samedi 12 mai 2018

Deux mondes ! Une vraie vie !


7e Dimanche de  Pâques .B   

“Je ne demande pas que tu les retires du monde”. (Jn 17.15)

L'homme chrétien est comme entre deux mondes.
“L’Eglise connaît deux genres de vies révélées et recommandés par Dieu, écrivait St Augustin.
L’une de ces vies est dans la foi, l’autre dans la vision.
L’une pour le temps du voyage, l’autre pour la demeure d’éternité.
L’une dans le labeur, l’autre dans le repos.
L’une sur la route, l’autre dans la patrie.
L’une dans le travail et l’action, l‘autre dans la récompense de la contemplation”…
Ce monde-ci et un autre. Et il faut parfois beaucoup d’espérance, de connivences intérieures pour aimer ce monde-ci et pouvoir parier de l'“autre monde”.

Rimbaud disait : “La vraie vie est absente”. Qui ne le sent pas ? On peut le sentir lorsqu'une certaine forme de réussite légitime nous échappe totalement : un projet familial, social, professionnel, une relation amicale…, que sais-je ? Qui n’a pas vu un homme, une femme dont la vie était décolorée et le monde éteint, parce qu’une ambition légitime, une affection réconfortante qui semblaient engager son avenir, faisaient place brusquement à un vide abyssal ? 
“La vraie vie est absente”. On a beau répéter partout qu'il faut se contenter de ce monde, ce monde ne nous contente pas. Notre cœur est plus grand que ce monde.

L'hypothèse chrétienne, celle de Jésus, est qu'il y a une présence dans ce monde que l'homme ne perçoit pas du premier coup, qui doit lui être annoncée, révélée. “Convertissez-vous : le Royaume de Dieu est déjà là”. Et beaucoup pressentent, d’une manière ou d’une autre, que ce monde-ci n'est qu'allusion à un autre monde. Le succès de certaines spiritualités - celle d'hier et celles d’aujourd’hui … - et l’homme moderne lui-même avec ses complexités font ressentir que ce monde n’est qu’illusion ou allusion. Allusion, illusion : “La vraie vie est absente”.
Et que dire de la mort elle-même ? Elle qui a l’impudence de faire disparaître tout ce qui a précédé, de discréditer la vie actuelle : tout le passé est englouti de façon aussi rapide qu'un texte d'ordinateur par une erreur de manœuvre. Disparue... non sauvegardée. Est-ce possible ? Où est la vérité ? “La vraie vie est absente”.

Mais elle existe ! Je ne connais pas d'homme qui n'ait pas envie d’y croire. Même celui qui affirme ne pas croire comme cet homme embarqué par des amis pour un séjour à Lourdes et qui honnêtement reconnaissait : “Oui, j’ai écouté et bien entendu… Tout cela, je le reconnais : on dirait que ces discours décrivent mon pays d’origine que je voudrais retrouver. Mais voilà, je ne crois pas”.
Oui, il peut y avoir en un homme la nostalgie de Dieu en lequel il pourrait croire simplement. Mais il y a ce détersif puissant, ce virus spirituel du doute qui fait disparaître Jésus et son message.

Ceux que j'évoque ici sont tout près de nous. Nous les connaissons. Les croyants ne devraient jamais les oublier. Si Jésus envoie ses disciples - “comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie” -, c'est justement pour eux... Ils font partie de notre vie.

Quant à eux ils ne devraient jamais croire qu'ils ont ainsi réglé la question une fois pour toutes. Il faut toujours persévérer dans l'“attente”, l'attente de Dieu. Car si l’on va criant douloureusement parfois : “La vraie vie est absente”, on ne perd cependant jamais son temps à paraître “loin de Dieu”. C'est nous qui nous imaginons que nous sommes “loin de Dieu”, parce que Lui nous sollicite sans cesse, nous cherche dans les mouvements de notre liberté.

Mais il y a aussi - il faut le reconnaître - ceux qui ont réglé la question qu'ils se posaient dès leur adolescence : ils sont passés depuis longtemps à autre chose. Si nous pouvions leur demander - parce que le bonheur est peut-être à fleur de terre et que c'est trop bête de marcher dessus - de douter un peu de leurs évidences humaines.

Autre réflexion encore : Si l’on se dit, si l’on s’affirme croyants, c'est parce que, souvent, on a eu près de soi de vrais témoins de la foi. Peut-être déjà dans sa famille ou un ami… Bien plus, même s'il s'agit de quelqu'un de désagréable - mauvais caractère - cela ne fait rien à l'affaire. Quelqu'un dont on a senti qu'il y avait dans sa vie une netteté, une droiture, un courage à vivre malgré les épreuves. Une existence qui, par sa densité, a été la découverte du mystère de l'homme, d’un sens de la vie et de son orientation vers Dieu. Sans ces témoins, on ne serait pas le même !

Et bien, pour moi, c'est cela l'Église. C'est ce que les apôtres ont été, tous, les uns pour les autres. C'est pourquoi nous disons que l'Église est “apostolique”, fondée sur le témoignage des apôtres. Peut-être avez-vous été vous-mêmes ces témoins pour d'autres. N'est-ce pas cela une communauté chrétienne ? Elle est “force de témoignage” qui semble contredire, malgré les apparences contradictoires, cette affirmation lancinante : “La vraie vie est absente !”.    
Oui, nous ressentons toujours vivement la “force d’un témoignage”.  J’ai rencontré une personne très équilibrée, peu encline à de rapides emballements. Elle avait rencontré Mère Térésa. Lorsqu’elle en parlait, sa voix changeait de ton. La “force du témoignage” !

Mais, malheureusement, nous ne savons guère nous arrêter pour laisser la “force d’un témoignage” - la force d’une présence - faire en nous son œuvre. Pourtant, nous avons la chance, la grâce d’avoir un Dieu irréfutable… ; je veux dire qu'il est sans défense, “innocent” comme disait Claudel lors de sa conversion, si loin du Dieu des puissances, des hiérarchies et des démonstrations péremptoires. Saurons-nous le reconnaître pour ne plus dire : “La vraie vie est absente !”.

Il suffit de lire le récit simple de la vie du Christ, de ses rencontres et finalement de la passion. Alors nous pourrons proclamer un Dieu à qui le dernier des derniers - je pense à ce larron tout près de Jésus en croix - peut avoir envie de dire : “souviens-toi de moi quand tu seras dans ton paradis” où la vraie vie n’est pas absente ! Un Dieu qui ne prétend à rien qu'à ouvrir un avenir pour sortir l'homme de ses contradictions. Voilà la divine présence qui contredit cette affirmation : “La vraie vie est absente !”.

“Père, priait Jésus, je ne te demande pas de les retirer du monde !".
Alors, l'homme chrétien entre deux mondes ?
Peut-être, mais il y a une présence dans ce monde que l'homme ne perçoit pas du premier coup : “Je parle ainsi, en ce monde, pour qu'ils aient en eux ma joie. Je ne demande pas que tu les retires du monde mais que tu les gardes du Mauvais”. La vraie vie n’est pas absente !

Le chrétien sait que ce monde est “habité” à cause d’une secrète et permanente résurrection par la présence du Christ comme ce matin dans le signe simple du pain et du vin. Voilà sa joie. Elle nous fait comprendre la phrase de Bernanos : “Quand je serai mort vous irez dire au doux royaume de la terre que je l'ai aimé plus que je n'ai jamais osé dire”.

“Je ne demande pas que tu les retires du monde mais que tu les gardes du Mauvais”.

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