T.O. 19
Dimanche
Nous venons d'entendre deux récits
magnifiques : un récit de montagne, un récit de mer.
La montagne d'abord : Neuf siècles
avant Jésus Christ, Elie, un des plus grands prophètes, va vers l'Horeb, la
haute montagne, la montagne de Moïse, la Montagne de l’“Alliance” (1 R 19).
La mer ensuite. La petite mer de
Galilée, mais une vraie mer avec ses dangers, ses vents, ses tempêtes. "Si c'est toi, crie Pierre, dis-moi de venir vers toi." - "Viens", répond Jésus. Pierre
vient. Mais il a peur ; il coule, Jésus le prend par la main.
Il m'a semblé que ces deux récits,
la montagne et la mer, mettaient bien en relief les deux faces, les deux
aspects de notre foi chrétienne.
La montagne d'abord. Elie est un homme
pourchassé, traqué ; on veut le tuer ; il veut mourir à l'entrée du désert
; mais on le secoue, on lui dit : "Mange,
marche quarante jours dans ce désert, et monte ; le Seigneur va passer pour
toi".
Cet homme va rencontrer Dieu. Il y
eut un ouragan qui fendait la montagne, brisait les rochers, mais le Seigneur
n'était pas dans l'ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu. Et
après le feu, "le bruit d'une
brise légère",
"le son d’un silence subtil". C’est le Seigneur Dieu qui
passait ! - La traduction, là, est difficile. En mot-à-mot : Elie entendit
“le son d’un silence pulvérisé”
ou encore : “le son d’une
poussière de silence”. On peut dire qu’il s’agit là sans doute d’un
silence absolu, c’est-à-dire “sans lien” avec quoi que ce soit, un silence
totalement libre de tout, ce qui convient parfaitement à Dieu. Cela ne veut pas
dire que le “silence” contient Dieu. Mais cette “poussière de silence” peut
être signe de sa présence, de sa seule présence !
C’est pourquoi le silence dans notre
relation avec Dieu (prière), le silence de
l’âme, ce silence qu'expérimentera, par exemple, St Jean de la Croix, disciple
du Mont Carmel où résidait Elie, ce silence-là nous dispose à être présent au
Seigneur, à correspondre au souffle de son Esprit. Et puis, le silence
également favorise l’écoute de nos frères. “Ce
qu’il y a de plus important dans nos conversations, c’est peut-être le silence”
a-t-on dit.
Et puis, dans le silence, signe de la
présence de Dieu, il y a comme une parfaite indication d’une erreur (une “inversion
sacrilège”),
cette erreur que le sarcastique Voltaire avait souligné : "Dieu a créé l’homme à son image ; et l’homme le lui a bien rendu
!”. Et il est vrai que l’homme, souvent, fabrique son Dieu, à lui, à son
image, selon ses idées, ses paroles, ses activités qu'il veut efficaces par ses
propres forces… Or Dieu, ici-bas est l’Indicible, l’Invisible. On ne le
rejoint souvent que dans le silence !
"Si
tu rencontres Dieu, tue-le, ce n'est pas lui", dit un proverbe
d'Orient. Quatre siècles plus tôt, sur cette même montagne, Moïse avait voulu
voir Dieu. "Fais-moi voir ta
face.". - "Si on voit Dieu,
c'est qu'on est mort." lui est-il répondu. Le Seigneur cacha Moïse
dans la fente d'un rocher ; et la gloire de Dieu passa derrière Moïse.
Personnellement j’aime bien ce commentaire de la tradition juive : “Moïse ne vit que le manteau de la
miséricorde de Dieu qui recouvrait toutes choses”. Oui, ici-bas, on ne voit
Dieu que de dos. Un sillage, une trace, dit St Jean de la Croix, un parfum,
"comme un silence". Personne ne met la main sur Dieu. Malheur aux
propriétaires tranquilles de Dieu qui savent tout de lui.
Après la montagne, la mer. Il faut savoir
que les Hébreux n’avaient absolument pas ni l’esprit, ni le pied marin. Et
puis, pour eux, la mer était le refuge des monstres marins du chaos primitif.
La mer leur faisait peur.
Et voici que dans une barque de pêcheurs,
quelques hommes se sont affrontés toute la nuit à une mer hostile. Aux
premières lueurs de l'aube, un fantôme s'avance vers eux sur les flots. Pris de
panique, ils crient. "N'ayez pas
peur, leur dit Jésus, c'est moi !".
- Oui, c'est lui, celui sur qui ces hommes ont joué leur vie. Pour lui,
quelques mois plus tôt, ils ont tout laissé. Ils ont reconnu sur le visage de
cet homme la splendeur de Celui qu'on ne voit pas. - "Seigneur, demandera Philippe, fais-nous voir le Père". -
"Philippe, dit Jésus, Il y a si longtemps que je suis avec vous,
et tu ne me connais pas. Qui m'a vu a vu le Père". Cette phrase
est l’une des plus fortes de tout l'Évangile,
Ces hommes viennent de répondre à l’appel
de Jésus. Et ici, déjà, il vient de les “lâcher, de les lancer dans l'aventure
de la nuit. "Passez sur l'autre
rive". L’autre rive (la Décapole) est une région païenne ! Seuls, sans
lui. Mais le voilà qui revient. - "Si
c'est toi, crie Pierre, dis-moi de
venir vers toi." - "Viens", dit Jésus. Pierre marche, mais
les vagues sont fortes, il a peur, il coule, il appelle au secours. Jésus est
là, lui prend la main, et il lui dit : "Pourquoi
as-tu peur ?".
La montagne et la mer ! Personne ne voit
Dieu, mais dans notre histoire, un visage d'homme, un regard et un sourire
d'homme nous disent tout de Dieu. Il faut donc s'enraciner dans cette histoire,
rejoindre, de mains tendues en mains tendues, la main même de Dieu fait homme.
Pour terminer, je voudrais souligner : il y
a quelque chose de commun entre ces deux récits, c'est l'angoisse et la peur
de tous.
- Elle a peur, il veut mourir, "Je ne suis pas meilleur que mes pères,
j'en ai assez". - "Debout !", lui est-il répondu, "mange, marche et monte vers ton Dieu !".
- Pierre a peur ; il perd cœur, il
perd pied. La mer est rude pour lui, pour ses compagnons. Ils sont terrifiés,
pris dans une dépression qui, bien sûr, arrive par l'ouest, par la
Méditerranée. J'ai eu cette chance de voir ce phénomène curieux : quand les
nuages blancs qui montent du désert de Jordanie rencontrent, sur le lac, les
nuages gris qui viennent de la Méditerranée, cela peut être terrible,
terrifiant !
Et nous ? Il y a des jours où on est plutôt
en forme. Tour "baigne" ; et puis, avec les nuages divers de notre
existence, le temps vient de la détresse, de l'angoisse. Oui, il y a dans nos
vies des temps et des zones de haute pression et des temps de basse pression,
de dépression. C'est l'heure de la difficile espérance ; pour Elie, pour
Pierre, pour chacun de nous. Mais l'heure où on coule, c'est aussi l'heure du
souffle dans "le son d’une poussière
de silence" ; c’est l'heure de la main tendue !
Ce n'est pas parce que la marée est basse
qu'il y a moins d'eau dans la mer. Ce n'est pas parce que la lune, un moment,
éclipse le soleil, que le soleil ne brille plus.
Dieu est Dieu ; il n'en finit pas de donner
sa Parole, de partager son Souffle, de donner la main.
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