31e T.O. 18/B
L'Evangile
d'aujourd'hui aborde le sujet fondamental, celui du premier, du plus grand
commandement : Aimer Dieu de tout son cœur.
Mais
une question se pose à nos esprits cartésiens et souvent critiques : n'y-a-t-il
pas contradiction, opposition entre ces deux mots : commander et aimer
? Comment est-il pensable qu'on puisse commander d'aimer ? S'il y a
quelque chose qui ne se commande pas, n'est-ce pas justement l'amour ?
Et
par ailleurs, l'obéissance à un commandement, à une règle, demande souvent à
notre volonté de surmonter la passion, les velléités d'un moment, d'un
sentiment plus ou moins inconstant et fugitif.
Il
semble bien qu'il y ait là, justement, contradiction entre l'amour qui
ne peut être que spontané ou ne pas être et la volonté qui n'a que faire
de la spontanéité d'un ressenti, d'un sentiment à multiples facettes !
Et
cependant Dieu nous commande de l'aimer !
Mais
il s'agit d'abord de remarquer dans quel contexte Notre Seigneur, d'après St Marc, formule sa réflexion. En un premier
temps, il récite la "profession de foi" d'Israël que nous avons
également entendue dans la première lecture :
"Ecoute,
Israël,
le Seigneur ton Dieu
est un Dieu unique !
tu aimeras-tu le
Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton pouvoir".
Tout
est accroché, si je puis dire, au premier mot de la formule qui a d'ailleurs
donné son nom à cette "profession de foi" juive : "Shema, Israël" - "Ecoute, Israël". Cette
écoute est la clef, pourrait-on dire, de ce premier commandement de l'Amour.
L'impératif
de ce premier commandement tombe avant tout sur ce mot "Ecoute"; et le reste s'ensuit comme naturellement
:
"Ecoute,
Israël,
Et
si tu écoutes bien, tu remarqueras facilement que le Seigneur ton Dieu est un Dieu unique !
Alors,
devant cette constatation,
tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout
ton cœur, de toute ton âme, de tout ton pouvoir
Autrement
dit,
si
tu
acceptes
vraiment
d'écouter, si tu
réalises cette unicité du Seigneur, ton Dieu, si, écoutant, tu rends vivace en
toi cette conviction qu'il n'est d'autre Dieu que lui, que tu lui dois tout,…
alors, tu aimeras Dieu de tout ton cœur et de toute ton intelligence. -
Il
y a symétrie entre l'unicité de ce Dieu reconnue par l'écoute du cœur, et la
totalité de l'Amour dont il est digne d'être l'objet.
Il
n'y a plus de commandement, il y a cette écoute, cette attention reconnaissante
et aimante envers Dieu qui aime toujours le premier. Lorsque l'homme réalise, parce
qu'il a su écouter, l'immensité de cet Amour prévenant de Dieu, son amour
ne peut pas ne pas jaillir de son cœur : "l'amour
nous presse" (2
Cà. 5.14), dira St
Paul!
Il
s'agit donc, avant tout, d'écouter.
Tout le tort de l'homme, c'est bien de se laisser distraire - le fameux
divertissement dont parle Pascal -, de ne jamais véritablement écouter. C'est la plainte permanente de Dieu lui-même
si bien exprimée par le prophète Isaïe : "Le
bœuf connaît son propriétaire ; et l'âne la mangeoire de son maître. Mais
Israël ne connaît pas, ne comprend pas !" (Is. 1.5). Parce qu'il n'écoute pas. - "Aujourd'hui, dit le psaume 95e,
puissiez-vous écouter sa voix !".
Ne pas être comme l'aspic qui, selon certaines représentations, plaque une
oreille contre terre et bouche l'autre oreille avec sa queue. C'est l'homme qui
n'écoute pas, ne veut pas écouter ! "Shema, Israël" - "Ecoute, Israël". C'est le seul commandement de
Dieu ! Écouter !
Aucune
génération n'a été plus bruyante que la nôtre. La radio, la télévision, le
téléphone… Nous sommes en permanence agressés. Et comme si cela ne suffisait
pas, on a inventé le "walkman" ; on a eu l'idée de couvrir le bruit
par le bruit… si bien qu'il devient difficile d'écouter les autres, d'écouter
Dieu qui aime parler dans -
et aussi
par - le silence. Le silence lui-même devient parole !
Oui,
l'amour envers Dieu ne peut être commandé ; il jaillit comme naturellement d'une âme attentive, d'un "cœur qui écoute". Comme
l'aveugle de Jéricho dont nous avons entendu l'histoire dimanche dernier, tout
homme a le désir de voir, de voir Dieu. Mais pour voir, il faut d'abord
écouter. "Tu désires voir,
disait St Bernard, écoute d'abord".
Et St Paul avait déjà dit : La foi - cette initiation à la vision de Dieu -, "la foi vient de l'écoute" (Rm 10.17).
La
seule fois où dans l'Evangile, la voix du Père se fait entendre, c'est pour
dire en parlant de son Fils : "Ecoutez-le". (Mth 17. 5 - Mc 9.7 - Lc 9.35). - Comme le Fils écoute le Père, il
nous faut écouter le Fils pour aller vers le Père. "Oh ! si seulement tu l'écoutais, commentait St Augustin, si seulement tu n'étais pas tombé au point
de t'écouter toi-même. Ecoute-le plutôt, Lui qui est la Parole éternelle. Mais,
souvent, c'est toi qui parles; et, bien sûr, en t'écoutant, tu te montes la
tête !"
Oui,
Dieu redit sans cesse, au fond du cœur de tout homme, ce verset du psaume : "Ecoute mon peuple, que je te
parle" (Ps
50.7).
Il suffit d'écouter avec un "cœur
noble et généreux", comme dit St Luc (8 16 ) Littéralement : "Avec un cœur beau et bon" - En grec ces deux adjectifs
associés désignent l'homme de qualité !). Et St Luc ajoute (8.18)
: "Faites donc attention à la manière dont vous écoutez".
Oui, Dieu nous parle sans cesse -"Ecoute,
Israël !"- A nous de l'écouter !
-
Dieu nous dit son amour dans les Ecritures. La Bible est comme une lettre
d'amour : "Ouvre l'Ecriture,
disait encore St Augustin, peu importe la
page. Partout, elle chante l'amour".
-
Dieu nous dit son amour dans la vie et les écrits des Saints que nous avons
fêtés récemment.
-
Dieu nous dit son amour dans la nature : "Il
n'y a pas de créature si petite, si insignifiante soit-elle, qui ne trahisse la
bonté de Dieu", dit le livre de l'Imitation.
-
Dieu nous parle par les événements.…
Mais
Dieu nous dit son amour surtout en notre propre cœur. Ecoutons encore le
grand Maître St Augustin, car "il y
a là, dit-il, un grand mystère à
méditer : le son de ma voix frappe vos oreilles. Mais le Maître est au-dedans
de vous - Je peux attirer votre attention par le bruit de ma voix; mais si, au de-dedans de vous,
n'est pas Celui qui instruit, vain est le bruit de mes paroles
En voulez-vous une
preuve ? N'avez-vous pas tous entendu ce que je viens de vous dire ? Or,
combien sortiront d'ici sans avoir rien appris ? Autant qu'il dépend de moi,
j'ai parlé à tous; mais ceux que l'Esprit-Saint n'instruit pas au-dedans
d'eux-mêmes, parce qu'ils n'écoutent pas véritablement, s'en iront sans
rien avoir appris !
Les enseignements
extérieurs sont une aide, une invitation à faire attention. Mais c'est au ciel
qu'est la chaire de celui qui instruit les cœurs attentifs. Qu'il parle donc,
lui, au-dedans de vos cœurs, là où nul homme ne peut pénétrer; car même si
quelqu'un est à vos côtés, il se peut que personne ne soit dans vos cœurs !
C'est donc le Maître intérieur qui instruit, c'est le Christ qui instruit. Là où
il n'est pas, c'est en vain qu'au-dehors retentissent mes paroles !
Ces paroles que je
prononce au-dehors sont ce que le jardinier est pour l'arbre : il travaille
au-dehors, il arrose,
il se donne de la peine. Quoi
qu'il fasse au-dehors, est-ce lui qui forme les fruits ? Est-ce lui qui revêt
les branches nues de l'ombre de feuilles ? Est-ce lui qui, au-dedans, fait
quelque chose de tel ? Mais qui le fait ? Ecoutez l'Apôtre Paul : « J'ai
planté, Apollos a arrosé. mais Dieu a donné la croissance ». Ni celui qui
plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose. Mais c'est Dieu qui donne la
croissance.
Cela, je vous le dis à
mon tour : que je plante, que j'arrose par mes paroles, ce n'est pas moi qui
suis quelque chose, mais Celui qui donne la croissance, Dieu, celui qui vous
enseigne sur toutes choses si vous l'écoutez ".
Sachons
donc écouter le Maître intérieur; sachons écouter le Christ qui nous a
manifesté l'amour de Dieu pour nous. Alors, nous aimerons Dieu et nous
écouterons davantage nos frères pour les aimer.
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