dimanche 30 octobre 2011

La LOI du Seigneur !

31ème T.O. 11/A

D'après les historiens des origines chrétiennes, St Matthieu aurait forcé l'opposition entre Jésus et les Pharisiens en noircissant le portrait de ces derniers. Et cela pour répondre au besoin d'identité qu'éprouvaient les premières communautés chrétiennes face au judaïsme intolérant, voire persécuteur. La chose est fort probable, mais ne change rien, pour autant, à l'enseignement fondamental que nous vaut cette opposition quant à la signification de la Loi divine, puisque cette Loi, disait Jésus, n’est pas abolie mais accomplie par sa venue.

Ainsi, à propos des Pharisiens, notre Seigneur déclare : “Ils disent et ne font pas”, ajoutant, avec un humour grinçant, que ses disciples doivent faire ce qu'ils disent et non pas ce qu'ils font.

Que disent-ils donc ? Bien que notre passage n'en dise rien, nous pouvons supposer, d'après les épisodes précédents, que les Pharisiens expliquent parfaitement la Loi de Moïse sans nier que son centre soit le double commandement de l'amour : “Shema, Israël.., écoute Israël… Tu aimeras Dieu de tout ton cœur… Tu aimeras ton prochain comme toi-même”.

Mais que font-ils ? Cette fois, les détails sont abondants : “Ils imposent de pesants fardeaux” ; ils aiment “se faire remarquer” ; ils recherchent “les premières places” ; ils prennent plaisir à “s'entendre appeler « Rabbi »”. C’est dire que leur comportement pourrait se résumer par un vieux mot de notre langue : la “SUPERBE“, qui, mieux que le terme “orgueil” signifie une volonté constante de se mettre au-dessus des autres en manifestant une supériorité réelle ou plutôt supposée.

Et ainsi, en écrasant autrui de leur “superbe“, ils se mettent en total porte à faux avec la Loi qu'ils commentent, puisque cette Loi commande l'amour et que l'amour “tient toujours l'autre pour plus grand que soi” (Ph 2,4). Ce qu'ils font contredit ce qu'ils disent !

Et cette contradiction est grave ! Pour eux-mêmes d’abord. Tous les spirituels insistent sur cela, tant il est vrai que l’orgueil, “l’amour propre se fourre partout” (Bossuet). Et même un Montaigne - pas spécialement spirituel mais qui s’y entendait en analyses de “caractères” - écrivait : “On ne parle jamais de soi sans perte !”. Et beaucoup connaissent cette maxime de Pascal : “Le moi est haïssable… Il a deux caractéristiques : il est injuste en soi, en ce qu’il se fait le centre de tout ; et il est incommode aux autres, en ce qu’il veut les asservir”.

Et cette contradiction que suscite la “SUPERBE“ entre le dire et le faire est d’autant plus grave qu’elle peut entraîner, chez ceux qui écoutent, une possible et épouvantable méprise sur l'intention de Dieu lui-même ! Comment ne pas penser, alors, devant ces savants mais orgueilleux interprètes de la Loi divine, que Dieu leur ressemble ? En donnant sa Loi aux hommes, avec ses 365 défenses et ses 248 prescriptions, Dieu doit vouloir assujettir tous les hommes, les dominer, en se plaçant, lui, le législateur, au-dessus de la Loi qu’il promulgue. Dieu lui-même, alors, dirait mais ne ferait pas ! Belle excuse alors pour ceux qui cherchent, eux aussi, à se placer au-dessus de la Loi ! Ce que font les pharisiens ! Jésus parlera un jour des mauvais bergers qui obligent sans être obligés… Ils disent et ne font pas ! Subtile et éternelle tentation que dénoncera fortement St Benoît et bien d’autres après lui !

Or Jésus souligne, lui : il “n'est pas venu abolir la Loi“- il n’est pas au-dessus de la Loi - ; au contraire, “il est venu l'accomplir”. S'il appelle à lui “tous ceux qui peinent et ploient sous le fardeau”, ce n'est pas pour les surcharger, mais pour les “soulager”. S'il leur promet “le repos”, c'est qu'Il est “doux et humble de cœur” pour mieux manifester que Dieu se donne lui-même en partage quand il donne sa Loi.

Car tel est le renversement qu'Il est venu introduire pour que la Loi soit accomplie : Dieu lui-même observe sa Loi en nous dévoilant la tendresse d'un Père qui désire que grandissent ses fils en imitant librement sa bonté.

Voilà ce que Jésus a manifesté
en gardant “jusqu'au bout” la loi d'amour, de charité que lui-même a commandée,
en “ne gardant pas jalousement” ses droits divins quand la violence des hommes le cloue à la croix,
en pardonnant sans limite,
en montrant ainsi qui est Dieu de toujours à toujours : “un Dieu ami des hommes” qui demeure “au-dessus de tous, par tous et en tous”,
en s'abaissant plus bas que tous pour les délivrer, par son humilité, du cancer de la “SUPERBE“

La Loi est accomplie quand celui qui est “plus grand” l'observe en se faisant “le serviteur” de tous.

S. Bernard écrivait avec justesse : “La Loi du Seigneur, c'est la charité. Elle ne cherche pas ce qui est utile pour elle mais ce qui l'est pour tous. On l'appelle Loi du Seigneur soit que lui-même en vive soit que nul ne puisse la posséder sans lui. - N'allez pas croire que j'ai dit quelque chose d'absurde en affirmant que Dieu lui-même vit d'une Loi, puisque cette Loi n'est rien d'autre que la charité. Qu'est-ce qui, dites-moi, dans cette suréminente et bienheureuse Trinité conserve une suréminente et ineffable unité, sinon l'amour ? Il y a donc une Loi, la Loi du Seigneur, la charité qui, en quelque manière, maintient la Trinité dans l'unité, la rassemble dans le lien de la paix“. (Traité de l’amour de Dieu, c. XII).

Alors peut s'ouvrir à notre intelligence l'interdiction de donner à quiconque sur cette terre le nom de Maître “car vous n'avez qu'un Docteur : le Christ”, ou le nom de Père “car vous n'en avez qu'un : le Père des cieux”.
Entendue avec les oreilles des Pharisiens, cette interdiction pourrait signifier que Jésus - Dieu fait homme - revendique pour lui seul l'honneur et la préséance que les pharisiens et scribes désiraient pour eux.
Mais, associée à la croix où Jésus est vraiment “Christ et Seigneur”, cette Loi, entendue depuis le Golgotha où Dieu est vraiment Dieu parce qu'Il nous aime plus que lui-même, cette défense
dissipe l'illusion d'optique qu'induit la “SUPERBE“,
assure la vie fraternelle dans la communauté des disciples,
garde la paternité de Dieu de toute image qui la pervertirait.

Avec ou sans ces noms - Rabbi, Maître, Père, Docteur… -, la Loi divine de la Charité nous communique un lieu, un espace où Dieu est Dieu au-dessus de tout et de tous, un espace cependant que nous pouvons habiter avec le Christ de Pâques pour mieux manifester notre louange émerveillée et notre admiration filiale pour ce Dieu-Père qui, par son Fils, veut se donner au plus intime de nous-mêmes !

C’est ainsi que Paul VI pouvait écrire avec grande audace : “Dans l’autre monde, l’humilité du Seigneur, sera notre surprise, notre admiration infinie”. Aussi, soyons-en persuadés : l’humilité ne fait pas tomber ; elle relève au contraire ; elle relève de leur chute ceux qui la possèdent.

D’ailleurs, la vanité et la sottise ne sont-elles pas des compagnes inséparables ?

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