T.O.
28e Dimanche -
Autrefois - il y a sans doute longtemps -
dans beaucoup de campagnes françaises, on voyait les jeunes revêtir, chaque
dimanche, l'habit qu'ils portaient le jour de leur mariage. Il était
soigneusement entretenu ; et, de fête en fête, la vie entière prolongeait le
grand jour, jusqu'au dernier matin où l'on partait, dans le vêtement nuptial,
vers les noces éternelles.
Tout au long des années, l'épouse
l'entretenait jalousement : un point par ici, une reprise par là… Toute une vie
de vigilance pour que le costume demeure propre et beau. Il était l'unique
vêtement de fête en un temps qui ne connaissait guère l'abondance... Mais
il était aussi le signe d'une fidélité vivante, le symbole des noces
perpétuelles.
Lorsque Jésus raconte la parabole des
invités qui ne veulent pas aller à la noce, on est heureux de voir la salle du
banquet se remplir avec tous ceux, "mauvais ou bons", qui
déambulaient dans les rues.
Mais la fin du récit peut nous heurter :
voilà qu'on jette dehors brutalement un pauvre hère qui n'avait pas le
vêtement de noce ! Comment aurait-il pu avoir son habit de fête ? On l'avait poussé de la rue dans la salle du
festin... Et de toute manière, aurait-il
eu le moyen de se payer chez le marchand un complet de l'époque ?
Cet incident est invraisemblable, bien sûr
! Mais dans "l'histoire" de la parabole - et la signification d'une
parabole l'emporte toujours sur le récit lui-même -, cet incident doit bien
vouloir dire quelque chose.
Bien sûr, les savants qui étudient les
évangiles diront que cet épisode - que ne rapporte pas le texte parallèle de
l'évangile de Luc - était une autre parabole, bien distincte. Et Matthieu,
brutalement, sans artifice ni liaison littéraire, l'aurait comme soudée à la
précédente. Sans doute ! Mais alors, pourquoi ?
Il faut peut-être se rappeler que lorsque
Matthieu écrit son évangile, il est bien vrai que des hommes de tous
horizons sont à la table du festin : les chefs des Juifs ont refusé
l'invitation du Roi, ils ont même tué son Fils Jésus...; et, depuis, dans les communautés chrétiennes
où l'on célèbre le repas du Seigneur, on voit se côtoyer Grecs, Romains, Juifs,
sans distinction de nationalité, de religion, de condition sociale.
Toute la rue, toute l'humanité a été
invitée par Jésus. Il a offert à tous une saveur de vivre, inconnue, dans la
vigilance de l'amour, sous le regard aimant de Dieu-Père.
Mais cela veut-il dire, pour autant, que
l'on puisse vivre n'importe comment, et que la foi nouvelle puisse couvrir
n'importe quelle conduite ? D'autres écrits de ce temps-là - en particulier la
lettre de Saint Jacques - réagissent contre cette pente si facile, contre cette
manière de penser et de vivre !
Et si l'évangéliste Matthieu a voulu, lui
aussi, rappeler l'ambition de Jésus sur tous les hommes et son invitation
universelle, il a voulu rappeler également l'exigence d'être des "hommes
nouveaux" comme aimera à le dire St Paul.
Dieu nous invite tous ; il invite tous
les hommes ! Certes ! Mais nous avons tous à changer de vie. Tous ! Comme
les paysans d'autrefois, il nous faut, toute la vie, entretenir le costume de
nos noces de baptême. St Paul ne manque pas d'audace lorsqu'il écrit aux
Chrétiens de Rome et de tous les temps : "Revêtez
le Seigneur Jésus-Christ".
Or, l'homme qui n'a pas revêtu l'habit
nuptial est peut-être légion, aujourd'hui encore. Certes, il fait bien partie
des invités, mais il n'a pas jugé utile de revêtir l'habit de fête, ce qui veut
dire que ses sentiments profonds ne s'accordent pas à la circonstance.
Combien de membres apparents de l'Eglise,
et même de "pratiquants" du dimanche, voire de chaque jour - vous
parfois et moi-même également - oublient simplement de "revêtir le
Christ", comme dit St Paul, de se laisser pénétrer de son Esprit
jusqu'à vivre, dans les gestes quotidiens, l'évangile de l'amour. Notre
présence physique en une l'église, en une chapelle correspond-t-elle vraiment,
toujours, à une présence dans l'Eglise, Corps de Jésus-Christ ? - Comme une branche desséchée qui gêne et
dénature la vigne, un membre mort déforme le visage du Christ, et, quand ils
sont nombreux, ils encombrent l'assemblée de l'Eglise jusqu'à provoquer
l'allergie de ceux qui n'en sont point et qui, pourtant, cherchent une raison
de vivre et un salut au-delà de tant d'espoirs déçus.
Sans doute, ce personnage insolite de la
parabole, cet homme dépourvu de robe nuptiale devrait-il nous inquiéter plus
que les autres, à cause de l'image que trop souvent nous en reproduisons ! - "France, qu'as-tu fait de ton
baptême ?",
demandait naguère Jean-Paul II.
Chaque dimanche - voire chaque jour -, ici
ou ailleurs, nous revêtons à nouveau notre habit de noce baptismale. Nous
venons le rafraîchir en quelque sorte, le brosser. Puissions-nous repartir tout
imprégnés de notre jeunesse spirituelle et manifester, la semaine durant, notre
fidélité spirituelle au Christ, l'époux de la noce.
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