T.O.
28e - Jeudi -
[Homélie
adressée aux membres du "Mouvement Sève" au Mans, dont le thème de réflexion porte sur la "Fraternité"..
Tout le texte de la lecture de ce jour - le
début de la lettre aux Ephésiens - est, dans le texte grec, une longue et même
phrase - une longue "période", comme l'on dit - que le célèbre Loisy
a qualifiée de "somptueux
galimatias", tant Paul veut souvent tout dire et tout à la fois !
Et, selon son habitude, l'apôtre
commence sa lettre par une "bénédiction", une "action de
grâce". L'action de grâce est le fondement de toute spiritualité juive. Le
croyant - quel qu'il soit - doit être sans cesse en "action de grâce",
en "eucharistie", c'est-à-dire vivre sans cesse en un immense
"merci" pour tout ce que Dieu donne : "Béni soit le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus-Christ..."
!
Puisse toute notre vie être,
individuellement et fraternellement, une louange à la gloire de Dieu, Père Fils
et Esprit-Saint ! Si nous savions le "don de Dieu" au bénéfice de
tous les hommes !
Ce cri de "bénédiction" de Paul
est suscité par la découverte que "nous" sommes les purs
bénéficiaires d'un acte de bonté de la part de Dieu à notre égard. Et cela,
avant même la création ! "Il nous a
bénis, choisis !". Le pronom "nous" n'est pas, là, un
pluriel d'auteur, ne concerne pas uniquement les chrétiens d'origine juive, mais
englobe tous les chrétiens, toute l'humanité... "Dieu a tant aimé le monde", dira St Jean (Jn 3.16).
Certes, seuls, les chrétiens peuvent
"bénir" Dieu puisqu'ils sont seuls à comprendre la grâce qui suscite
la bénédiction. Mais cela ne veut pas dire que cette grâce leur est réservée.
C'est à la totalité de l'humanité que revient la totalité de la bénédiction. Et
cela "avant même la création
!".
Et c'est en comblant toute l'humanité de "toutes sortes de bénédictions"
que Dieu révèle son identité de "Père".
Certes, il est "Père de Notre Seigneur Jésus-Christ", ce Jésus que les
croyants confessent comme "Seigneur"
("Kurios" - Dieu) du fait
de sa résurrection. Mais son action de "Père" qui a sa source
en lui-même, il l'exerce par l'Esprit-Saint (il s'agit de "bénédictions Spirituelles") en
son Fils, le Christ qui, dit l'apôtre, récapitule tout, réunit
tous les êtres en lui-même !
Finalement, l'action de Dieu-Père, c'est
tout l'Amour que s'échangent les Personnes de la Sainte-Trinité - Famille de
Dieu - et qui rejaillit, par pure bonté divine, sur tous les hommes - Famille
humaine -, sur tout le créé. Nous sommes nés de Dieu-Trinité, déjà destinés à
vivre en Dieu-Trinité, Père, Fils, Esprit-Saint, à vivre en leurs liens d'amour
divins, liens si forts qu'il n'y a qu'un seul Dieu !
Et l'apôtre semble insister : Bénir pour
Dieu, c'est tout donner, se donner lui-même ! En donnant son Fils, Dieu-Père,
sous la motion de son Esprit d'Amour qui les unit, donne tout, tout ce qu'il
peut donner de lui-même à l'homme, à tous les hommes.
Et le Christ lui-même "parfaite image du Père", poussé par le même
Esprit-Saint, s'est entièrement donné et à son Père et, de ce fait, aux hommes,
selon l'éternel dessein d'un Dieu-Amour, prévu avant même la création. "Il nous a choisis en Lui avant
la fondation du monde !".
Et il est bon d'insister : le choix de Dieu
est une disposition antérieure à l'acte de créer : "Il nous a choisis par avance" ! L'initiative de
Dieu est absolue et appelle toute l'humanité sans exception à la communion avec
lui. L'élection de Dieu ne comporte aucune sélection au sein de l'humanité.
"Choisir" pour Dieu d'un choix qui anticipe la fondation du monde
embrasse donc tout l'univers créé. Le choix de Dieu n'est ni partial ni
partiel. Il consiste à aimer tous les hommes, même si, seuls, les chrétiens
peuvent comprendre un tel dessein. Il n'y a absolument pas dans les termes "choisis par avance" le
déterminisme discriminatoire qu'on y a lu par la suite pour fonder la doctrine
de la prédestination restreinte.
La disposition de Dieu a donc pour finalité
la filiation qui ne consiste pas en un
acte numérique déterminé (les uns et non les autres), mais un acte d'amour qui
vise en nous un résultat sans limite : "devenir
des fils pour lui". Autrement dit encore, en nous destinant à
devenir des fils, Dieu nous aime du même amour dont il aime le Fils, comme
l'ensemble du texte le suggère. Aussi, pour ma part, je n'aime pas beaucoup
cette distinction que l'on fait parfois entre "frères en chrétienté" et "frères en humanité". Nous sommes tous frères d'un même
Père qui nous regarde en son Fils, tous appelés à devenir "saints et immaculés en sa présence" !
Voilà bien la "source" de toute
fraternité : l'amour de Dieu Père pour tous les hommes en son Fils Unique, le
Christ. Jésus ne dira-t-il pas : "Tous,
vous êtes frères !" (Mth 23.8). Et St Pierre exhortera à être des frères
aimants, des "philadelphes"
(I P.
3.8). St
Paul précisera par ailleurs : "Pour
ce qui est de la philadelphie (amour fraternel), c'est de Dieu lui-même que vous avez appris à vous aimer les uns les
autres !" (I
Thess. 4.9).
Et dans cette même lettre aux Ephésiens, il encouragera : "Devenez imitateurs de Dieu comme des enfants bien-aimés ; vivez
dans l'amour comme le Christ nous a aimés et s'est livré lui-même à Dieu pour
nous, en offrande et victime, comme un parfum d'agréable odeur" (5.1).
Comment alors doit être vécu et retransmis
entre frères cet amour reçu de Dieu ? La lettre de Paul le dira un peu plus
loin (4.1sv) :
- en
toute humilité, c'est-à-dire dans une prudence de l'intelligence selon
l'étymologie du terme employé,
- et
douceur, "Bienheureux les
doux", disait Notre Seigneur
- avec
patience, cette patience qui est l'une des caractéristiques de Dieu
dans l'Ancien Testament,
- vous
portant les uns les autres avec amour !"
Ces trois vertus - humilité, douceur,
patience - sont des vertus humaines. Mais, en terre chrétienne, elles doivent
être exercées dans le Christ. C'est à ce titre que les membres d'une communauté
- quelle qu'elle soit - doivent en vivre. Ainsi les frères ne sont pas
seulement appelés à se "supporter" par pure convivialité humaine,
mais en fonction de l'amour qui vient de Dieu par le Christ qui nous a
"portés", qui nous porte vers le Père ! Les frères du Christ doivent
donc non seulement "se supporter" (c'est parfois le cas !), mais
"se porter" les uns les autres !
C'est ainsi que nous formons un seul Corps,
le "Corps du Christ" ! C'est ainsi que les frères du Christ peuvent, en
toutes circonstances, doivent témoigner, par leur unité d'amour, qu'"il n'y a qu'un seul Dieu, Père de
tous, qui règne sur tous, agit par tous et demeure en tous" (4.4-6).
Cette unicité que, par amour, forment les
frères dans le Christ, doit manifester l'impossibilité de la division en
une pluralité qui serait la négation de l'unité ! - De plus, ce
"Corps" constitué de frères n'est pas comme un appendice du Christ,
mais son "Corps vivant", tête et membres. C'est l'Eglise, qu'elle
soit domestique, familiale, communautaire..., universelle !
Encore faut-il ajouter, bien sûr, que ce
Corps - le "Corps du Christ" - ne peut pas se contenter d'un anonymat
pour chacun de ses membres, mais il se structure de telle sorte que chacun a
sa place en fonction des dons reçus eux-mêmes et non de la position que
chacun s'attribuerait à sa guise.
La liste de ces dons est longue ; et nous
la retrouvons en d'autres lettres (I Corinthiens, Romains). Ces dons
caractérisent les frères en Jésus-Christ : apôtres, prophètes, évangélistes,
pasteurs, enseignants etc. etc.
Et St Paul fera allusion en sa lettre
surtout à certaines positions sociales : maris et épouses, enfants et parents,
maîtres et esclaves,
En toutes circonstances, c'est l'amour
unique de Dieu, Père, Fils, Esprit-Saint qui doit se manifester en nous grâce
au Christ. Aussi St Paul dira en sa lettre : "Maris aimez vos femmes comme le Christ a aimés l'Eglise",
comme il dira à Philémon d'aimer Onésime son esclave, de l'aimer non plus comme
esclave, mais comme frère en Jésus Christ pour l'éternité !
J'ai déjà été trop long. Aussi puis-je
conclure simplement : Dieu aime tous les hommes de toute éternité. Et cet amour
doit nous constituer de plus en plus à être frères d'un même Père, en son Fils
Jésus Christ, sous l'action de l'Esprit-Saint ! St Paul dira encore : "Seuls sont enfants de Dieu - et
donc frères entre eux - ceux qui se
laissent pousser, conduire par l'Esprit-Saint !" (Rm 8.14).
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