samedi 10 novembre 2018

Richesse de la pauvreté


32e T.O. 18/B

Il faut tenter de peser à sa juste valeur le geste de la veuve de Sarepta  dont parle la première lecture : Cette veuve est certainement présente à la pensée du Christ qui voit une autre veuve donner de son nécessaire au Temple.
             
La veuve de Sarepta ! Tout d'abord, une notation : en ces temps-là, une veuve et son fils, privés de la présence du chef de famille, étaient, de ce fait, les opprimés de la société. Ils n'avaient aucun droit. Ils ne pouvaient vivre que d'aumônes, lesquelles étaient très rares en période d'austérité ! Ils étaient les pauvres parmi les pauvres !
             
De plus, à cette époque, les rois d'Israël, malgré leur foi au Dieu de Moïse, se faisaient les défenseurs des "dieux locaux" : la prospérité ne dépendait pas du Dieu d'Abraham, ni, bien sûr, du travail des hommes. Elle dépendait des croyances locales. Ne sourions pas : aujourd'hui, les tireuses de cartes et les faiseurs d'horoscopes abondent chez nous, sans parler des grands joueurs impénitents de loteries diverses ! Les superstitions ne sont pas que d'hier.
             
Dans ce contexte social et religieux, vient Elie, l'homme de Dieu, le premier des prophètes, le "grand prophète" ! Il va rappeler, par l'annonce d'une sécheresse qui survient effectivement, que Dieu seul - et, avec lui, les pauvres - peuvent changer la vie ; et non pas les idées reçues ou les modes du moment.
Aussi, Elie annonce, dans le texte que nous avons entendu, la première des "Béatitudes" énoncées par Jésus : "Bienheureux les pauvres !". Car, c'est cette veuve sans droit, sans bien, sans existence légale qui va subvenir aux besoins de l'homme de Dieu, du seul et véritable Dieu. Déjà, elle perd du temps et de l'eau pour un étranger qui lui demande à boire, en période d'effrayante sécheresse ! Ce n'est pas rien ! En serions-nous capables ?   

Et c'est cette même logique que le Christ déploie dans sa remarque sur l'obole de la veuve de l'évangile, avec sa condamnation des "religieux de métier", que nous sommes tous, plus ou moins. "Les autres ont donné de leur superflu, mais elle, dans son indigence, elle a tout donné, tout ce qu'elle avait pour vivre". - "Bienheureux les pauvres", comme Dieu l'entend ! Eux seuls savent partager.
             
Seulement voilà : sommes-nous pauvres de la même pauvreté ? Sommes-nous pauvres comme l'entend le Christ et Dieu lui-même ?
Il ne faut jamais répondre aux questions décisives, comme celle-ci, avec trop de précipitation. Surtout quand Jésus nous donne une piste de réflexion à travers la condamnation des scribes et son admiration pour l'obole de la veuve.
             
Que donnons-nous ? De notre superflu ? De notre nécessaire ? Avec qui partageons-nous et sur quels critères ? Sur un coup de cœur, un coup de mauvaise conscience ? Ou bien, comme le Samaritain de l'Evangile, donnons-nous de notre temps, de notre argent parce que, en réalité, quelque chose a bougé en nous. Au plus profond de nous : ce que l'Evangile appelle : le mouvement de "compassion", c'est-à-dire au sens étymologique : les actions que l'on engage parce que l'on "souffre-avec", avec la personne rencontrée et souffrante. Oui, que donnons-nous : des choses ? des gestes ? ou bien le "cœur" y est-il engagé ?
             
C'est là le test, la pierre de touche de la pauvreté évangélique. Si vous préférez, prenons la bonne vieille sagesse ordinaire : elle dit, pour une fois, la même chose. "La manière de donner vaut mieux que ce que l'on donne !". On pourrait dire de la même manière : "La manière de refuser vaut mieux que si l'on donnait n'importe comment". Car refuser peut, aussi, être un signe d'amour plus vrai que de céder à une fausse pitié qui n'est qu'une manière de se débarrasser d'un quidam importun !
             
De plus, la seconde lecture nous engage dans une même réflexion : en commentant, pour des prêtres juifs convertis au Christ, en commentant la liturgie nouvelle, l'auteur de la lettre aux Hébreux nous donne une autre clé
pour nous comprendre nous-mêmes,
pour comprendre quelque chose de Dieu lui-même,
pour comprendre la véritable pauvreté qui nous rapproche de lui !
             
Ce qui introduit réellement à l'intimité avec le Père (le sanctuaire véritable dont parle le texte), c'est le sacrifice du Christ, l'unique sacrifice, l'unique, puisque, d'une seule fois, le Christ Jésus donne TOUT : sa VIE, son Corps, son Sang. TOUT.
             
St Pierre nous dit cela autrement. Souvenez-vous du boiteux qui se tenait à la "Belle-Porte" du Temple quand passent Pierre et Jean. Il mendie. Il espère "quelque chose". Pierre lui déclare : "Je n'ai rien. mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus, lève-toi et marche".
             
"Je n'ai rien !". Voilà, sans doute, la réflexion qui relie tous ces textes liturgiques d'aujourd'hui : "Je n'ai rien !". Mot de pauvreté. Le même mot que celui de la veuve de Sarepta, celui de la veuve du Temple. Le même mot que celui du Christ : "Alors, j'ai dit : "Père, me voici, pour faire Ta volonté".
             
Donner tout, ce n'est pas, sauf exception rarissime, s'appauvrir jusqu'à l'absurde. Comment le faire quand on est père ou mère de famille ? C'est "se donner". Soi-même. Pour faire la volonté de Dieu, là où l'on est. C'est beaucoup plus difficile, plus exigeant qu'une donation un brin romantique.
             
Mais c'est la logique même de Dieu.
             
"Qui me voit, Philippe, voit le Père", disait Jésus à son disciple. Il ne faut jamais oublier cette affirmation du Seigneur. Elle nous permet de comprendre qui est Dieu.
             
La veuve de Sarepta, celle du Temple ne le savaient pas : Dieu est pauvre. Il n'a rien à donner. Que lui-même.
             
Les chrétiens d'origine hébraïque n'arrivaient pas à s'en souvenir : le Christ, visage de Dieu, n'avait rien d'autre à donner que lui-même. Comme son Père. Et c'est justement cela qui nous sauve. De quoi : Du pharisaïsme qu'engendre une fausse générosité qui ne s'adresse qu'aux choses, sans engager tout notre être.
             
"Faire sacrifice", ce n'est pas partager vaguement ; ni même partager beaucoup. C'est entrer dans une logique d'être. La logique de Dieu qui donne comme il respire. Qui se donne.
             
"Faire Sacrifice", se donner comme le Christ, comme Dieu : c'est le moyen et la voie de faire de notre vie une "chose sacrée" (sacrum facere) : une chose qui ressemble, enfin, à ce qu'est Dieu.
             
Là est la liberté et la vie, même si notre "sacrifice", comme le sacrifice du Christ lui-même, ne sont pas compris, admis ! Mais c'est bien la "logique" de Dieu lui-même qui nous invite déjà à le rencontrer, à communier avec Lui, avant même le Jour éternel !

Tout le reste est plus ou moins étranger aux mœurs de Dieu.

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