Vendredi après
les Cendres - Is
58, 1-9a - Mt 9, 14-15
Dans
le bref Evangile que nos venons d’entendre, Jésus "remet en place",
si je puis dire, ceux qui se scandalisent de voir que certains ne pratiquent
pas les observances que l’on faisait de son temps. Il leur reproche de se mêler
de ce qui ne les regarde pas ; et puis, comme le disait si bien l'Ecclésiaste (Qohélet), il y a un temps pour tout :
"Il y a un temps pour planter et un
temps pour arracher,
Un temps pour pleurer et un temps pour rire,
Un temps pour se lamenter et un temps pour
danser... !" (Qo. Ch 3).
Et
bien de même, il y a un temps pour manger, et un temps pour jeûner !
Mais
surtout, rappelons-nous ce que Jésus disait, en un autre endroit de l'évangile,
à propos des pratiques religieuses :
"Deux
hommes montèrent au Temple pour prier ; l'un était Pharisien et l'autre
publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : "Mon Dieu, je
te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes... ; je
jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j'acquiers".
Le publicain n'osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la
poitrine, disant : "Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !". Je
vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l'autre non. Car
tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé".
( Lc 18, 10 -14).
Avec
une lucidité que pourrait envier certains spécialistes modernes en psychologie,
Jésus montre que de fait la pratique religieuse peut devenir, quand elle n’est
que pur formalisme, un moyen de rassurer la conscience en évitant de la
promener dans des fautes beaucoup plus graves qu’on commet et envers Dieu et
dans nos relations avec les autres.
"Malheur
à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe,
du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la
Loi, la justice, la miséricorde et la
foi ; c'est ceci qu'il fallait pratiquer, sans négliger cela". (Mt 23.23).
Ce
n’est pas un hasard que l’Evangile d’aujourd’hui a été choisi en ce début de
Carême pour nous mettre en garde contre le formalisme que peut révéler
l’observance religieuse.
A
certaines époques, on a mis tellement l’accent sur ces observances extérieures
que cela a provoqué même chez les chrétiens un besoin de défoulement : on n’avait
pas trouvé de meilleur moyen de réagir contre l’exagération qu’en faisant
précéder le carême par le carnaval. Finalement, aujourd’hui, on parle davantage
de distractions diverses et nombreuses que du Carême.
Et
la première lecture nous rappelle également que, quelques siècles avant Jésus,
le prophète Isaïe avait réagi contre le formalisme religieux d’une
manière qui reste encore très percutante dans les situations où nous sommes parfois
plongés.
Il
est bon de jeûner, d’en faire une pratique collective, mais que cela ne serve
pas de paravent derrière lequel on continue à pratiquer l’injustice et la
violence. Quel est le jeûne qui plaît à Dieu ? Certainement pas
celui qui nous éviterait de faire les vraies réformes, celles qui rétablissent
l’harmonie et la paix, là où nous vivons, dans nos relations familiales,
amicales, professionnelles : "Heureux les artisans de paix, ils seront
appelés Fils de Dieu !".
Et cet oubli sur le plan personnel devient
planétaire. On le sait : la mondialisation dont on parle beaucoup
actuellement entraîne souvent de terribles injustices. On ferme des usines pour
de simples motifs d’intérêts économiques ; et les délocalisations permettent souvent
de trouver de la main d’œuvre moins chère en des pays où on accélère la
production en surmenant des travailleurs réduits en esclavage. Tout est
subordonné aux intérêts égoïstes, personnels ou collectifs ! Aussi, le pape
François, le Mercredi des Cendres, nous a encouragés à lutter contre "le vertige de la mondialisation de
l'indifférence" !
Quel
est donc le jeûne qui plaît à Dieu ? Grande question que posait déjà
Isaïe !
N'est-ce
pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère : défaire les chaînes injustes, délier
les liens du joug ; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs
? N'est-ce pas partager ton pain avec
l'affamé ; héberger chez toi les pauvres sans abri...". Bref, "ne pas te dérober devant celui
qui est ta propre chair !". ( Is
58.6-7).
Et
sachons-le, le jeûne, la pénitence a, traditionnellement, deux objets :
-
Une purification de soi-même : "Le
jeûne, disait St Pierre Chrysologue, est
un chemin merveilleux pour labourer le champ de la sainteté !".
- Et
un encouragement à pratiquer la justice et la charité fraternelle : St Ambroise
s'exclamait : "Combien le jeûne est
religieux si tu envoies aux pauvre le prix de ton repas !".
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