3e semaine de Pâques Vendredi (Jn 6.52)
Avec
l'évangile d'aujourd'hui, nous sommes à la fin de ce que l'on a appelé :
"le discours sur le Pain de vie" qui suit le récit de la
multiplication des pains, Cette multiplication est à mettre en parallèle avec l'institution
de l'Eucharistie, le Jeudi Saint, que Jean ne rapporte pas. Car cette multiplication des pains est le
"Signe" par excellence en lequel Jésus se met tout entier comme dans
l'Eucharistie en un geste à la fois
royal et sacerdotal :
-
il prend le pain ("tout est à
vous", dira St Paul ; vous êtes rois de la Création)
-
il rend grâce ; il fait hommage à Dieu de ce que Dieu donne. Faire
"eucharistie" de tout ce que l'on possède, en faire "action de
grâce" - geste sacerdotal - doit être au cœur de toute vie chrétienne.
C'est simplement savoir dire "Merci" à Dieu !
-
et Jésus partage, donne le pain... Il s'agit non d'amasser
égoïstement (tentation des Hébreux dans le
désert à propos de la manne, tentation toujours actuelle)..., mais de
partager, car Dieu n'est que Don de lui-même...
Cette
multiplication des pains, on en trouve déjà trace, bien sûr, dans l'Ancien
Testament, dans la geste d'Elisée (cf. 2 Rois
4.42-44) et surtout à propos de la manne, ce pain imploré par Moïse et
donné par Dieu dans le désert. Jésus en fait lui-même allusion pour signifier
que par ce geste de la multiplication des pains, il se révèle le vrai Moïse que
Moïse lui-même avait annoncé de la part de Dieu (Cf.
Dt 18.18 : "Je susciterai un prophète semblable à toi !").
On
peut noter encore que dans Matthieu et Marc, il y a deux récits de
multiplications des pains, issus probablement de deux traditions, l'un d'un
milieu juif et l'autre d'un milieu païen ; mais les deux récits qui se
reflètent pour souligner l'importance du geste de Jésus, à la fois royal et
sacerdotal : il prit le pain ; il rendit grâce et le partagea.
Après
ce récit, il y a donc le discours sur "le Pain de vie". Jésus veut
donner la signification du "Signe" posé : "Je suis le Pain de vie ! Celui qui vient à moi n'aura plus jamais
faim", ajoutant : "celui
qui croit en moi n'aura plus jamais soif !", allusion évidente à ce que Jésus avait dit à la
Samaritaine : "celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura
plus jamais soif ; l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau
jaillissant en vie éternelle" (Jn 4.14).
Après le discours, Jésus se
sent incompris, même de ses apôtres : "Ne
comprenez-vous donc pas ?" (Mc 8.17). C'est que nous, nous pensons
trop dans la dimension uniquement horizontale. La pensée de Jésus évolue
toujours dans la dimension verticale de signification. Le signifié est pour lui
plus important que le signifiant et beaucoup plus réel : le vent, c'est
l'Esprit ; les noces, c'est l'Alliance avec Dieu ; l'eau c'est l'eau pure de
vie éternelle ("lave-moi tout entier
de mon mal", demandait David après sa faute, et j'aurai un cœur
pur ; je pourrai alors avoir
"la joie de ton salut". Les
apôtres raisonnent au plan horizontal ! L'eau, à quoi ça sert ? L'eau c'est H2O
: un liquide qui lave et désaltère... Jésus, lui, pense toujours dans la
dimension de signification.
Ainsi, d'après Marc, Jésus,
incompris et vivement attaqué par les pharisiens, s'éloigne en barque, avec ses
apôtres. Il leur dit : "Méfiez-vous
du levain des pharisiens !". Et ceux-ci pensant sans doute au bon pain
de la multiplication, s'aperçoivent qu'ils n'ont même pas réservé du pain pour
le pique-nique, si je puis dire. Un peu agacé, Jésus leur explique : le
levain des pharisiens, c'est une
doctrine qui bouche l'intelligence... A un autre moment, Jésus parlera très
cruellement de ceux qui ont pris la clef de la science, qui empêchent les
autres d'entrer et qui ne sont pas entrés eux-mêmes ! C'est terrible cela !
Mais ne nous moquons pas ! Souvent, nous aussi, nous avons une intelligence
au ras des pâquerettes. Alors, lisons et relisons ce discours du
"Pain de vie". Ne nous étonnons pas trop des répétitions que fait
Jésus. Souvent, il dit, redit : "Je
suis le Pain de vie" en ajoutant une nuance pour que notre cœur
parvienne à la vérité. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, il toute une
pédagogie divine de la répétition. Il ne faut pas en faire l'économie à
l'exemple de Marie qui méditait, ressassait en son cœur les événements. St Luc
note le fait par deux fois (2.19 ; 2.51).
Ce n'est donc pas insignifiant ! Jésus répète aujourd'hui en notre cœur : "Je suis le Pain de vie".
Dans
St Marc encore, après la multiplication, Jésus guérit un aveugle ! Ce n'est pas
relation anodine : un aveugle qui voit clair, qui devient disciple, qui suit
Jésus. La signification est évidente : que notre intelligence souvent aveugle
accède à la compréhension du dessein de Dieu, à la folie de Dieu qui est plus
sage que la sagesse des hommes. On a tous besoin de ce miracle pour mieux
comprendre cette parole de Jésus : "Je
suis le Pain de vie !"
Et
pour conclure je vous dirai : moi qui suis allé maints fois en Terre Sainte (et je vous le conseille si vous le pouvez), je
vous dirai cependant que l'important, ce n'est pas tant le pèlerinage ;
l'important, c'est de comprendre que les sacrements de la Nouvelle Alliance -
comme celui de l'Eucharistie que nous allons célébrer et que rappelle le
discours du "Pain de vie" - véhiculent à travers le temps et l'espace
la réalité même de ce qu'ils signifient. Quand on célèbre l'Eucharistie en
France, au Japon ou en un autre endroit du globe, nous touchons la présence de
Dieu : "Celui mange ma chair et boit
mon sang demeure en moi et moi en lui !" (Jn
6.56). Ce qui s'est passé "une
fois pour toutes" (Heb 7.27 ; 9.12 ;
10.10) à Jérusalem où l'on peut se rendre en pèlerinage, lorsque le
voile du temple s'est déchiré (cf Mth 27.51)..., ce qui s'est passé là est rendu présent, de présence réelle, à
travers le temps et l'espace...
Remarquons
que chez St Jean, à la suite du discours du "Pain de Vie", il y a
comme une seconde "confession de foi" de la part de St Pierre. Trop étonnés
par les paroles de Jésus, "beaucoup de ses disciples
se retirèren... Jésus dit alors aux Douze : "Voulez-vous partir, vous
aussi ?". Pierre lui répondit : "Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as
les paroles de la vie éternelle.Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que
tu es le Saint de Dieu."
Retenons
encore de la lecture que Paul de Tarses (l'ancien
persécuteur) a véritablement rencontré la personne du Christ
ressuscité. C’est de la réalité de cette rencontre qu’il tirera l’assurance
et la force de sa foi pour aller proclamer la présence toujours actuelle du
Christ ressuscité... Et cette présence nous est toujours signifiée et donnée
par le sacrement de l'Eucharistie : "Je
suis le Pain de Vie"... de vie divine ! Aussi, proclamons, nous aussi
notre foi, là où nous vivons !
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