13.52), expression tirée de ce poème d’amour, le Cantique des cantiques : “Les mandragores (appelés aussi ‘pommes d’amour’) présentent leurs meilleurs fruits. Les nouveaux comme les anciens, je les ai réservés pour mon bien-aimé” (7.14). Autrement dit, ce bon scribe qu’est St Matthieu veut présenter, à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament, les fruits nouveaux de l’Evangile ; mais ils ne se goûtent bien, ces fruits nouveux, qu’avec ces fruits anciens qui, dans le passé, manifestaient déjà les merveilles de Dieu pour les hommes.

Or, Matthieu a réfléchi sur l’opposition des Juifs au temps de Jésus. Et des Juifs, à son époque - l'une des grandes souffrances de St Paul - ! En écrivant, c'est à eux qu'il pense. Bien plus, leurs arguments traversent les rangs des premiers chrétiens : on hésite à accueillir les païens qui se convertissent en grand nombre. Ils ne pratiquent pas la Loi de Moïse ! Peuvent-ils devenir chrétiens ? C'est pour répondre à cette question que Matthieu a écrit ce récit de la visite des mages, composé comme une polémique pour mieux se faire comprendre.

En effet, qui vient auprès de l'Enfant Jésus ? On se serait attendu à voir prêtres, lévites et rois… Non, dit Matthieu ; ce sont des païens qui viennent de très loin et qui se risquent à chercher Dieu. Les savants, religieux et autorités restent à Jérusalem. Pourtant il ne suffit pas de “savoir” pour trouver Dieu - comme les savants de Jérusalem qui "savent" où doit naître le Messie ! -, il faut surtout marcher comme les Mages, ne jamais s’installer !
Le message est clair : Ce sont les païens qui ont le mieux compris la nouveauté de l’Evangile annoncée dans les temps anciens.
Le message est éclatant : Dieu veut toujours “se manifester” (sens du mot "épiphanie") à tous les hommes sans exception. Aucun obstacle ne peut venir de la race, de la culture. Dieu se propose à tous pourvu que l’on ne s’installe pas et que l’on marche à sa recherche.

Disant cela, Matthieu semble dire : ne voyez-vous pas les anciens fruits d’amour de l’éternelle pédagogie de Dieu à l’égard des hommes ?
Rappelez-vous ! Lorsque notre peuple s’est installé en la Terre promise, le Roi de Moab, mécontent, alla chercher un étranger, Balaam, pour qu’il vienne nous maudire. Ce Balaam venait du pays d'où était sorti Abraham. Et le roi de Moab voulait le payer largement pour qu'il prononce des malédictions comme pour neutraliser les bénédictions faites à Abraham.

Alors, Balaam est plusieurs fois partagé entre le bénéfice qu'il peut tirer en maudissant et l’invitation que Dieu lui lance pour bénir son peuple.
Et il y a le fameux épisode de l’âne de Balaam (c'est déjà l’âne de la crèche) qui se couche sur le chemin lorsque son maître part pour aller maudire. Car lui seul voit l’ange de Dieu lui barrer la route, une épée de feu à la main.
Ce récit est amusant mais très instructif aussi : à vue humaine, les voies de Dieu sont si complexes qu’il faut avoir une grande dévotion pour l’âne de Balaam, pour tous les ânes qui nous empêchent d’avancer sur certaines de nos routes humaines… ! Car l'âne de Balaam, ce sont toutes les voies de notre vie qui se bouchent - comme providentiellement malgré nos incompréhensions ou révoltes, parfois - pour mieux trouver celle qui mène à Dieu. Quand on prend un peu d’âge, on a davantage de dévotion pour l'âne de Balaam, cet âne rétif qui nous mène là où l'on n'aurait jamais cru devoir aller !
D’ailleurs, il y a beaucoup d’ânes dans la Bible - de celui de Moïse jusqu’à celui de Joseph à son retour d’exil avec Marie et l’enfant Jésus -. Ils sont tous intelligents, ces ânes-là ! L’âne de la crèche ! Il faut savoir comprendre les ânes qui nous empêchent de nous installer pour mieux nous lancer à marcher vers Dieu !

Alors, comprenant le langage de son âne, Balaam, au lieu de maudire, bénit : "Oracle de celui qui écoute Dieu. Il voit (enfin) ce que Dieu fait voir : Je l'aperçois : De Jacob monte une étoile - c'est déjà l'étoile de la crèche ! -, d’Israël surgit un roi !".
Balaam était-il roi pour annoncer un roi ? En tous les cas, ses successeurs, les Mages, doivent l’être, eux qui cherchent le Roi des rois ; et naturellement, ils sont précédés d’une étoile, sans oublier la présence de l’âne qui doit se réjouir d’avoir résisté à son maître d’autrefois. Matthieu est ce “bon scribe” qui, pour parler aux Juifs récalcitrants, sait tirer “de son trésor du neuf et de l’ancien”.

Ainsi - c’est l’objet de la polémique de Matthieu - les scribes qui connaissent bien la Bible ne se dérangent pas, tandis que des païens dirigés par une étoile - ces païens que l'on qualifiait facilement d'"adorateurs d'étoiles" ! - viennent se prosterner devant le Roi des rois. C'est un drame pour Matthieu comme pour Paul - tous deux juifs -. Comment peut-il se faire que ce peuple préparé par la Providence divine à recevoir le Messie, ne se dérange même pas ?
Grande question qui peut être la nôtre ! Ainsi, la crèche qui semble pour les enfants avec ses rois-mages qui paraissent sortir d’un conte de mille et une nuits est riche d’enseignements divers : Dieu est “celui qui est”. Il n’a pas besoin de paraître (notre tentation !). Et pour être sur la trajectoire de Celui qui est parmi les hommes, il faut vivre au plan de l’être et non du paraître, même si l’on est savant.

Méditons ainsi devant la crèche avec les mages 

Il y a la vierge Marie. Elle est là simplement ! Elle est là depuis les origines, à la naissance, au Temple, à Cana, au pied de la Croix. Elle est là tout le temps ! Elle est là à la Pentecôte, naissance de l’Eglise. Elle est toujours là devant “Celui qui est”. En méditant les mystères du rosaire, on emprunte alors le cœur, l'intelligence, l'intuition de la Vierge Marie pour mieux connaître le Verbe Incarné en qui habite la plénitude de la Divinité.

Il y a St Joseph. On ne sait rien de lui ; c’est le “grand silencieux” ! Mais il est là, lui aussi, devant “Celui qui est”. Et avec St Joseph, Jésus n'a-t-il pas voulu avoir comme une image de son Père Céleste, Celui qui est et qui n'a pas besoin de paraître. Il “est” là simplement.

Il y a les bergers. Ils sont, moins que les autres, victimes de cette maladie si contemporaine : le divertissement, le besoin permanent de “paraître” qui entraîne souvent l'aveuglement. Ils sont là !

Il y a l'âne et le bœuf. J’ai évoqué l’âne de Balaam. Mais d’où sortent-ils donc, ces deux, l'âne et le bœuf ? On n'en parle pas dans l'Evangile. Ils sortent du Prophète Isaïe qui prédit pour la plénitude des temps : “Le bœuf connaîtra son possesseur, et l'âne la crèche de son maître”. Finalement, il vaut mieux être un âne ou un bœuf qu’un scribe qui joue l’apparence de la science et méconnaît “Celui qui est” !

Etre là ! Etre là sur la trajectoire de Dieu qui passe, de “Celui qui est” : “alors qu'ils étaient là !” (Luc2:6.) Etre là ! Oui, on peut accumuler connaissances sur connaissances, et ne pas être là sur la trajectoire de Dieu, qui vient nous chercher, nous prendre tels que nous sommes, là où nous en sommes, pour nous conduire vers lui.

Mais sachons-le encore : quand on est sur la trajectoire de Dieu qui passe, il faut aussi être prêt â tout. Matthieu le dit à sa façon : après avoir rencontré Jésus, “les mages repartirent par un autre chemin”. Tous ceux qui rencontrent “Celui qui est” sont voués à un autre chemin, arrachés qu’ils sont à leur apparence. Le chemin ouvert par Jésus est toujours nouveau, car il nous veut à l’image et ressemblance de “Celui qui est” !

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