dimanche 26 octobre 2014

Aimer Dieu et le prochain

T.O. 30e Dimanche -                              

Permettez-moi d'abord de vous transmettre une histoire !
Un vieux prêtre demandait malicieusement :
"Comment peut-on affirmer que la nuit est finie et que le jour commence ?"
- “Serait-ce, répond un de ses auditeurs avec un sourire, quand on peut voir un animal au loin et distinguer si c'est un mouton ou un chien ?”
 - “Non !”, répondit le prêtre.
Plusieurs réponses fusent, toutes insatisfaisantes.
- “Alors, quand est-ce ?”, demande-t-on.
- “C'est quand vous verrez le visage de n'importe qui et discerner que c'est votre frère ou votre sœur. Car si vous ne pouvez voir cela, c'est encore la nuit”.

De même, l'évangile d'aujourd'hui veut déchirer le voile des ténèbres de toutes les nuits qui enferment l'homme dans l'orgueil et la suffisance du non-Amour ou de l’amour égocentrique !
"Dieu est Amour !", dit St Jean.
Et Jésus, Dieu fait homme, d’affirmer : “Je suis la lumière du monde !”.
Dès lors, l’amour seul, cet amour qui vient de Dieu-Père, manifesté en son Fils Jésus-Christ, transmis à nous par leur Esprit commun, l'Esprit d'Amour, est la seule lumière de vie.
S'il est une lumière qui éclaire le cœur de l'homme depuis la création du monde, c'est bien l'Amour... Car le cœur de l'homme, créé à l’image de Dieu-Amour, pourquoi est-il fait... sinon pour aimer et être aimé ?
Et cet amour, quand il vient de Dieu en nous-mêmes, dissipe toutes les nuits même celle du tombeau depuis le soleil du matin de Pâques.

C'est tellement vrai qu'il n'y a pas de mot plus utilisé dans la langue française (et aussi dans d'autres langues) que le verbe “aimer”. Le plus utilisé et le plus difficile à utiliser ! Car cette réalité de l'Amour peut recouvrir et sa caricature et sa grandeur. Et on balbutie toujours quand on parle de l'Amour, de cet amour pascal mis au cœur de tout baptisé pour qu’il le manifeste avec évidence. Telle est bien pourtant la vocation de tout disciple du Christ !

C’est pourquoi, aujourd'hui, Jésus veut nous ramener à l'essentiel. Il dit que l'Amour est le grand et le seul commandement.
Nous n'aimons pas trop aujourd’hui assimiler l'amour à un commandement... ; pourtant naguère - je m'en souviens - n’a-t-on pas chanté comme une évidence : “Je ferai un domaine où l'amour sera loi, où l'amour sera roi”. Au-delà de la rime, cette phrase veut nous rappeler qu'aimer c'est aussi décider d'aimer et non une simple impulsion. Aimer, c’est un acte de volonté pour en faire une règle de vie, une loi de vie, une lumière de vie qui éclaire nos ténèbres. Ne serait-ce pas là l’objet principal de la liberté de l’homme : choisir d'aimer ? Et correspondre ainsi à sa vocation originelle d'être créé à l'image et à la ressemblance de Dieu-Amour ? Etre libre et capable d'aimer !

Mais le Christ va plus loin : il révèle que l'Amour de Dieu et l'amour du prochain sont indissociables, un peu comme le recto et le verso d'une même réalité : différente mais inséparable !
C'est comme un secret que Dieu nous confie pour éviter de vivre dans l’imagination d’un amour propre, dans l'enfermement d'un amour de soi !
C’est comme un secret que Dieu nous confie pour nous éviter encore d’imaginer que Dieu soit le concurrent et le rival de l'homme ! On n'aime pas Dieu au détriment de l'amour du prochain !
Non ! Car Dieu - et Jésus l’affirme par toute sa vie terrestre - est à la source de l'amour humain. Il vient le vivifier sans cesse pour qu'il ne soit pas pollué dans les eaux stagnantes du caprice et de la médiocrité.
En fait, c'est Dieu qui donne la mesure - la démesure peut-être - de l'amour humain. Et on découvre qu’aimer son frère c'est déjà faire l'expérience de Dieu, c’est déjà faire déjà l’expérience de l'éternité. Rien moins que cela. (La fête de la Toussaint qui approche le soulignera à sa façon).
Un auteur spirituel (Mgr Ghika) écrivait : "Rien ne rend Dieu proche comme le prochain. Pour qui voit Dieu lointain, le prochain ne sera jamais bien proche ; pour qui ne voit pas le prochain bien proche, Dieu restera toujours lointain !"

C'est en ce sens que Notre Seigneur nous invite à aimer notre prochain comme nous-mêmes !  Comme nous-mêmes :
- non point d'un amour narcissique qui nous ferait contempler notre image dans tous les miroirs déformants de la flatterie et de l'égoïsme,
- mais d'un amour qui nous fait reconnaître notre véritable dignité de fils, de filles de Dieu. C'est ainsi que le psalmiste pouvait s'écrier : "Mon Dieu, je te rends grâce pour la merveille que je suis (Ps 139.14)", parce que créée à ton image et ressemblance. On pourrait dire autrement : "Je suis aimable parce que je suis aimé !".

Il s’agit donc d’être envahi de l’amour de Dieu, de reconnaître cet amour de Dieu déposé en notre cœur, signifié par notre baptême, alimenté par l’Eucharistie et la prière pour mieux le transmettre. St Bernard avait compris cela. Il écrivait : “L’amour est une grande chose si néanmoins il retourne à son principe, s’il remonte à son origine et à sa source, s’il en tire comme une nouvelle eau pour couler sans cesse”.

Lorsque le commandement de l'Amour n'est plus reconnu comme l'expression la plus belle de la dignité de l'homme créé à l’image de Dieu-Amour, c'est alors le règne de toutes les décadences qui riment avec toutes les violences.

Toute la vie du Christ n'a été que la révélation de cet Amour porté à sa perfection, lui qui dira pour l’annoncer et l’accomplir : “Il n'y a pas d'amour plus grand que de donner sa vie pour ceux qu'on aime... ”.
Oui, c’est par l’amour et dans l’amour de Dieu que nous pouvons alors comprendre le fondement de notre foi : ce mystère pascal du Christ - ce mystère de mort et de vie - réactualisé par l’Eucharistie afin que nous en vivions de plus en plus. Oui, ce n’est que dans l’amour même de Dieu que nous pouvons comprendre que
s’il y a la croix, il y a surtout la joie,
que s’il y a la passion, il y a surtout la résurrection,
que s’il y a le don, il va jusqu’au pardon, un au de-là du don.

L’amour c'est la signature de Dieu au cœur de l'homme ; car vivre, c'est aimer ; et aimer, c'est faire vivre. C’est la seule lumière de vie qui dissipe toutes les nuits. Tout le reste en dépend.

Le vieux prêtre avait raison : Le jour commence quand en tout homme, en toute femme, on peut discerner que c'est notre frère, notre sœur !

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