lundi 7 mai 2018

Aimer de quel amour ?


6e Dimanche de Pâques  18.B             

"Ce que je vous demande, c'est de vous aimer les uns les autres".

Il y a des formules dont il faudrait n'user qu'avec modération. Elles deviennent insipides à force d'être galvaudées. Ce sont des formules passe-partout. On les chante, on les affiche. Et même, on les porte comme une croix autour du cou.

Quelle est donc cette demande de Jésus ? Son sens, son ton, sa couleur, sa force ? Et d'abord sa place ?
Elle vient après le lavement des pieds, avant l'arrestation de Jésus. Judas vient de sortir, et Jésus prend la parole.
  
Il sait où en est la situation. Et ce message qu'il délivre à ses apôtres est le dernier avant le grand passage : sa mort et sa résurrection.
Ce moment a une couleur : celui du sang qu’il va verser : “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime”.
Et le ton est pressant, pressé, comme haletant.
C'est ainsi qu'il faut lire ce texte. Il y a urgence. Jésus donne à la fois des consignes, des explications, une mission, comme jetées à la volée, sans presque souci de les lier ensemble. Mais encadrées par ce commandement : “aimez-vous les uns les autres”.

Un amour exigeant
Ce commandement de l'amour est en effet exprimé deux fois. La première fois, il est accompagné de la précision : "Aimez-vous ( ... ) comme je vous ai aimés".

Or c'est tout un programme. S'il y a des amours, de fausses amours, qui anesthésient sous prétexte de prévenances et de petits soins, l'amour de Jésus est tout autre : il réveille et révèle à eux-mêmes ceux qu'il a choisis. Il les fait sortir d'eux-mêmes.
- Jésus a fait sortir ses disciples de leur situation sociale et professionnelle : adieu maisons, adieu filets, adieu vie balisée.
- Il les a fait sortir de leurs préjugés, de leurs égoïsmes, de leur racisme : bonjour les lépreux, les aveugles, les pécheresses, les solliciteurs de toutes sortes et les petits enfants.
- Il les a fait sortir d'une religion toute faite pour une aventure religieuse qui paraissait sacrilège aux yeux de beaucoup.
- Il les a fait sortir du petit groupe chaud qu'ils formaient pour s'aventurer en pays de mission et annoncer que le Royaume de Dieu était arrivé.
   
On peut ajouter à cette liste d'autres changements radicaux. A chacun de le faire dans sa méditation pour soi-même. Jésus veut toujours nous faire sortir pour nous libérer.

Or si Jésus a "décoiffé" ainsi les apôtres, ce n'est pas par goût du pouvoir et de la séduction. Il les a emportés loin de leurs habitudes parce qu'il les aimait : rude et tendre amour.
Quand on aime véritablement, on veut le meilleur de celui et pour celui qu'on aime. Et quand on aime, on donne le meilleur de soi à l'autre : juste et tendre retour. C'est de cet amour-là que Jésus veut que nous nous aimions, ajoutant même : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis", et "vous êtes mes amis", ajoute-t-il en substance. Cette amitié se signe par le sang.

Amis de Jésus
"Amis", dit-il ! Mais à qui Jésus s'adresse-t-il quand il déclare : "Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande " ? ou encore : "Maintenant je vous appelle mes amis", ? S’adresse-t-il aux seuls apôtres restés autour de lui à la table du Jeudi Saint ?
 
Nous aurions alors tendance à nous retirer en nous excusant : ce que j'entends ne s'adresse pas à moi ; je vous laisse entre amis.

Or Jésus donne la clef, la clef de son amitié, la clef de son discours : "Je vous appelle mes amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître ".

C'est donc la connaissance, la reconnaissance de Dieu-Père, par l'entremise de Jésus, qui fonde notre amitié avec Jésus. Par l'Evangile, connu et vécu, nous sommes, nous aussi, amis de Jésus, parce que fils d’un même Père…

Et c'est ainsi que le cercle des amis de Jésus s'élargit. Formé d'abord de seuls juifs, il s'étend ensuite à des non-juifs tels que Corneille. Il faut d'ailleurs que l'Esprit-Saint apporte un puissant renfort à Pierre pour que les juifs chrétiens acceptent que des "païens" se joignent à eux ! L'amitié de Jésus se répand donc sans exclusivité.

Amis des hommes
Mais de la part de Jésus, l'amitié est un sentiment exigeant : "Faites ce que je commande". Ce que Jésus a demandé aux apôtres, il nous le demande à nous aussi : se laisser déranger dans son mode de vie et de pensée. Aller au-delà de ses frontières naturelles, ce qui n'est pas forcément aller très loin :
- de l'autre côté de la rue pour s'enquérir d'un voisin âgé ou solitaire ;
- donner de soi, de son temps, visiter des malades, réconforter celui, celle qui n’en peut plus… ;
- écouter celui que personne n'entend ;
- dire oui, dire non, selon les cas, à haute et claire voix ;
- sacrifier de son superflu, partager de son nécessaire.

A chacun de faire l'inventaire et de choisir. Qui n'entend pas dans sa conscience cette voix ? Cette voix qui dit : tu aimes chichement ; tu es moins bon que tu en as l'air ; va plus loin. Et cette voix est celle de Jésus, notre ami.

Et en retour de ce don de soi ? Le don de Dieu : "tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera". Si j'ose dire, avec Jésus, l'amitié est un superbe placement.

Aimer, c'est aimer Dieu
Et pourtant la situation peut laisser insatisfait : car enfin les autres, tous ceux qui ne connaissent ni le Père, ni le Fils, ni l’Esprit-Saint, sont-ils tenus à l'écart des dons de Dieu ?
La réponse vient de Jean : "Tous ceux qui aiment sont enfants de Dieu, et ils connaissent Dieu. Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour".

Cette parole inspirée par l'Esprit renverse bien des murs. C’est dans et par l’amour véritable que Dieu est connu. Jésus nous conduit à Dieu. Or Dieu est Amour ! Et ceux qui s’exercent à cet amour connaissent Dieu.

Mais comment témoigner d'un amour invisible si, visiblement, nous ne nous aimons pas entre chrétiens ? Jésus sait ce qui menace à la fois son Eglise et le message qu'elle a mission de porter. C'est pourquoi, dans la hâte des derniers moments, il nous supplie !
Prière ultime : "Aimez-vous les uns les autres".

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