dimanche 24 avril 2016

Foi et charité !

5ème Dimanche de Pâques 16/C

Depuis Pâques, l'Eglise nous enseigne, de façon pédagogique, ce qu'est la foi et comment nous devons la vivre !
- La foi est adhésion de l'intelligence, car, avec St Thomas, nous constatons que notre foi, si elle n'est pas rationnelle, elle cependant raisonnable parce que fondée sur des signes. N'avons-nous pas eu, nous aussi, des signes de Dieu en notre vie ?
- La foi est aussi adhésion du cœur : il s'agit de nous attacher à Quelqu'un, une personne vivante, Jésus ressuscité. "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?", demandait le Christ à Pierre. Et la même question nous est posée !
- Dimanche dernier, on voyait que la foi est encore, comme conséquence, adhésion de la volonté. Croire en Jésus, c'est agir ! La foi qui n'agit pas est morte : "Mes brebis, dit Jésus, écoutent ma voix ; et elles me suivent !". Notre vie est-elle engagement à la suite du Christ ?

Aussi, l'évangile d'aujourd'hui nous invite à poursuivre notre réflexion en nous indiquant comment "agir", comment "suivre" le Christ. Il nous faut "aimer", nous dit-il, comme lui a aimé... : "Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés !". Et Notre Seigneur d'ajouter : "C'est à ce signe qu'on vous reconnaîtra pour mes disciples".

Autrement dit :
si vous croyez que je suis Dieu et homme, mort pour vous et ressuscité,
si vous m'aimez et vous efforcez de me suivre afin de réaliser mon dessein de salut pour tous les hommes, sans distinction,
la conséquence obligatoire sera de vous attacher les uns aux autres grâce à l'attachement que vous avez pour moi !
Et considérons bien que ce précepte de charité a été promulgué par Jésus le soir du Jeudi Saint en cette longue conversation où il confia à ses apôtres ses pensées les plus intimes. C'est comme son Testament !

Et Jésus avait bien précisé : "Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés... Et comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres !" (Jn 15.9,12). Nous devons nous aimer comme le Christ qui lui-même nous aime comme le Père l'aime ! C'est dire que la charité est une vertu théologale, une disposition, dira St Thomas d'Aquin, créée gratuitement par Dieu qui permet
- de l'aimer, Lui, puisque "Dieu est Amour", dit St Jean (I Jn 4.8),
- et d'aimer nos frères parce qu'ils sont, comme nous le sommes, aimés de Dieu et appelés à participer à sa Vie, - Vie d'Amour -.
En ce sens, St Jean a raison de dire : "Si quelqu'un dit : "J'aime Dieu" et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur !" (I Jn 4.20). La charité envers Dieu et la charité envers le prochain sont formellement la même charité.

Encore faut-il savoir faire la distinction importante entre la charité fraternelle et l'affection amicale.
Ce sont simplement "l'égalité et la ressemblance qui constituent l'affection", enseignait déjà Aristote. Autrement dit, aimer un ami en tant que frère en humanité sans que l'intention profonde de la volonté soit Dieu, n'est pas un acte de charité, mais une simple affection humaine. Différente de l'amitié naturelle, même vertueuse, la charité exige que nous aimions notre prochain pour Dieu ! Par Lui, avec Lui, en Lui... !

Et St Thomas d'Aquin précisera : il peut arriver que la simple amitié humaine qui englobe bienveillance, concorde, fraternité, justice... soit blessée, voire détruite, sans que la charité, elle, en souffre fortement. C'est, en temps de guerre, le cas extrême de l'amour des ennemis. On ne peut les aimer d'une amitié naturelle puisqu'il nous agressent. Et, pourtant, nous devons, quand même, les aimer en Dieu, désirer pour eux comme pour nous le Bien suprême qu'est Dieu lui-même - Dieu-Amour -..., et travailler, si possible en ce sens. (Dans les années 60, il m'était bon de pouvoir faire cette distinction, en Algérie !).

Le contraire est vrai également : il peut arriver que la charité soit détruite ou blessée, et que subsistent l'amitié, la bienveillance... St Luc illustre cette situation à propos de la condamnation de Jésus par Hérode et Pilate. Par cette condamnation, dit-il, "ils devinrent amis, eux qui auparavant étaient ennemis !". La charité était mortellement atteinte, certes ; mais ces deux gouverneurs se réconcilièrent humainement, amicalement !

Et remarquons encore : ce ne sont pas toujours des fautes contre la charité qui blessent la charité. La plupart du temps, ce sont des péchés graves contre les autres vertus.
Lorsque, par exemple, un conflit entre époux conduit jusqu'au divorce en raison - que sais-je ? - d'une spoliation, d'une relation dangereuse, d'un abus permanent (de boisson) ou que l'un, abusivement par vanité et suffisance, veut en permanence tenir la dragée haute vis-à-vis de l'autre, il n'y a que les vertus de justice, de tempérance..., d'humilité qui sont détruites. Et cependant, il y a, vis-à-vis de Dieu et du conjoint, une blessure de la charité.

Et remarquons encore que tous les conflits en famille, en divers milieux, ne naissent pas tous d'une faute ! Naguère, un Dominicain, le P. Ranquet (+ 2014) disait : "Ne grince que ce qui est en contact. Et plaisent à Dieu qu'il y ait entre chrétiens cette sorte de grincement pour les grandes choses de la vie humaine et religieuse". Certains affrontements, disait-il, surtout en des communautés importantes - c'est plus fréquent, naturellement - peuvent être signes de charité pour un meilleur élan de vie spirituelle.

Il y a des familles, remarquait-il encore, en lesquelles les conflits de naissent jamais... parce qu'on ne veut pas d'histoires. Certains sujets - politiques, sociaux, religieux - sont "tabous". "Enfermé dans son individualisme, chacun devient alors étranger et indifférent à ce que disent ou pensent les autres. Ce n'est pas le lien de la charité qui les unit, c'est celui de la tolérance. En principe, rien ne grince ; et pour cause ! Chacun s'isole dans son univers humain ou spirituel. Mais peut-on parler alors de charité ?".

En famille surtout, il ne faut pas avoir peur de certains affrontements - j'en ai été le témoin dernièrement - à condition que soient toujours saufs le respect de l'autre, la confiance et l'estime mutuelles. Car il y a un danger toujours permanent : confondre le lien de la charité avec l'intensité du lien affectif. En ce cas, tout acte de discernement qui blesse le consensus psycho-affectif, toute affirmation personnelle qui dépasse la pensée commune, deviennent cause de conflit. En réalité, ce qui est ressenti et qui fait mal n'est pas tant la "faute"' contre la charité que l'ébranlement de la sécurité affective. On ne recherche alors que la tendresse, la reconnaissance, voire l'amitié humaine !
Et on en arrive à oublier que la charité unit d'abord à Dieu et que c'est Lui qui est la raison d'aimer ses frères. En cette union à Dieu, que de discussions vives - politiques, sociales, économiques... - et que sais-je encore - peuvent survenir sans pour autant que la charité en soit obligatoirement blessée.

C'est ainsi que bien des chrétiens - et même des saints - ont été déchirés par des affrontements douloureux ! Quelle lutte, par exemple,
- entre St Thomas d'Aquin et Siger de Brabant,
- entre les Augustiniens et les thomistes au 17ème siècle, au moment de la naissance malheureuse du jansénisme,
- entre St Jean de la Croix et ses propres frères,
- entre Paul et Barnabé au sujet du jeune Marc ! Le désaccord fut tel, disent les Actes, qu'"ils partirent chacun de leur côté" (Ac. 15.19). Excusez l'expression, mais "ça du chauffer" ! Les sensibilités furent écorchées, mais la charité en fut-elle blessée pour autant ? Remarquons d'ailleurs que Paul et Barnabé se retrouvèrent vite, et que Marc était aux côtés de Paul, à Rome.
- Et j'aime évoquer encore la forte discussion de Jésus avec les pharisiens après la multiplication des pains au point que St Marc note que Jésus, les "planta là" et, montant en barque pour passer sur "l'autre rive", dit aux apôtres de "se méfier du levain des pharisiens". La sensibilité humaine de Jésus était ébranlée, mais certainement pas sa charité divine !

Ainsi, les affrontements que l'on peut constater en notre Eglise elle-même, ne blessent pas toujours la charité. Ils permettent parfois de faire le point sur nos motivations et de voir si nous ne glissons pas vers la douce recherche d'une affection trop humaine, vers des finalités purement humaines !

Et si la charité est réellement blessée, il faut alors invoquer la miséricorde de Dieu qui n'est nullement, cependant, une "bonté bonasse", mais plutôt, selon une belle expression du pape François, "la caresse du pardon".
Et dernièrement, j'ai appris, lors d'une réunion au Mans, que, selon l'enseignement de St Jean-Paul II et du pape François, la miséricorde divine nous enveloppe pour nous aider d'abord à faire aimablement, la Vérité. Car la miséricorde, dit la Bible, ne peut être contraire à la justice et la vérité !
Et, une fois la vérité mieux établie, la miséricorde aide grandement, en un second temps, à réparer les blessures occasionnées par la faute contre la charité. Elle ne supprime pas toujours les blessures. Même dans sa gloire divine, le Christ reste avec les stigmates de la passion. Mais la miséricorde divine les transfigure et les insèrent dans un mouvement de résurrection.... !

La foi - notre foi - doit se revêtir de cette charité miséricordieuse : "Aimez-vous les uns les autres", demandait Jésus, comme le Père m'a aimé, et comme je vous aime !
"Quelle grande chose que l'amour, disait St Augustin, pourvu qu'il revienne à son principe, retourne à sa son origine et, refluant vers sa source, lui emprunte de quoi couler sans arrêt".

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