Jeudi après les
Cendres Mt 9, 14-15
"Il faut que le Fils de l'homme
souffre beaucoup... !".
Et
le disciple du Christ doit passer, lui aussi, par ce mystère pascal dont il est
déjà question dans l'évangile, qui nous sera présenté tout au long du Carême,
et que nous célébrerons solennellement à Pâques !
Comment
parler de la mort du Christ ?
Dieu-Père
ne voulait certainement par la destruction d'un Innocent, une fin aussi
tragique, ignominieuse pour son Fils bien-aimé !
Et Jésus
ne lui a pas offert son sang en pensant qu'il lui serait agréable !
Les
premiers chrétiens n'ont jamais pensé cela !
La crucifixion
est un crime. Ceux qui l'ont voulue, ce sont les autorités juives et les
représentants de Rome, c'est-à-dire tous ceux qui se sont fermés au Règne de
Dieu.
Cette
mort affreuse est absurde, injuste. Mais Jésus ira jusqu'à la mort pour être
fidèle au Règne de Dieu qu'il voulait établir : tous pourront voir alors
jusqu'où va sa confiance dans le Père et son amour des hommes.
Il
faut le dire et le redire : le Père n'a pas voulu que l'on tue son Fils aimé ;
c'est l'offense la plus grave que l'on puisse lui faire. Mais, s'il le faut, il
le laissera être crucifié, il n'interviendra pas pour détruire ceux qui le
crucifient ; car il veut continuer d'aimer le monde, ce monde de pécheurs,
et révèlera ainsi à tous jusqu'à quels insondables extrémités s'étend "la
folie de son amour" pour les hommes.
Les
premiers chrétiens diront, emplis d'étonnement : "Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils" (Jn 3.16).
Sur
la croix, personne n'offre quoi que ce soit à Dieu afin qu'il manifeste
une plus grande bienveillance envers l'homme pécheur.
C'est
lui qui offre ce qu'il a de plus cher : son Fils ! Son amour est
antérieur à tout !
St
Paul l'affirmera catégoriquement : "La
preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ, alors que nous étions encore
pécheurs, est mort pour nous !" (Rm 5.8).
Dieu ne pouvait révéler son amour de façon plus manifeste. Il ne s'est pas
arrêté même devant ce qu'il avait de plus cher : son Fils ! "Il n'a pas épargné son propre Fils,
mais l'a livré pour nous ; comment, avec lui, ne nous accorderait-il pas toute
sa faveur ?" (Rm 8.32).
Oui,
l'amour de Dieu est inouï. Pendant que son Fils agonise, Dieu ne fait rien, ne
dit rien, n'intervient pas ! Il respecte ce que l'on fait à son Fils. Tout
simplement, il supporte la mort de son Fils bien-aimé par amour pour les
hommes qui resteraient perdus sans son amour divin. C'est l'amour de Dieu
qui nous est révélé suprêmement dans cette "crucifixion-résurrection".
Car
la résurrection montre que Dieu était avec le Crucifié de façon réelle, sans
intervenir contre les bourreaux, mais en assurant son triomphe final, (par sa
résurrection) ! C'est ce qu'il y a de plus grandiose dans l'amour de Dieu : le
pouvoir d'anéantir le mal sans détruire ceux qui le font. Il rend justice à
Jésus, sans détruire ceux qui le crucifient. St Paul avait bien compris cela : "C'était Dieu qui, dans le Christ, se
réconciliait avec le monde, ne tenant plus compte des fautes des
hommes" (2 Co. 5.19).
Oui,
Amour de Dieu incroyable ! "Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs cherchent
une sagesse, nous proclamons, nous, dira Paul, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs
et folie pour les païens. Mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, il
est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie
de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus
fort que les hommes" (I Co. 1.22-25).
En ce Christ crucifié qui nous
semble une "faiblesse" et une impuissance, est enfermée "la
force" salvatrice de Dieu. "Il
était nécessaire que le Christ souffre beaucoup" selon le dessein
d'amour de Dieu "annoncé par les Ecritures". Avec Dieu, il
fallait qu'il en soit ainsi, car dans sa "folie" inimaginable, il
aime tous les hommes ses enfants jusqu'à l'extrême. Comme une mère, si l'on
peut dire, qui aime ses enfants jusqu'à se sacrifier pour eux, s'il le faut !
Ainsi donc, Dieu n'apparaît
pas comme celui qui exige au préalable la souffrance et la mort de Jésus
pour que son honneur et sa justice soient satisfaits, et qu'il puisse ainsi
"pardonner" aux hommes.
Et Jésus n'apparaît pas comme
celui qui s'efforce d'influencer Dieu par ses ssouffrances pour obtenir de lui bienveillance
divine envers le monde pécheur.
Les premiers chrétiens ne
pouvaient dire une chose pareille. Si Dieu avait été celui qui exige
préalablement le sang d'un innocent pour sauver l'humanité, il aurait été alors
un "Dieu de justice" qui ne sait pas pardonner gratuitement, un
créancier implacable qui ne sauve personne si la dette contractée envers lui
n'a pas été soldée. Si Dieu était ainsi, qui pourrait l'aimer, l'aimer de tout
son cœur et de
toutes ses forces ?
Dieu n'apparaît pas non plus
comme celui qui décharge sa colère contre Jésus. A aucun moment, Dieu-Père ne
rend responsable son Fils bien-aimé de fautes qu'il n'a pas commises ; et il ne
le considère pas comme un "substitut" des pécheurs. Comment un Dieu
juste pourrait-il imputer à Jésus les péchés qu'il n'a pas commis ? Jésus est
l'Innocent. Il ne subit aucun châtiment. Il souffre par le refus de ceux qui
s'opposent au Règne de Dieu. Il n'est pas la victime du Père, mais
de Caïphe et de Pilate. Il porte les souffrances que lui infligent
injustement les hommes ; et le Père porte la souffrance de son Fils aimé. Par
amour des hommes pécheurs !
Ce qui donne une valeur
rédemptrice au supplice de la croix, c'est l'amour et non pas la souffrance. Ce qui sauve l'humanité, ce
n'est pas quelque "mystérieux" pouvoir rédempteur enfermé dans le
sang versé devant Dieu. En elle-même, la souffrance est mauvaise et n'a aucune
force rédemptrice. Dieu n'aime pas voir voir Jésus souffrir. Ce qui sauve au
calvaire - et cela seul -, c'est l'amour insondable de Dieu, incarné
dans la souffrance et la mort de son Fils. Il n'y aucune force salvatrice
dans la souffrance en dehors de l'amour. Seul, l'amour de Dieu explique tout !
La souffrance reste mauvaise ;
mais c'est précisément pour cela qu'elle devient l'expérience humaine la plus
solide et la plus réelle pour exprimer l'amour. Nous-mêmes nous l'expérimentons
parfois : on souffre toujours à proportion de notre amour pour quelqu'un...
C'est pourquoi les premiers
chrétiens ont vu en Jésus crucifié l'expression la plus réaliste, la plus
extrême, de l'amour inconditinnel de Dieu pour l'humanité, le signe mystérieux
et insondable de son pardon, de sa compassion, de sa tendresse rédemptrice.
Seul, l'incroyable amour de
Dieu peut expliquer ce qui s'est passé sur la croix. Ce n'est qu'à l'ombre
lumineuse de la croix qu'à pu surgir la grandiose affirmation chrétienne : "Dieu est amour !" (I Jn 4.8,16). C'est ce dont Paul avait une
intuition émue : "Le Fils de Dieu
m'a aimé et s'est livré pour moi !" (Gal 2.20). Il m'a aimé jusque là !
Une seule conclusion :
tout disciple du Christ doit
imiter son Maître et passer par ce mystère pascal que chaque Eucharistie
réactualise.
Dès lors, sachons le : nos
propres souffrances - les plus humbles comme les plus fortes - doivent être offertes au
Christ pascal. Une fois offertes, elles ne nous appartiennent plus pour être
siennes, pour être au Christ. Une fois siennes, mêlées aux siennes propres, aux
amertuimes de la croix ou du jardin des oliviers, elles sont capables, avec
lui, de sauver les hommes, tous les hommes ! Grâce à son amour divin ! "Par lui, avec lui, en lui !".
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