Jean-Baptiste 14
La figure de Jean-Baptiste domine l'histoire du peuple de Dieu ; et plus nous regarderons vers lui, comme ses propres disciples, plus nous découvrirons le vrai visage de Jésus qu'il ne cesse de désigner, de montrer.
En effet, Jean se définit lui-même, dans l'Evangile de St Jean, comme l'ami de l'Epoux qui "se tient là et l'écoute !". Aussi dira-t-il : "Je ne suis pas le Messie ; je suis celui qui a été envoyé devant lui" (Cf. Jn 3.28-30). Il introduit Jésus - aujourd'hui comme hier -. Cet aspect caché et paradoxal de la vraie vie chrétienne - introduire le Christ en nous-mêmes, conduire le Christ dans le cœur de nos frères - est toujours à rechercher, à découvrir. A l'exemple de Jean Baptiste.
Aussi, une phrase résume qui est Jean-Baptiste en profondeur, comme elle résume la vie chrétienne : "Il faut qu'il grandisse (Jésus) et que moi, je diminue".
Cette consigne est d'une telle force qu'elle a présidé au choix même de la fête de ce grand saint : c'est à partir de sa fête que le soleil commence à décliner à l'horizon pour qu'à Noël, à la venue de Jésus, cette même lumière grandissante puisse devenir image de celui qui est Lumière de monde. "Il faut qu'il grandisse et que moi je diminue". - On peut dire que toute la vie humaine sanctifiée par le Christ est résumée en cette phrase : plus le côté charnel (comme dira St Paul), mélangé, double, meurt en nous, plus le Christ peut grandir en nous et nous transfigurer. "Il faut qu'il grandisse et que moi je diminue".
St Jean-Baptiste connaîtra ce terrible effacement. Humainement, il le connaîtra, lui, le grand prophète d'Israël qui faisait courir les foules, lui dont la naissance avait été accompagnée de signes éclatants et saluée par une explosion de joie et d'espérance par son père Zacharie et la Vierge Marie.
Il allait mourir misérablement, victime des caprices d'une intrigante et de la misérable faiblesse d'un roi. Mais cet abaissement était une splendide prophétie des humiliations de la croix du Christ, prélude à sa gloire pascale !
Oui, Jean-Baptiste connaît bien ce terrible effacement.
Humainement et spirituellement aussi. A vues humaines, sa destinée d’homme de Dieu est désolante : c'est le plus grand des prophètes, c'est le plus grand des enfants nés d'une femme, dira Jésus (Mth 11.11). Et pourtant, il ne semble pas entrer vraiment dans ce mystère du Royaume de Dieu vécu par Jésus, mystère qu’il pressent cependant et désigne : "Voici l'Agneau de Dieu !", dit-il à ses disciples qui vont le quitter pour suivre Jésus. Et Jésus ira jusqu'à dire que le plus petit dans le Royaume est plus grand que Jean-Baptiste (Mt 11,11). On pense ici à Moïse qui montre la terre promise mais qui n'y pénètre pas !
Il me semble que nous devrions demander une grâce au Seigneur, par l'intermédiaire de Jean-Baptiste : celle d'avancer dans notre chemin, attiré par l'amour divin, sans chercher à dominer les événements, à la manière humaine, sans chercher nécessairement à les comprendre totalement. Comme Jean-Baptiste !
Oui, Jean-Baptiste connaît ce renoncement, cet effacement.
Bien plus, cet homme austère et rigoureux reçoit l'ordre de baptiser le Fils de Dieu
pour lui permettre de rejoindre les pécheurs dans le Jourdain,
pour qu'il vive déjà, liturgiquement par ce baptême, sa mort et sa résurrection,
pour qu’il puisse déjà être glorifié par son Père, reconnu par lui comme son "Fils bien aimé" et que "l’Esprit repose sur lui !".
Jésus lui-même désignera sa mort et sa résurrection comme un baptême : “Pouvez-vous, demandera-t-il à ses apôtres avant sa passion, pouvez-vous être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ?” (Cf. Mc 10.38).
En
le baptisant, Jean l’introduit en ce baptême pascal dont nous
bénéficions !
Jamais
un être humain n'avait accompli une tâche aussi haute : baptiser Jésus, l’introduire
en ce baptême de sa mort et de sa résurrection !
Or,
le voilà, quelque temps plus tard, jeté en prison, isolé des hommes, traité
misérablement. Il fait demander à Jésus : "Es-tu
celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?". On
pressent les terribles questions qu'il se pose. Quel contraste entre
l'expérience spirituelle du baptême de Jésus et la triste expérience du
prisonnier ! Quel effacement ! Quel renoncement !
Mais
il comprendra, Jean-Baptiste, que sa mort elle-même, comme tout le reste, comme
toute histoire humaine, reçoit justement tout son sens de la mort et de la
résurrection de Jésus !
A
travers la victoire de Jésus sur la mort et sur le mal qui enchaîne l'homme,
nous entrevoyons, sans bien comprendre mais dans une lumière tout autre, que le
drame de St Jean-Baptiste est lié intimement à celui de Jésus : la douceur et
la force invincible de cet homme, au cœur du Peuple de Dieu, rejoint la douceur
et la force de Jésus. Leur mystère est exactement le même.
Oui,
que Jean-Baptiste nous apprenne à marcher amoureusement, comme lui, au milieu
des contradictions et des tristesses de cette vie, de tous ces malentendus
navrants, de tous ces doutes, de ces "morts" incompréhensibles
humainement parlant.
Qu’il
nous apprenne à marcher en affirmant : le Christ est vraiment
ressuscité !
Dans
le Christ ressuscité,
la destinée de Jean-Baptiste devient tout autre : nous nous rendons compte
qu'il prend place, comme Abraham, en plein cœur du mystère chrétien. Alors
ayons confiance, nous aussi : nos modestes existences, quelles que soient
les contradictions qui les traversent parfois peuvent devenir très belles aux
yeux de Dieu. Pour cela, il nous faut la foi de Jean-Baptiste, sa
persévérance et surtout son humilité.
L'humilité
est un secret divin,
certainement le plus inconnu, le plus rare et pourtant le plus important. C’est
parce qu'il a accepté de diminuer pour que Jésus grandisse que
Jean-Baptiste est si grand. Il réalisait sans s'en douter ce mystère central
sur lequel médite St Paul dans l'épître aux Philippiens : c'est parce que Jésus
s'est abaissé par sa Passion, par sa mort que Dieu l'a souverainement exalté et
lui a donné un nom qui est au dessus de tout nom.
Voilà
l'ultime secret que nous pouvons demander à St Jean-Baptiste : c'est ce secret
qui permettra au Seigneur de dire à chacun de nous ce que Zacharie disait à son
fils Jean-Baptiste : "Et toi, petit
enfant, tu seras appelé prophète du Très Haut, tu marcheras devant la face du
Seigneur pour préparer ses chemins, pour donner à son peuple de connaître le
salut".
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