5ème
Dimanche de Pâques 16/C
Depuis Pâques, l'Eglise nous enseigne, de
façon pédagogique, ce qu'est la foi et comment nous devons la vivre !
- La foi est adhésion de l'intelligence,
car, avec St Thomas, nous constatons que notre foi, si elle n'est pas rationnelle,
elle cependant raisonnable parce que fondée sur des signes.
N'avons-nous pas eu, nous aussi, des signes de Dieu en notre vie ?
- La foi est aussi adhésion du cœur
: il s'agit de nous attacher à Quelqu'un, une personne vivante, Jésus
ressuscité. "Simon, fils de Jean,
m'aimes-tu ?", demandait le Christ à Pierre. Et la même question
nous est posée !
- Dimanche dernier, on voyait que la foi
est encore, comme conséquence, adhésion de la volonté. Croire en Jésus, c'est
agir ! La foi qui n'agit pas est morte : "Mes brebis, dit Jésus, écoutent
ma voix ; et elles me suivent !". Notre vie est-elle engagement
à la suite du Christ ?
Aussi, l'évangile d'aujourd'hui nous invite
à poursuivre notre réflexion en nous indiquant comment "agir",
comment "suivre" le Christ. Il nous faut "aimer",
nous dit-il, comme lui a aimé... : "Aimez-vous
les uns les autres comme je vous ai aimés !". Et Notre Seigneur
d'ajouter : "C'est à ce signe
qu'on vous reconnaîtra pour mes disciples".
Autrement dit :
si vous croyez que je suis Dieu
et homme, mort pour vous et ressuscité,
si vous m'aimez et vous efforcez de
me suivre afin de réaliser mon dessein de salut pour tous les hommes, sans
distinction,
la conséquence obligatoire sera de vous
attacher les uns aux autres grâce à l'attachement que vous avez pour moi !
Et considérons bien que ce précepte de
charité a été promulgué par Jésus le soir du Jeudi Saint en cette longue
conversation où il confia à ses apôtres ses pensées les plus intimes. C'est
comme son Testament !
Et Jésus avait bien précisé : "Comme le Père m'a aimé, moi
aussi je vous ai aimés... Et comme je vous ai aimés, aimez-vous
les uns les autres !" (Jn 15.9,12). Nous devons nous aimer comme
le Christ qui lui-même nous aime comme le Père l'aime ! C'est dire que la
charité est une vertu théologale, une disposition, dira St Thomas d'Aquin,
créée gratuitement par Dieu qui permet
- de l'aimer, Lui, puisque "Dieu est Amour", dit St Jean (I Jn 4.8),
- et d'aimer nos frères parce qu'ils sont,
comme nous le sommes, aimés de Dieu et appelés à participer à sa Vie, - Vie
d'Amour -.
En ce sens, St Jean a raison de dire : "Si quelqu'un dit : "J'aime
Dieu" et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur !" (I Jn 4.20). La charité envers
Dieu et la charité envers le prochain sont formellement la même charité.
Encore faut-il savoir faire la distinction
importante entre la charité fraternelle et l'affection amicale.
Ce sont simplement "l'égalité et la ressemblance qui constituent l'affection",
enseignait déjà Aristote. Autrement dit, aimer un ami en tant que frère en
humanité sans que l'intention profonde de la volonté soit Dieu, n'est pas un
acte de charité, mais une simple affection humaine. Différente de l'amitié
naturelle, même vertueuse, la charité exige que nous aimions notre prochain
pour Dieu ! Par Lui, avec Lui, en Lui... !
Et St Thomas d'Aquin précisera : il peut
arriver que la simple amitié humaine qui englobe bienveillance, concorde,
fraternité, justice... soit blessée, voire détruite, sans que la
charité, elle, en souffre fortement. C'est, en temps de guerre, le cas extrême
de l'amour des ennemis. On ne peut les aimer d'une amitié naturelle puisqu'il
nous agressent. Et, pourtant, nous devons, quand même, les aimer en Dieu,
désirer pour eux comme pour nous le Bien suprême qu'est Dieu lui-même -
Dieu-Amour -..., et travailler, si possible en ce sens. (Dans les années
60, il m'était bon de pouvoir faire cette distinction, en Algérie !).
Le contraire est vrai également : il peut arriver
que la charité soit détruite ou blessée, et que subsistent l'amitié,
la bienveillance... St Luc illustre cette situation à propos de la
condamnation de Jésus par Hérode et Pilate. Par cette condamnation, dit-il, "ils devinrent amis, eux qui auparavant étaient ennemis !".
La charité était mortellement atteinte, certes ; mais ces deux gouverneurs se
réconcilièrent humainement, amicalement !
Et remarquons encore : ce ne sont pas
toujours des fautes contre la charité qui blessent la charité. La plupart
du temps, ce sont des péchés graves contre les autres vertus.
Lorsque, par exemple, un conflit entre
époux conduit jusqu'au divorce en raison - que sais-je ? - d'une spoliation,
d'une relation dangereuse, d'un abus permanent (de boisson) ou que l'un,
abusivement par vanité et suffisance, veut en permanence tenir la dragée haute
vis-à-vis de l'autre, il n'y a que les vertus de justice, de tempérance...,
d'humilité qui sont détruites. Et cependant, il y a, vis-à-vis de Dieu et du
conjoint, une blessure de la charité.
Et remarquons encore que tous les
conflits en famille, en divers milieux, ne naissent pas tous d'une faute
! Naguère, un Dominicain, le P. Ranquet (+ 2014) disait : "Ne grince que ce qui est en contact. Et plaisent à Dieu qu'il y
ait entre chrétiens cette sorte de grincement pour les grandes choses de la vie
humaine et religieuse". Certains affrontements, disait-il, surtout en
des communautés importantes - c'est plus fréquent, naturellement - peuvent être
signes de charité pour un meilleur élan de vie spirituelle.
Il y a des familles, remarquait-il encore,
en lesquelles les conflits de naissent jamais... parce qu'on ne veut
pas d'histoires. Certains sujets - politiques, sociaux, religieux - sont
"tabous". "Enfermé dans
son individualisme, chacun devient alors étranger et indifférent à ce que
disent ou pensent les autres. Ce n'est pas le lien de la charité qui les unit,
c'est celui de la tolérance. En principe, rien ne grince ; et pour cause !
Chacun s'isole dans son univers humain ou spirituel. Mais peut-on parler alors
de charité ?".
En famille surtout, il ne faut pas avoir
peur de certains affrontements - j'en ai été le témoin dernièrement - à
condition que soient toujours saufs le respect de l'autre, la confiance et
l'estime mutuelles. Car il y a un danger toujours permanent : confondre le lien
de la charité avec l'intensité du lien affectif. En ce cas, tout acte de
discernement qui blesse le consensus psycho-affectif, toute affirmation
personnelle qui dépasse la pensée commune, deviennent cause de conflit. En
réalité, ce qui est ressenti et qui fait mal n'est pas tant la
"faute"' contre la charité que l'ébranlement de la sécurité
affective. On ne recherche alors que la tendresse, la reconnaissance, voire
l'amitié humaine !
Et on en arrive à oublier que la charité
unit d'abord à Dieu et que c'est Lui qui est la raison d'aimer ses frères. En
cette union à Dieu, que de discussions vives - politiques, sociales,
économiques... - et que sais-je encore - peuvent survenir sans pour autant que
la charité en soit obligatoirement blessée.
C'est ainsi que bien des chrétiens - et
même des saints - ont été déchirés par des affrontements douloureux ! Quelle
lutte, par exemple,
- entre St Thomas d'Aquin et Siger de
Brabant,
- entre les Augustiniens et les thomistes
au 17ème siècle, au moment de la naissance malheureuse du
jansénisme,
- entre St Jean de la Croix et ses propres
frères,
- entre Paul et Barnabé au sujet du jeune
Marc ! Le désaccord fut tel, disent les Actes, qu'"ils partirent chacun de leur côté" (Ac. 15.19). Excusez
l'expression, mais "ça du
chauffer" ! Les sensibilités furent écorchées, mais la charité en
fut-elle blessée pour autant ? Remarquons d'ailleurs que Paul et Barnabé se
retrouvèrent vite, et que Marc était aux côtés de Paul, à Rome.
- Et j'aime évoquer encore la forte
discussion de Jésus avec les pharisiens après la multiplication des pains au
point que St Marc note que Jésus, les "planta
là" et, montant en barque pour passer sur "l'autre rive", dit aux apôtres de "se méfier du levain des pharisiens". La sensibilité
humaine de Jésus était ébranlée, mais certainement pas sa charité divine !
Ainsi, les affrontements que l'on peut
constater en notre Eglise elle-même, ne blessent pas toujours la
charité. Ils permettent parfois de faire le point sur nos motivations et de
voir si nous ne glissons pas vers la douce recherche d'une affection trop
humaine, vers des finalités purement humaines !
Et si la charité est réellement blessée, il
faut alors invoquer la miséricorde de Dieu qui n'est nullement,
cependant, une "bonté bonasse", mais plutôt, selon une belle
expression du pape François, "la
caresse du pardon".
Et dernièrement, j'ai appris, lors d'une
réunion au Mans, que, selon l'enseignement de St Jean-Paul II et du pape
François, la miséricorde divine nous enveloppe pour nous aider d'abord à
faire aimablement, la Vérité. Car la miséricorde, dit la Bible, ne
peut être contraire à la justice et la vérité !
Et, une fois la vérité mieux établie, la
miséricorde aide grandement, en un second temps, à réparer les blessures
occasionnées par la faute contre la charité. Elle ne supprime pas toujours les
blessures. Même dans sa gloire divine, le Christ reste avec les stigmates de la
passion. Mais la miséricorde divine les transfigure et les insèrent dans un
mouvement de résurrection.... !
La foi - notre foi - doit se revêtir de
cette charité miséricordieuse : "Aimez-vous
les uns les autres", demandait Jésus, comme le Père m'a aimé,
et comme je vous aime !
"Quelle
grande chose que l'amour, disait St Augustin, pourvu qu'il revienne à son principe, retourne à sa son origine
et, refluant vers sa source, lui emprunte de quoi couler sans arrêt".
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